Qui n’a pas bondi à la lecture de cet arrêt de Cassation du 4 juillet 2000 (ce n’est pas si vieux, c’est le 21ème siècle) au terme duquel la Cour avait considéré que l'employeur ne pouvait pas appliquer de sanction à un salarié trésorier de comité d'entreprise coupable de malversations financières au détriment de cette – noble - institution (Cass. soc. 4-7-2000 n° 97-44.846) ? Cette jurisprudence surprenait d’autant plus que le Conseil d'Etat a ensuite pour sa part admis la légitimité du licenciement disciplinaire (CE 17-10-2003 n° 247701).
Partant d’un principe de quasi impunité, la Cour de cassation considère que les faits commis par le représentant du personnel dans l’exercice de son mandat et non liés à l’exécution de son contrat ne sont pas fautifs. Le Conseil d’Etat a, quant à lui, longtemps admis que de tels faits pouvaient légitimer un licenciement disciplinaire, s’ils avaient des répercussions sur le fonctionnement de l’entreprise.
Problème, en 2005, le Conseil d’Etat a finalement semblé rejoindre la position de la Cour Suprême en distinguant les agissements rattachables à l’exécution du contrat de travail – susceptibles de justifier une sanction disciplinaire – et les comportements liés à l’exercice du mandat, non fautifs (CE 4-7-2005 n° 272193).
S’agissant par ailleurs des faits commis par le salarié dans le cadre de sa vie privée, le Conseil d’Etat et la Cour de cassation appliquent les mêmes principes (un fait commis par le salarié dans le cadre de sa vie privée ne peut justifier son licenciement pour faute, sauf s’il traduit un manquement à ses obligations contractuelles – CE 5-12-2011 n° 337359 : RJS 2/12 n° 170). Mais les faits commis dans l’exécution des fonctions représentatives donnaient jusqu’alors lieu à des interprétations différentes.
Dans deux arrêts du 27 mars 2015, le Conseil d’Etat est finalement venu éclaircir sa jurisprudence en se prononçant sur le licenciement de salariés protégés ayant commis une faute dans le cadre de leurs fonctions représentatives.
Dans la première espèce, un représentant syndical avait, au cours d’une suspension de séance du comité d’entreprise, asséné un violent coup de tête (geste souvent qualifié plus vulgairement de « coup de boule », et pas forcément recommandée dans le cadre des réunions d’IRP) à l’un de ses collègues, lui causant une fracture du visage. Dans la seconde, le salarié, titulaire de plusieurs mandats, avait exercé une activité pour le compte d’une société concurrente pendant ses heures de délégation.
Dans les deux cas, l’employeur avait mis en œuvre une procédure de licenciement pour faute, sur autorisation administrative. Les salariés, s’appuyant sur la jurisprudence précitée, avaient saisi le juge administratif d’un recours, en faisant valoir que les faits qui leur étaient reprochés n’étaient pas liés à leur travail et ne pouvaient donc pas justifier un licenciement disciplinaire.
S’agissant de faits commis par le salarié protégé dans le cadre de sa vie privée, le Conseil d’Etat s’est déjà prononcé sur la qualification de tels agissements : de tels faits, commis en dehors de l’exécution du contrat de travail, ne peuvent pas motiver un licenciement pour faute (par exemple, à propos d’un retrait de permis de conduire : CE 15-12-2010 n° 316856).
Mais il a posé une exception à ce principe : l’employeur retrouve son pouvoir de sanction si les faits commis par l’intéressé traduisent une méconnaissance des obligations découlant du contrat de travail.
Dans les deux arrêts du 27 mars 2015 dont il est ici question, le juge administratif transpose ce principe à des faits commis par les salariés protégés dans le cadre de leurs fonctions représentatives.
En commettant un acte de violence (le « coup de boule » donc), le premier salarié avait ainsi indéniablement manqué à son obligation de ne pas porter atteinte à la sécurité d’autres membres du personnel (on ne saurait mieux dire !).
Quant au second salarié, en utilisant ses heures de délégation pour travailler chez un concurrent, il avait manqué à son obligation de loyauté envers l’employeur (là encore, on a l’impression de prêcher l’évidence). Ce dernier pouvait donc légitiment faire usage de son pouvoir disciplinaire.
Les deux arrêts du 27 mars 2015 clarifient donc la position du Conseil d’Etat. Si les faits commis ne caractérisent pas un manquement aux obligations découlant du contrat de travail, ils ne peuvent pas être sanctionnés, mais s’ils causent un trouble objectif au bon fonctionnement de l’entreprise, ils peuvent justifier un licenciement fondé, non pas sur ces faits, mais sur le trouble qui en résulte.
On se sent tout de même en droit de dire que les subtilités en la matière ne sont pas minimes.