Dans le cadre du procès prud’homal, il appartient aux parties en présence d’apporter les éléments à même d’éclairer le juge et, si possible, de le convaincre du bien fondé de son propos.
S’agissant du salarié, le plus souvent demandeur à l’instance, la jurisprudence lui semblait dans ce cadre globalement favorable, s’agissant des moyens utilisés et admis pour se fournir des pièces. Au plan pénal, le fait pour le salarié de s’approprier ou de reproduire des documents ne constitue en effet pas un vol dès lors que ces derniers étaient nécessaires pour assurer sa défense (Cass. crim. 11-5-2004 n° 03-85.521 : RJS 8-9/04 n° 887) dans le procès prud’homal l’opposant à son employeur (Cass. crim. 9-6-2009 n° 08-86.843 : RJS 1/10 n° 9) ou qu’il entend engager peu après la rupture de son contrat (Cass. crim. 16-6-2011 n° 10-85.079 : RJS 8-9/11 n° 658).
Plus précisément, le salarié qui, sans autorisation de l’employeur, s’approprie ou reproduit des documents de l’entreprise, ne commet pas de vol lorsqu’il en a eu connaissance à l’occasion de ses fonctions et que leur production est strictement nécessaire à l’exercice de sa défense dans le litige l’opposant à l’employeur (Cass. crim. 11 mai 2004 : RJS 8-9/04 n° 887, Bull. crim. n° 117), à condition toutefois qu’il s’agisse d’un litige prud’homal (Cass. crim. 9 juin 2009 : RJS 1/10 n° 9, Bull. crim. n° 119).
Jusqu’à présent, la position de la chambre criminelle de la Cour de cassation était en harmonie avec celle de la chambre sociale, cette dernière admettant que les pièces ainsi obtenues puissent être produites en justice (Cass. soc. 30 juin 2004 : RJS 10/04 n° 1009, Bull. civ. V n° 187).
Il semble toutefois que cette jurisprudence commune ne puisse plus aussi aisément être invoquée. En effet, dans un arrêt récent, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation a considéré que reposait sur une cause réelle et sérieuse le licenciement d’un salarié qui s’était emparé de bulletins de paie appartenant à l’entreprise et le concernant, mais dont il n’avait plus les originaux, pour en faire des copies destinées à être produites en justice (Cass. soc. 8-12-2015 no 14-17.759).
Un salarié avait en effet photocopié sans autorisation de son employeur plusieurs de ses bulletins de paie, dont il n’avait plus les originaux, afin de se constituer des preuves dans un litige en cours. Il conteste ensuite son licenciement, prononcé pour ce motif.
Les juges du fond, approuvés ensuite par la Cour de cassation, désapprouvent son comportement. Même si ces documents le concernaient, ou s’il avait égaré ceux dont il aurait du disposer, le salarié a, par son geste, porté atteinte au droit de propriété de l’entreprise (« du fait de cette atteinte au droit de propriété, son licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse »).
Les juges du fond avaient notamment mis en exergue que l’intéressé aurait pu les obtenir par des démarches amiables ou judiciaires. De ce fait, qu’importe les documents concernés, c’est la déloyauté du procédé utilisé par le salarié qui justifie la rupture du contrat de travail.
Cette décision, particulièrement sévère, surprend quand même quelque peu, et la lecture in extenso de l’arrêt ne permet d’en apprendre plus sur les faits de l’espèce, et notamment sur les évènements qui ont entouré cette photocopie litigieuse et qui pourraient peut-être amener à mieux comprendre la position extrêmement tranchée et peu orthodoxe des juges. Tout au plus peut-on en conclure que les salariés devront maintenant être un peu plus prudents quant aux méthodes employées pour se défendre, l’employeur pouvant les utiliser à leur détriment dans le cadre du litige prud’homal.
Toutefois et à l’inverse, l’employeur devra également se montrer prudent quant aux éléments qu’il entendra utiliser au soutien de son argumentation. En effet, semblant prendre le contrepied de la jurisprudence récente, la Cour de cassation a finalement décidé que les mails du salarié issus de sa messagerie personnelle sont un mode de preuve illicite et ce même si la consultation de ces derniers s’est faite sur son ordinateur de travail (Cass. soc. 26-1-2016 n° 14-15.360).
Pour mémoire, les e-mails échangés par un salarié à l’aide de l’outil informatique mis à sa disposition par l’employeur pour les besoins de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel. L’employeur peut donc librement les contrôler, dès lors qu’ils n’ont pas été expressément identifiés comme personnels, à moins que le règlement intérieur de l’entreprise n’en dispose autrement (Cass. soc. 26-6-2012 n° 11-15.310 : RJS 10/12 n° 761). En revanche, s’ils ont été identifiés comme tels, l’employeur ne peut les ouvrir qu’en présence de l’intéressé ou celui-ci dûment appelé à cette fin (Cass. soc. 15-12-2010 n° 08-42.486 : RJS 2/11 n° 92 ; Cass. soc. 16-5-2013 n° 12-11.866 : RJS 7/13 n° 503).
En réalité, cette jurisprudence, pour précise qu’elle soit, ne couvrait qu’imparfaitement la problématique des correspondances du salarié et plus particulièrement celles échangées par le biais de la messagerie professionnelle de l’entreprise (l’évolution même du travail et l’interpénétration des sphères privées et professionnelles ne pouvant qu’amener à l’utilisation personnelle d’outils destinés au travail).
Il convient de préciser que dans la décision dont il est ici question, le salarié, s’il utilisait son ordinateur professionnel, utilisait une messagerie strictement personnelle et n’avait pas enregistré sur le disque dur de l’ordinateur les correspondances dont l’employeur a tenté de se prévaloir ensuite.
Rappelons en effet que la jurisprudence de la Cour de cassation confère un caractère présumé professionnel aux fichiers informatiques enregistrés sur le disque dur d’un ordinateur de l’entreprise. La chambre sociale a ainsi jugé que les courriels intégrés dans le disque dur de l’ordinateur de travail d’un salarié, ne sont pas identifiés comme personnels du seul fait qu’ils émanent initialement de la messagerie électronique personnelle de l’intéressé, et peuvent donc être consultés librement par l’employeur (Cass. soc. 19-6-2013 nos 12-12.138 et 12-12.139 : RJS 10/13 n° 650).
C’est donc très logiquement que la Cour de cassation a précisé que des messages électroniques provenant de la messagerie personnelle du salarié, distincte de la messagerie professionnelle dont il dispose pour les besoins de son activité, devaient nécessairement être écartés des débats, leur production en justice portant atteinte au secret des correspondances. Une solution identique avait déjà été retenue par la chambre commerciale de la Cour de cassation (Cass. com. 16-4-2013 n° 12-15.657 : RJS 7/13 n° 538).
Seul reste donc admis un contrôle de sa messagerie professionnelle, dans les conditions précédemment rappelées.
Ne pas respecter cette interdiction, outre qu’elle rend irrecevable devant le juge les messages provenant de la messagerie personnelle du salarié, expose l’employeur à des poursuites pénales sur le fondement de l’article 226-15 du Code pénal réprimant le délit d’atteinte au secret des correspondances (actuellement passible d’un an d’emprisonnement et d’une amende pouvant aller jusqu’à 45 000 € pour les personnes physiques). Et l’employeur engager également sa responsabilité civile et être condamné à réparer le préjudice subi par le salarié.
Bref, un appel général à la prudence s’impose…