L’agitation judiciaire autour du barème prud’homal ne fait que commencer, et c’est très logiquement que le bal a débuté en première instance, au sein des Conseils de prud’hommes de France et de Navarre.
Contrairement au conseil de prud’hommes du Mans, celui de Troyes puis celui d’Amiens et enfin celui de Lyon ont jugé le référentiel obligatoire pour les dommages-intérêts alloués en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse contraire aux conventions internationales.
A l’instar de ce qui s’était produit devant le Conseil de prud’hommes du Mans, le débat a porté sur la conformité de ce texte à :
- L’article 10 de la convention 158 de l’OIT, selon lequel, si les juges « arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n’ont pas le pouvoir ou n’estiment pas possible dans les circonstances d’annuler le licenciement et/ou d’ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée » ;
- L’article 24 de la charte sociale européenne qui prévoit que, « en vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les parties s’engagent à reconnaître le droit des travailleurs licenciés sans motifs valables à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée ».
Le moins que l’on puisse dire est que les décisions rendues à ce jour se révèlent contrastées mais que la balance pencherait plutôt pour la non-applicabilité du barème, puisque nous en sommes à trois décisions contre une.
Les Conseils de prud’hommes se retrouvent éventuellement pour affirmer que l’article 10 de la convention 158 de l’OIT a un effet direct « horizontal » (jargon de droit international) permettant à un salarié de l’invoquer directement sur le territoire national dans un litige l’opposant à son employeur.
En revanche, contrairement à celui du Mans, les juges troyens, amiénois et lyonnais reconnaissent également cet effet « horizontal » à l’article 24 de la Charte Sociale Européenne.
Partant de cette affirmation, les juges prud’homaux établissent le principe selon lequel le barème d’indemnités serait contraire à la convention précitée de l’OIT et ajoutent donc qu’il viole également la charte sociale européenne.
Le Conseil de prud’hommes de Lyon se contente même, dans sa décision du 21 décembre 2018, d’évoquer uniquement ledit article 24 de la Charte sociale Européenne, et de manière pour le moins lapidaire. Libéré du barème, il alloue trois mois de dommages et intérêts à une salariée comptant à peine plus de deux ans d’ancienneté, semblant respecter le barème ! Mais ladite ancienneté se faisant au titre d’une succession de contrats à durée déterminée que le Conseil de prud’hommes ne requalifie pas (rien n’est simple), la salariée comptait en réalité… un jour d’ancienneté.
Pour écarter l’applicabilité du barème, il semble donc à ce jour que deux principaux arguments soient retenus :
- L’article L 1235-3 du Code du travail instaurant ledit barème, en introduisant un plafonnement limitatif des indemnités prud’homales, ne permet pas aux juges d’apprécier pleinement les situations individuelles des salariés injustement licenciés et de réparer de manière juste le préjudice subi.
- Ce barème serait en contradiction avec une décision du Comité Européen des Droits Sociaux (CEDS), organe en charge de l’interprétation de la charte. Celui-ci a en effet jugé que la loi finlandaise fixant un plafond de 24 mois d’indemnisation était contraire à ce texte (CEDS 8-9-2016 n° 106/2014).
Partant de là, le Conseil de prud’hommes de Troyes a conclu à l’iniquité du barème considérant qu’il sécurise davantage les coupables que les victimes (il alloue ainsi 9 mois de salaire à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse quant le salarié comptait 2 ans d’ancienneté, et n’aurait pu prétendre au maximum qu’à une indemnité de 3,5 mois de salaire).
La curiosité est maintenant grande de connaître les décisions qui seront rendues par les Cours d’appel et la Cour de cassation (cette dernière se serait déjà vue solliciter un avis par le MEDEF).
De manière annexe, lorsque le Ministère du Travail a été interrogé par Le Monde sur les premières décisions troyennes, il aurait déclaré qu’elles posaient « la question de la formation juridique des Conseillers prud’homaux » (sic).
Les conseillers prud’hommes de l’autre capitale de la célèbre andouillette, n’ont évidemment guère apprécié qu’on les prenne pour des jambons et déclaré dans un communiqué de presse que ce propos s’asseyait joyeusement sur le principe de la séparation des pouvoirs, portant atteinte à l’autorité de la chose jugée et à son indépendance.
Y ajoutant, les juges troyens rappelaient, entre autres amabilités destinées au Ministère, qu’il relevait de leur autorité de pouvoir écarter une loi votée dans le cadre de leur exercice juridictionnel. L’argument est ici particulièrement pertinent s’agissant d’un texte de loi donnant la curieuse impression de vouloir réduire le pouvoir d’appréciation et l’autorité du juge.
Sébastien Bourdon