On n’est jamais à l’abri de surprises à la lecture de la jurisprudence sociale. Voilà que la Cour de cassation reconnaît la « banalité du mal » (cf. Hannah Arendt), et même son universalité (pas seulement la banalité du mâle donc) en constatant que l’auteur et la victime de harcèlement sexuel peuvent être de même sexe (Cass. soc. 3-3-2021 n° 19-18.110 F-D).
Ce n’est pas le seul intérêt de cette décision, mais il n’est parfois pas inutile que de marteler les évidences.
En l’espèce, une hôtesse de caisse « Chef de Groupe » estimant avoir été victime d’agissements relevant du harcèlement sexuel de la part de sa supérieure hiérarchique, saisit le Conseil de prud’hommes pour obtenir la résiliation de son contrat de travail aux torts et griefs de son employeur, et une indemnisation complémentaire pour le préjudice subi.
En appel, elle obtient la condamnation de l’employeur au paiement de dommages-intérêts pour le seul harcèlement sexuel. Insatisfaite, elle saisit la Cour de cassation pour obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail produisant les effets d’un licenciement nul. L’employeur forme de son côté un pourvoi incident contestant sa condamnation à ces dommages-intérêts.
S’agissant tout d’abord de la question du harcèlement sexuel, l’employeur réaffirme qu’il n’y a vu goutte, en raison de la « familiarité réciproque affichée » entre les deux salariées et même de leur « relation ambiguë ».
Il semble que la Cour de cassation soit d’ailleurs assez vigilante sur la problématique de « l’ambiguïté », questionnant la victime alléguée sur son comportement et ce en quoi sa propre attitude pourrait disqualifier ses accusations (rassurons le lecteur, il ne s’agit pas de reprocher à la victime de harcèlement de porter une jupe trop courte – Cass. soc. 25-9-2019 no 17-31.171 F-D).
Point d’ambiguïté ici puisque les faits conservent indéniablement la qualification de harcèlement sexuel caractérisé : non seulement la salariée a été destinataire de centaines de SMS à connotation sexuelle de la part de sa supérieure (mais quand travaillait-elle celle-là ?), mais également d’insultes et de menaces pour obtenir à un passage à l’acte. De son côté, la salariée avait sollicité à plusieurs reprises de sa supérieure qu’elle mette fin à ses agissements.
Sur le fond, rien de bien nouveau, si ce n’est que c’est effectivement la première fois que la Cour de cassation confirme l’existence d’une situation de harcèlement sexuel entre deux personnes du même sexe.
Pour le reste, la fin de l’histoire n’est pas totalement satisfaisante pour la victime qui espérait obtenir la résiliation judicaire de son contrat de travail sur les mêmes motifs.
Sur cette question, la salariée a eu un peu de retard à l’allumage et ce d’autant que l’employeur avait de son côté fait preuve d’une indiscutable réactivité. En effet, informé au mois de novembre 2014 des faits de harcèlement sexuel subis par la salariée, il a licencié la supérieure hiérarchique pour faute grave dès le 18 décembre 2014. Ce n’est que cinq mois plus tard que la salariée victime de harcèlement a finalement saisi le juge prud’homal d’une demande en résiliation judiciaire de son contrat de travail, considérant que la gravité des faits qu’elle avait subis justifiait la rupture aux torts de l’employeur.
Evidemment et heureusement, cette célérité a été justement saluée et les juges de première instance comme la Cour de cassation se sont fait fort de rappeler qu’un salarié doit être débouté de sa demande de résiliation judiciaire du contrat si, au jour du jugement, l’employeur a fait cesser la situation dont il se plaint. Il reste loisible de lui faire grief de n’avoir su empêcher les évènements et ainsi obtenir des dommages et intérêts, mais la résiliation judiciaire est impossible si une fois dûment informé, l’employeur a pris les mesures nécessaires pour mettre fin au trouble.
Sébastien Bourdon