« On ne peut pas être et avoir été », dit un dicton populaire. « Pourquoi ? On peut très bien avoir été un imbécile et l'être encore » comme le rétorquait Pierre Dac.
Cette question du temps qui passe et de ses effets sur la personne du salarié (ou de l’employeur) se pose parfois en droit du travail.
Ainsi, la position de l’avocat d’employeur se révèle souvent assez délicate lorsqu’il s’agit de défendre judiciairement une mesure de licenciement motivée par des insuffisances professionnelles ou des manquements plus ou moins graves commis par un salarié à l’ancienneté antédiluvienne.
Alors que le désintérêt, la lassitude, la paresse, la perte de motivation sont des phénomènes que l’on rencontre tous les jours, ils paraissent parfois incongrus devant la juridiction prud’homale.
Ces phénomènes n’en demeurent pas moins réels et l’ancienneté importante d’un salarié ne saurait excuser ou minimiser des manquements récents et avérés. C’est ce qu’est venue rappeler la Cour de cassation le 13 janvier dernier (n° 14-18.145).
La jurisprudence s’était jusqu’alors illustrée par l’énonciation du principe selon lequel l’ancienneté d’un salarié peut être retenue comme circonstance atténuant la gravité de la faute commise (Cass. soc. 17-4-2013 n° 11-20.157 concernant la falsification de documents par un salarié comptant 20 ans d’ancienneté ; ou Cass. soc. 7-3-2006 n° 04-43.782 pour une absence injustifiée d’une semaine d’un salarié ayant vint-cinq ans de carrière).
Le tempérament à ce principe retenu récemment par la Cour de cassation repose sur la nature de la faute et des répercussions que celle-ci peut avoir sur l’entreprise et son activité.
L’espèce concernait un pilote de ligne (un métier où la rigueur ne doit pas attendre le nombre des années, ni diminuer avec celles-ci !!). Celui-ci avait justement commis cinq manquements graves d’ordre technique de nature à compromettre la sécurité des passagers, s’étant notamment trompé de piste de décollage au moment du départ (l’histoire ne dit pas s’il avait confondu avec une piste d’atterrissage).
Cette omission avait conduit le commandant de bord du vol retour à revenir à deux reprises à son point de départ pour finalement annuler le vol.
La cour d’appel, tenant expressément compte des onze années d’ancienneté du salarié, en ne contestant pas la matérialité des faits, avait néanmoins requalifié la faute grave en faute simple.
La Cour de cassation n’a quant à elle pas retenu cette excuse de l’ancienneté et a considéré que les faits rendaient impossible la poursuite du contrat de travail et constituaient bien une faute grave.
Il est, sur cette seule décision, difficile d’affirmer que nous sommes face à un retournement de jurisprudence, la nature du métier concerné et les risques encourus en cas de manquements n’étant ici pas mineurs. Toutefois, l’on peut se réjouir que ne soit pas, au moins ponctuellement, retenue comme excuse absolutoire la grande ancienneté d’un salarié.