Le 24 janvier dernier, la Cour de Justice de l’Union Européenne a rendu une décision (aff. 282/10, Dominguez c/ Centre Informatique du Centre Ouest Atlantique) susceptible de surprendre quelque peu les employeurs et employés de notre pays, et ce d’autant plus qu’elle remet littéralement en cause le droit applicable en matière de congés payés (et tout le monde sait que les français aiment les vacances).
L’arrêt précité a été rendu en réponse à une question préjudicielle de la Cour de cassation française. Dans l’espèce concernée, une salariée qui avait été en arrêt de travail pendant 14 mois à la suite d’un accident de trajet avait demandé à bénéficier de 22,5 jours de congés payés au titre de cette période d’absence, qui ne permettait pourtant pas en principe d’acquérir des jours de congés.
En effet, le Code du travail prévoit des conditions restrictives de prise en compte des jours non travaillés pour le calcul des jours de congés. L’article L 3141-5 assimile seulement certaines périodes non travaillées à du travail effectif, susceptibles de générer des jours de congés. Il en est notamment ainsi des congés pour maternité, paternité ou adoption, mais également des absences faisant suite à un accident du travail ou à une maladie professionnelle (pour une durée maximale ininterrompue d’un an). L’accident de trajet était en principe exclu de ce régime.
L’arrêt rendu vient remettre en cause ce bel équilibre, que l’on savait toutefois menacé. La Cour de Justice, invoquant l’article 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003, précise que « tout travailleur, qu’il soit en congé de maladie pendant ladite période de référence à la suite d’un accident survenu sur le lieu de travail ou ailleurs, ou à la suite d’une maladie de quelque nature et de quelque origine qu’elle soit, ne saurait voir affecté son droit au congé annuel payé d’au moins quatre semaines ». La Cour rappelle ici la garantie donnée par la législation européenne à tout salarié d’une période de congé annuel d’au moins quatre semaines, cette dernière ne devant pas être diminuée du fait de l’impossibilité d’acquérir les jours de congés pour raisons de santé, même extra professionnelles.
La Cour de cassation avait déjà arrêté le principe selon lequel les congés payés acquis qui n’ont pu être pris au cours de l’année en raison d’absences liées à une maladie, un accident du travail ou une maladie professionnelle doivent être reportés après la date de la reprise du travail ou, en cas de rupture du contrat, donner lieu au versement d’une indemnité compensatrice (Cass. Soc. 24-2-2009 n° 07-44.488 : extension du principe à une maladie « ordinaire »). Les modalités du report n’étaient pas précisées par ledit arrêt.
L’arrêt de la CJUE ici commenté étend encore et doublement ce principe : d’une part, l’assimilation des périodes d’absence pour raison de santé vaut y compris si aucun travail n’a été fourni pendant la période de référence, ce qui n’est pas le cas en l’état actuel du droit français. D’autre part, elle s’applique aussi bien pour l’acquisition des droits que pour le report au-delà de la période de référence.
Le salarié grippé continuera ainsi à accumuler des congés pendant son absence médicalement validée, et l’on peut même imaginer qu’un salarié victime d’un accident de pétanque durant ses congés payés (ou de kite-surf, et que sais-je encore) sera quant à lui fondé à solliciter de son employeur le report des jours de vacances ainsi perdus, n’ayant pu en profiter dans la limite d’un « droit annuel payé d’au moins quatre semaines ».
Le législateur français (ou la jurisprudence) devrait donc repenser les conditions d’acquisition progressive des congés payés, mais également celles de leur report lorsque les salariés sont absents. Sur ce dernier point, la CJUE n’évoque que les absences pour raisons de santé (la jurisprudence ultérieure devra toutefois être surveillée dans le cas notamment du « congé parental »).
L’arrêt fixe quand même une limite quant au nombre de jours de congés couverts : renvoyant au droit communautaire, il fixe le congé payé annuel à quatre semaines (sois moins qu’en droit français car, pour mémoire, ce nombre s’élève à 2,5 jours ouvrables par mois, avec un maximum de 30 jours ouvrables par an). Cette affirmation de la Cour permet de penser que seraient conservées en tout état de cause les dispositions de l’article L 3141-5 du Code du travail, et plus particulièrement les distinctions afférentes aux causes d’absence pour la cinquième semaine (de même que les jours supplémentaires éventuellement prévus par les conventions collectives).
A ce stade de l’analyse, se pose nécessairement la question angoissante de l’applicabilité à notre droit applicable des dispositions de cet arrêt. En l’état le législateur n’a pas transféré dans notre droit positif les dispositions de cette directive confirmées par cet arrêt, certes récent. Mais un salarié peut-il d’ores et déjà invoquer ces dispositions plus favorables devant les juridictions françaises ?
L’article 7 de la directive citée dans l’arrêt permettrait que ses dispositions puissent ainsi être invoquées par un salarié envers un employeur, à la condition que ce dernier ait la qualité d’un « organisme d’état ».
S’agissant des entreprises privées, même une disposition claire, précise et inconditionnelle – ce qui est le cas en l’espèce – ne saurait trouver application directe et effet horizontal dans un litige entre particuliers. Ceci posé, le juge français est en principe tenu de procéder à une « interprétation conforme » du Code du travail, c’est-à-dire permettant d’aboutir au même résultat. Au cas d’espèce, l’arrêt de la CJUE a été rendu à propos d’un « accident de trajet », aussi il n’est pas certain que le juge français soit tenu d’appliquer la règle de « l’interprétation conforme » à tous les types d’absences médicalement validées du salarié.
En réalité, sur cette délicate question d’applicabilité, la CJUE a choisi de ne pas répondre. Cela n’interdit toutefois pas aux employeurs de surveiller cette évolution jurisprudentielle avec beaucoup d’attention, son impact éventuel n’étant indiscutablement pas mineur…