On a beaucoup glosé sur l’alcool en entreprise, et les temps, qui vont de moins en moins vers la tolérance envers l’ivresse en ces lieux, ont récemment amené le Conseil d’Etat à se pencher sur la possibilité d'y contrôler l’usage des stupéfiants (et l’écoute du reggae ?) (CE 5-12-2016 n° 394178).
Ce contrôle doit être prévu par le règlement intérieur, qui en organise les conditions d’exercice, mais surtout, la juridiction a autorisé que le recours à un test salivaire puisse être effectué par l’employeur ou un supérieur hiérarchique.
Le monde de l’entreprise est de plus en plus confronté à cette problématique de la consommation de drogues sur le lieu de travail, et les dysfonctionnements divers en résultant ne pouvaient qu’autoriser une relative souplesse accordée à l’employeur pour pouvoir en contrôler, voire en restreindre l’usage (pour mémoire, cela reste interdit de consommer des stupéfiants, sur le lieu de travail, comme ailleurs !).
Si de nombreux comités Théodule se sont prononcés sur cette question, le manque de règles précises applicables fait cruellement défaut lorsqu’il s’agit de savoir si un employeur peut se faire à la fois médecin et policier.
En prenant finalement position sur la clause d’un règlement intérieur relative à la mise en œuvre par l’employeur de tests salivaires de détection de produits stupéfiants, le Conseil d’Etat fournit enfin quelques indications claires quant à ce que l’employeur peut faire.
L’affaire en question est née d’un projet de règlement intérieur d’une entreprise du bâtiment prévoyant, pour les salariés affectés à certains postes qualifiés d’hypersensibles, ayant été identifiés en collaboration avec le médecin du travail et les délégués du personnel, la possibilité d’un contrôle aléatoire pour vérifier qu’ils ne soient pas sous l’emprise de stupéfiants durant l’exécution de leur travail (quand il s’agit d’être sur une échelle avec une scie sauteuse, ce n’est pas forcément idiot).
Ce contrôle devait se faire au moyen d’un test salivaire pratiqué par un supérieur hiérarchique ayant reçu une information appropriée sur la manière d’administrer le test et d’en lire le résultat, le salarié pouvant ensuite demander une contre expertise devant être effectuée dans les plus brefs délais et qu’il s’exposait à une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement en cas de contrôle positif. Ce test permettait simplement d’établir qu’il y avait bien eu consommation d’une des six substances illicites détectables.
L’inspecteur du travail saisi de ce projet avait estimé que certaines dispositions de celui-ci portaient une atteinte aux libertés individuelles des salariés disproportionnée au but de sécurité recherché. Il avait, pour ce motif, enjoint à l’entreprise de retirer la clause autorisant la pratique du test par un supérieur hiérarchique et celle prévoyant des sanctions en cas de contrôle positif. La décision de l’inspecteur du travail a d’abord été annulée par le tribunal administratif de Nîmes. Mais, sur recours du ministre du travail, ce jugement a lui-même été annulé par la cour administrative d’appel de Marseille, cette dernière alléguant du secret médical pour exclure la possibilité pour l’employeur ou un supérieur hiérarchique de faire des prélèvements (CAA Marseille 21-8-2015 n° 14MA02413).
Le Conseil d’Etat a quant à lui considéré que le test salivaire envisagé par l’employeur avait pour seul finalité de révéler, par une lecture immédiate, l’existence d’une consommation récente de produits stupéfiants. Il ne constituait alors pas un examen de biologie médicale au sens du Code de la santé publique nécessitant d’être réalisé par un biologiste médical ou sous sa responsabilité. N’ayant pas pour objet d’apprécier l’aptitude médicale des salariés à exercer leur emploi (cette affirmation est éventuellement discutable, puisque ce test permet d’apprécier l’aptitude des salariés à exercer leurs fonctions à un moment donné), il ne requiert pas non plus l’intervention d’un médecin du travail.
Enfin, le Conseil d’Etat souligne qu’aucune autre règle ni aucun principe ne réservent le recueil d’un échantillon de salive à une profession médicale. Rien ne s’oppose dès lors à ce qu’un test salivaire soit dans certains cas pratiqué par l’employeur ou par un supérieur hiérarchique, tous deux tenus par le secret professionnel en l’espèce.
Pour affirmer que ledit règlement intérieur n’apportait pas une atteinte disproportionnée aux droits et libertés des salariés (articles L 1121-1 et L 1321-3 du Code du travail), le Conseil d’Etat a notamment retenu :
- Il réservait les contrôles aléatoires de consommation de stupéfiants aux seuls postes dits « hypersensibles »;
- Le règlement intérieur reconnaissait aux salariés ayant fait l’objet d’un test salivaire positif le droit d’obtenir une contre expertise médicale (à la charge de l’employeur).
Le Conseil d’Etat pose enfin une condition essentielle à la mise en œuvre de ces tests : l’obligation pour l’employeur et le supérieur hiérarchique de respecter le secret professionnel s’agissant des résultats de celui-ci.
Enfin, il justifie aussi la licéité des tests salivaires au regard de l’obligation de sécurité à laquelle l’employeur est tenu en application de l’article L 4121-1 du Code du travail.
Dans une approche pratique, surtout, la juridiction considère que si étaient respectées les conditions ci-dessus exposées, le règlement intérieur pouvait valablement envisager pour le salarié, en cas de contrôle positif, une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement.
Cette décision récente devrait logiquement influer la jurisprudence afférente aux éthylotests. En effet, la Haute Juridiction administrative a jusque ici jugé que le contrôle par éthylotest prévu par un règlement intérieur ne pouvait avoir pour objet que de prévenir ou de faire cesser immédiatement une situation dangereuse, et non de permettre à l’employeur de faire constater par ce moyen une éventuelle faute disciplinaire (CE 9-10-1987 n° 72220 ; CE 12-11-1990 n° 96721).
Or, dans l’espèce dont il est ici question, le règlement intérieur prévoyait des mesures de contrôle « drogue et alcool », spécifiques aux postes à risques, il est donc très vraisemblable qu’un salarié ayant abusé du Beaujolais Nouveau dès potron-minet puisse être contrôlé et sanctionné ,sans que l’on puisse trouver à y redire, pour peu que les conditions du contrôles exigées par le Conseil soient réunies.
Si cette évolution devait se confirmer, il en résulterait un rapprochement avec la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation qui admet la légitimité d’une sanction disciplinaire faisant suite à un contrôle d’alcoolémie positif, pouvant le cas échéant aller jusqu’au licenciement pour faute grave (Cass. soc. 22-5-2002 n° 99-45.878 FS-PB ; Cass. soc. 24-2-2004 n° 01-47.000 F-D).
S’agissant du recours par l’employeur à des tests salivaires de dépistage de stupéfiants, la chambre sociale n’a pas encore eu l’occasion de statuer directement sur les conditions de sa licéité. Mais elle l’a en réalité quasiment fait en jugeant fondé le licenciement pour faute grave du steward d’une compagnie aérienne, faisant partie du « personnel critique pour la sécurité des vols », ayant consommé des drogues dures au cours d’escales entre deux vols (on sait encore s’amuser dans les longs courriers visiblement) – ce que l’intéressé avait reconnu devant la police locale – et qui se trouvait toujours sous l’influence de celles-ci lors de la reprise de fonctions (Cass. soc. 27-3-2012 n° 10-19.915 FS-PB).
Force est de reconnaître la mesure et le bien-fondé de ces décisions récentes, tenant essentiellement compte, et de manière proportionnée, de la sécurité des salariés et de leur entourage au moment de l’accomplissement de leurs fonctions.