Bien mal acquis ne profiterait plus

Droit Social

L’interdiction du mensonge et de la dissimulation est un principe bien établi. Au surplus, notre droit positif nous enseigne notamment que « les conventions légalement formées s’exécutent de bonne foi ». Et pourtant, avec l’exercice quotidien du droit du travail, surgissent quelques surprises. Ainsi, l’on peut considérer que le mensonge par omission a longtemps été toléré dans le cadre de la protection exorbitante dont bénéficient certains titulaires de mandats extérieurs à l’entreprise.

En effet, le Code du travail protège depuis 1945 certains salariés exerçant des fonctions d’intérêt général, en subordonnant la rupture de leur contrat à une autorisation administrative préalable, délivrée par l’inspection du travail. Sont ici visés les salariés élus ou de représentants syndicaux, mais bénéficient également de telles dispositions certains salariés qui exercent un mandat extérieur à l’entreprise, et notamment les conseils ou administrateurs d’une caisse de sécurité sociale, les conseillers du salarié inscrits sur une liste dressée par l’autorité administrative et chargés d’assister les salariés convoqués par leur employeur en vue d’un licenciement et du conseiller prud’homme.

Le titulaire d’un tel mandat, bénéficiaire de la protection exorbitante du droit commun, n’est toutefois astreint à aucune obligation déclarative auprès de l’employeur, ce silence autorisé se justifiant pour le législateur par la crainte que la révélation de sa qualité ne puisse aboutir à une quelconque discrimination syndicale de l’employeur, à l’embauche comme dans l’exercice des fonctions.

Ainsi et en pratique, il n’était pas rare que l’employeur soit totalement ignorant de ce statut au moment de la mise en œuvre d’un licenciement et, en toute bonne foi, ne respecte pas la procédure impérative d’autorisation administrative préalable. La conséquence en est immédiate, si le salarié refuse sa réintégration, l’employeur peut être condamné au versement d’importantes indemnités, sans qu’il ne soit jamais reproché au salarié de s’être tu au moment de la procédure. En effet, la rupture du contrat de travail d’un salarié effectuée dans l’ignorance de l’existence d’un mandat extérieur était nécessairement nulle et ouvrait droit pour le salarié à une indemnisation pour violation du statut protecteur. Le mensonge par omission pouvait se révéler extrêmement rémunérateur (s’agissant d’un conseiller prud’homme, la Cour de cassation avait ainsi considéré que devait lui être alloué, son contrat de travail ayant été illégalement rompu, le montant de la rémunération qu’il aurait du percevoir entre son éviction et l’expiration de la période de protection, dans la limite de la durée de la protection accordée aux représentants du personnel et, d’autre part, non seulement les indemnités de rupture, mais une indemnité réparant l’intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à celle prévue par l’article L 1235-4 du Code du travail – Cass. Soc. 12 juin 2001 n° 99-41.695).

Evidemment, cette interprétation des textes était extrêmement critiquée, ses effets pervers étant indiscutables.

Par une première décision du 16 février 2011 (n° 10-10.592), la Cour de cassation a d’abord atténué les potentiels effets pervers de cette jurisprudence en tenant compte de l’éventuel manque de loyauté du salarié. Si ce dernier n’avait ainsi pas informé l’employeur de son mandat lors de la mise en œuvre de la procédure de licenciement, ce comportement était à même d’avoir une incidence sur le montant de l’indemnité pour violation du statut protecteur.

Cette première évolution jurisprudentielle s’est poursuivie devant le Conseil constitutionnel, à l’occasion d’une QPC (Question Prioritaire de Constitutionnalité) transmise par la Chambre sociale de la Cour de cassation. Les Sages ont jugé les articles du code du travail concernés « conformes à la Constitution », mais les ont assortis d’une importante réserve : les intéressés ne peuvent pas se prévaloir de la protection s’ils n’ont pas informé l’employeur de la détention d’un mandat attaché, au plus tard lors de l’entretien préalable au licenciement.

Poursuivant dans cette logique, la Cour de cassation, le 14 septembre 2012 (n° 11-28.269), a finalement posé les conditions suivantes. Le salarié ne peut désormais se prévaloir de cette protection que si :

_ Il a informé l’employeur de l’existence de son mandat au plus tard lors de l’entretien préalable au licenciement, ou au plus tard avant la notification de l’acte de rupture s’il ne s’agit pas d’une rupture nécessitant un entretien préalable ;

_ Ou s’il rapporte la preuve de ce que l’employeur en avait connaissance.

Après de nombreuses années sans se prononcer sur cette question (n’en ayant semble t’il pas été clairement saisie !), la Cour de cassation, sous l’impulsion du Conseil constitutionnel, a fini par reconnaître ce qui pourrait sembler relever de l’évidence : la fraude peut priver son bénéficiaire d’un droit, et le manquement à l’obligation de loyauté ne saurait rester sans conséquence. L’on ne peut voir dans cette décision qu’un indiscutable progrès, tant sur le plan juridique (la fraude corrompt tout) que, peut-être, sur le plan moral.

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