Nous avons récemment évoqué les débats constitutionnels italiens sur le principe du barème de condamnation prud’homale, le Conseil de prud’hommes du Mans nous fait abandonner un temps la scamorza affumicata pour la rillette, obligeant à une évocation de cette première décision judiciaire française sur ce thème (le barème, pas les rillettes).
Dans une décision du 26 septembre dernier, dont il est évidemment un peu tôt pour savoir si elle fera autorité sur tout le territoire national, le Conseil de prud’hommes manceau a considéré que le référentiel obligatoire pour les dommages-intérêts alloués par le juge en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse n’est pas contraire à la convention 158 de l’OIT qui exige notamment une indemnisation adéquate (Cons. prud’h. Le Mans 26-9-2018 n° 17/00538, G. c/ Epic OPH de la communauté urbaine du Mans-Le Mans métropole habitat).
Rappelons à ceux qui dorment au fond de la classe que depuis l’ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017, l’article L 1235-3 du Code du travail fixe un barème de l’indemnité à la charge de l’employeur en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, barème qui s’impose au juge. On le rappelle si besoin, le montant de l’indemnité est compris entre un minimum et un maximum, variant en fonction de l’ancienneté du salarié.
Pour mémoire, le Conseil d’Etat avait déjà considéré que ces dispositions ne violaient pas les textes internationaux à la base de ces principes.
En l’espèce, la salariée, dont le licenciement a été reconnu sans cause réelle et sérieuse, soutenait en premier lieu que le barème prévu à l’article L 1235-3 du Code du travail est contraire à l’article 10 de la convention 158 de l’OIT ainsi rédigé : si les juges « arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n’ont pas le pouvoir ou n’estiment pas possible dans les circonstances d’annuler le licenciement et/ou d’ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée ».
Cette convention internationale a un effet direct « horizontal », ce qui permet à un salarié de l’invoquer dans un litige l’opposant à son employeur de droit privé.
Le Conseil de prud’hommes du Mans, s’inspirant probablement des décisions du Conseil d’Etat et du Conseil Constitutionnel dans le même sens, a considéré que l’article L 1235-3 du Code du travail respectait les deux principes indemnitaires et ce pour trois raisons :
- l’indemnité prévue au barème a vocation à réparer le préjudice résultant de la seule perte injustifiée de l’emploi et que, si l’évaluation des dommages-intérêts est encadrée entre un minimum et un maximum, le juge peut toujours, dans les bornes du barème fixé, prendre en compte tous les éléments déterminant le préjudice subi par le salarié licencié lorsqu’il se prononce sur le montant de l’indemnité (notamment l’âge et les difficultés à retrouver un emploi, le salarié de 53 ans avec un an et demi d’ancienneté appréciera…) ;
- le barème n’est pas applicable aux situations où le licenciement intervient dans un contexte de manquement particulièrement grave de l’employeur à ses obligations (nullité pour violation d’une liberté fondamentale, pour harcèlement sexuel ou moral, atteinte à l’égalité professionnelle homme/femme, exercice du mandat d’un salarié protégé etc.) ;
- les autres préjudices, en lien avec le licenciement et notamment les circonstances dans lesquelles il a été prononcé, sont susceptibles d’une réparation distincte sur le fondement du droit de la responsabilité civile, dès lors que le salarié est en mesure de démontrer l’existence d’un préjudice distinct.
Au regard des montants alloués à la salariée en application du barème – 1 715 € pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’intéressée ayant moins d’un an d’ancienneté, et 2 000 € pour licenciement brutal et vexatoire – on comprend assez aisément qu’ait pu être grande la tentation de contourner la réglementation applicable.
Si l’invocation des traités internationaux ne devait pas fonctionner, il est probable que les demandes de constatations de nullité deviennent de plus en plus fréquentes devant la juridiction prud’homale, puisque permettant de contourner cet obstacle indemnitaire majeur.
La salariée soutenait en l’espèce également que le barème était contraire à l’article 24 de la charte sociale européenne du 3 mai 1996, qui prévoit que « en vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les parties (c’est-à-dire les gouvernements signataires de la charte) s’engagent à reconnaître le droit des travailleurs licenciés sans motifs valables à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée ».
Ici le conseil de prud’hommes a esquivé la question, partant du principe que ces dispositions ne sont pas directement applicables par la juridiction prud’homale (analyse que ne fait pas le Conseil d’Etat qui considère lui que les stipulations de l’article 24 ont un effet direct « horizontal », mais cette charte sociale européenne fait l’objet de débats de spécialistes qui, risquant de faire fuir le néophyte, ne seront pas nécessairement développés sur cette page).
Il est en tout cas certain que la bataille judiciaire ne fait que commencer et que la créativité des acteurs de droit social a de beaux jours devant elle.
Sébastien Bourdon