Il y a quelques mois déjà, certains médias, brillant par leur sens de l’analyse et de la précision affirmaient, sur la foi de décisions rendues par la Cour de cassation, que : « un salarié ne peut plus refuser toute modification de son contrat de travail décidée unilatéralement par son patron ».
En réalité, cette erreur d’analyse de décisions rendues le 12 juin dernier venait d’une transcription quelque peu hâtive d’une dépêche AFP. Erreur fréquente que certains ont corrigé, mais sans toutefois pouvoir en empêcher la diffusion préalable, sur les réseaux sociaux notamment.
Qu’a en réalité dit la Cour de cassation, tel est le propos à suivre.
Ces deux décisions du 12 juin 2014 s’inscrivent dans le sillage de trois arrêts du 26 mars 2014, rendus en formation plénière, par lesquels la chambre sociale de la Cour de cassation a précisé que la notion de manquement grave pouvant justifier la prise d’acte par le salarié de la rupture de son contrat de travail ou sa résiliation judiciaire aux torts de l’employeur s’entend d’un manquement empêchant la poursuite du contrat de travail (Cass. soc. 26-3-2014 n° 12-23.634, 12.35.040, 12-21.372 : FRS 10/14 inf. 8 p. 7 ou FR 24/14 inf. 9 p. 22).
La perturbation que le manquement de l’employeur apporte au bon déroulement de la relation contractuelle est, en effet, également prise en compte ici pour débouter les salariés de leur demande de résiliation judiciaire du contrat de travail fondée sur la modification unilatérale de leur rémunération contractuelle. Le raisonnement de la Cour paraît également pouvoir être retenu s’agissant de la prise d’acte de la rupture du contrat.
En réalité, la Cour de cassation affirme que la simple modification du mode de rémunération du salarié ne justifie pas nécessairement la rupture dudit contrat, il n’y a aucun caractère d’automaticité.
Il est vrai que les interrogations des praticiens étaient légitimes dans la mesure où des arrêts antérieurs de la chambre sociale de la Cour de cassation avaient laissé entendre que le mode de rémunération contractuel d’un salarié constituant un élément du contrat de travail, il ne pouvait être modifié sans son accord même pour un système plus avantageux. Dans ces conditions, une modification du contrat portant sur cet élément justifiait systématiquement sa résiliation à l’initiative du salarié (notamment Cass. soc. 22-2-2006 n° 03-47.639 et Cass. soc. 10-10-2007 n° 04-46.468 : sur une demande de résiliation judiciaire ; Cass. soc. 5-5-2010 n° 07-45.409 : sur une prise d’acte de la rupture). Il n’en va donc plus de même aujourd’hui.
La première affaire concernait un attaché commercial embauché sur la base d’un contrat de travail prévoyant le versement d’une rémunération fixe complétée par des commissions calculées à des taux variables. En mars 2008, un avenant prévoyant une modification du mode de rémunération à effet rétroactif au 1er janvier précédent, était proposé au salarié, ce dernier refusant de le signer.
Cette modification lui ayant été néanmoins appliquée, le salarié, dénonçant ce qu’il qualifiait de « modification unilatérale de son contrat de travail », a saisi la juridiction prud’homale d’une demande en résiliation judiciaire du contrat aux torts exclusifs de l’employeur. Les juges du fond, après avoir constaté que, malgré l’application de taux de commissionnements fréquemment moins avantageux, le montant cumulé des éléments variables de rémunération calculés chaque mois et des primes allouées était supérieur au montant qui serait résulté de la simple application de la grille de commissionnements dont le salarié avait bénéficié en 2007, avaient débouté l’intéressé. A leurs yeux, les manquements de l’employeur aux règles contractuelles n’ayant pas été préjudiciables au salarié ne pouvaient être considérés comme suffisamment graves pour justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail, ce qu’a confirmé la Cour de cassation.
La deuxième espèce concernait un VRP auquel son employeur avait, en 2005, notifié une baisse de son taux de commissionnement de 33 % à 25 % sur la vente de certains matériels dont il avait la charge, alors qu’il avait antérieurement refusé de signer l’avenant contractuel correspondant. La Cour de cassation approuve là encore les juges du fond d’avoir débouté le salarié au motif, cette fois, que la modification unilatérale du contrat de travail ne représentait qu’une faible partie de la rémunération.
Evidemment, une lecture rapide de ces décisions pourrait laisser penser que la Cour, dans un élan inattendu, aurait soudainement décidé de laisser totalement la main à l’employeur s’agissant de la modification de la rémunération du salarié, réalisant ainsi les rêves les plus fous de Pierre Gattaz.
Il n’en est naturellement rien et il ne faut pas déduire de ces arrêts (ou des dépêches de l’AFP) que l’employeur pourrait dorénavant à sa convenance imposer une modification du contrat de travail au salarié. Une modification de la rémunération, dans son montant ou dans sa structure, ne peut toujours pas être imposée unilatéralement au salarié, et ce quelle que soit son importance.
Par ailleurs, le silence conservé par le salarié et la poursuite du contrat de travail aux nouvelles conditions imposées par l’employeur, même pendant une longue période, ne permet pas de déduire une acceptation tacite (notamment : Cass. soc. 17-9-2008, n° 07-42.366). Et il reste possible au salarié d’exiger la poursuite du contrat aux conditions antérieures (Cass. soc. 26-6-2001 n° 99-42.489).
Le changement opéré par les arrêts du 12 juin concerne uniquement l’issue de la prise d’acte de la rupture de son contrat par le salarié ou de sa demande de résiliation judiciaire : la rupture ne sera prononcée aux torts et griefs de l’employeur que si son manquement empêche la poursuite de l’exécution du contrat.
Il convient donc désormais de distinguer le manquement incontestable que commet l’employeur en modifiant unilatéralement le contrat, de ses conséquences sur la poursuite de la relation contractuelle. Ces dernières dépendent en effet de l’appréciation de la gravité du manquement commis, gravité appréciée par les juges du fond au regard des circonstances de fait exposées par les parties.
Dans un contexte où a été facilité et accéléré la phase judiciaire de la prise d’acte de rupture (http://bourdonavocats.fr/blog/bourdonnement.asp?id=18), la mise en place de tels freins jurisprudentiels ne peut qu’être saluée.