Avant d’évoquer les derniers développements de la Cour de cassation sur ce sujet, rappelons brièvement ce qu’est une convention « forfait-jours ». Il s’agit d’une de ces conventions apparemment extrêmement souple et avantageuse, permettant de dégager les salariés concernés des dispositions afférentes à la durée légale hebdomadaire du travail et des durées maximales journalière et hebdomadaire du travail. Seules survivent les dispositions afférentes aux repos quotidien et hebdomadaires.
La durée de travail du salarié est décomptée chaque année par récapitulation du nombre de journées ou demi journées travaillées (dans la limite de 218 jours).
Pour mémoire, la mise en place de conventions individuelles de forfait, en heures ou en jours, sur l’année est subordonnée à la conclusion :
– d’un accord collectif d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, d’une convention ou d’un accord de branche, qui détermine les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait, ainsi que la durée annuelle du travail à partir de laquelle le forfait est établi, et fixe les caractéristiques principales de ces conventions ;
– d’une convention individuelle de forfait impérativement écrite (contrat ou avenant par exemple), laquelle requiert l’accord du salarié.
S’agissant plus particulièrement du forfait dont il est ici question, le « forfait annuel en jours », ne peuvent le conclure que (article L 3121-43 du Code du travail) :
– les cadres qui disposent d’une autonomie dans leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l’horaire collectif applicable au sein de l’atelier, du service ou de l’équipe auquel ils sont intégrés ;
– les salariés dont la durée du travail ne peut être prédéterminée.
Une fois ces conditions générales d’applicabilité légales posées et mises en place, ce système a rencontré semble t’il un succès certain, étant, au moins en apparence, très adapté au monde du travail contemporain, plus particulièrement dans les secteurs où l’activité intellectuelle est prédominante et les nouvelles technologies incontournables. Comme le soulignait alors récemment un commentateur : « la seule question est de savoir si le rapport entre les jours obligés par le forfait et la nature du travail demandé sont raisonnablement compatibles » (Bernard Boubli). Le salaire versé doit donc respecter les minimas éventuellement applicables et être adapté à la charge de travail (et vice versa). Surtout, le salarié soumis au forfait jours doit être effectivement autonome dans l’organisation de son travail. On m’avait interrogé un jour sur la possibilité de sanctionner un tel salarié pour ses fréquentes arrivées tardives sur le lieu de travail. Cela se révèle évidemment difficile (le beurre et l’argent du beurre…), les griefs envisageables se fondent plutôt sur l’assiduité (ainsi, la présence lors de réunions importantes, la présence chez un client à des moments clés…) et plus généralement sur la qualité du travail fourni. C’est dans ce cadre que doit être analysé le débat sur le « droit à la santé », sous-tendu par le nécessaire « droit au repos ». L’employeur doit en effet garantir au salarié, dans le cadre de son autonomie, notamment le respect du repos dominical (il est ainsi vivement déconseillé d’adresser à un salarié, même au forfait-jour, des e-mails d’instructions plus ou moins comminatoires un dimanche soir par exemple) et une durée raisonnable de travail.
Ce droit à la santé doit notamment être assuré par le contenu même des conventions ou accords collectifs prévoyant la possibilité de conclure des forfaits-jours. La Cour de Cassation vérifie ainsi que le texte desdits accords garantisse le respect des durées maximales de travail, ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires (Cass. Soc. 29 juin 2011 n° 09-71.107 ; RJS 8-9/11 n° 696). A été ainsi validé un accord prévoyant l’établissement de documents de contrôle, le suivi régulier par le supérieur hiérarchique de l’organisation et de la durée du travail du salarié, la tenue d’un entretien annuel (CCN Métallurgie – arrêt précité).
A contrario, les juges de la Cour de Cassation ont privé de validité une convention de forfait en jour considérant que les dispositions des accords (industrie chimique) la prévoyant n’étaient pas de nature « à assurer la protection de la santé et la sécurité des salariés ». En effet, l’article 12 de l’accord chimie prévoyait uniquement que la convention individuelle de forfait « comportera des modalités de mise en œuvre et de contrôle » et que le salarié pourra prétendre une fois par an à un « entretien d’activité ». Le caractère lapidaire des dispositions conventionnelles prive d’effet la convention de forfait en jours. Il n’est toutefois pas interdit à l’employeur de mettre en place, en interne, un accord d’entreprise conforme aux exigences jurisprudentielles (modifier la seule convention individuelle de forfait serait en revanche insuffisant). La Cour de Cassation a récemment confirmé cette analyse à propos d’un accord pris en application des dispositions de la convention collective SYNTEC en ces termes : « Les dispositions de l’accord du 22 juin 1999, pris en application de la convention SYNTEC et les stipulations des accords d’entreprises applicables en l’espèce ne sont pas de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail du salarié et, donc, à assurer la protection de sa sécurité et de sa santé. La convention de forfait en jours est alors nulle » (Cass. Soc. 24 avril 2013 n° 11-28.398).
L’air du temps est donc à une relecture d’accords toujours en vigueur, à la rédaction parfois ancienne, ces derniers pouvant se révéler infiniment moins sûrs et confortables que prévus. Si la Cour de cassation ne condamne pas le recours au forfait en jours, elle rappelle qu’il appartient aux partenaires sociaux, au niveau des entreprises, de suppléer les manques constatés dans les textes applicables.