Toujours soucieux de vanter les mérites du tourisme judiciaire français, nous voilà à la cour d’appel d’Orléans. Il ne s’agit certainement pas avec cette chronique de favoriser les bas instincts de l’éventuel lectorat, mais il sera cette fois question de la gestion de ses pulsions, même verbales, au temps et sur le lieu de travail.
Dans sa première rédaction, l’article L 1153-1 du Code du travail définissait le harcèlement sexuel par le but poursuivi par son auteur, lequel pouvait se résumer à la volonté d’obtenir des faveurs de nature sexuelle (acception technique dans ses termes, mais finalement assez claire dans ce qu’elle décrit).
C’est ainsi qu’un temps la jurisprudence a considéré la grivoiserie sur le lieu de travail comme n’étant pas constitutive de harcèlement sexuel (CA Versailles 27 sept. 2012, n° 11-03057). La réécriture du texte fondateur par la loi du 6 août 2012 a quelque peu modifié la donne : sont maintenant constitutifs de harcèlement sexuel « des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui (subis par un salarié) soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent une situation intimidante, hostile ou offensante ».
Il ne s’agit plus de sanctionner un quidam pour ses appétits trop directs ou explicites (et pas forcément partagés) sur le lieu de travail, mais un comportement plus général et intrinsèquement humiliant.
En l’espèce, la Cour d’appel a étendu quelque peu l’application du texte en jugeant que « le harcèlement sexuel peut consister en un harcèlement environnemental ou d’ambiance, où, sans être directement visée, la victime subit les provocations et blagues obscènes ou vulgaires qui lui deviennent insupportables ».
Cette lecture peut sembler surprenante et pour le moins extensive. La salariée avait entendu en l’espèce dénoncer le caractère misogyne et offensant du climat de travail au sein d’un journal de presse locale. Elle aurait ainsi été exposée à des comportements déplacés, mais sans justement établir avoir été elle-même directement visée.
L’atmosphère était ainsi qualifiée de sexiste, graveleuse, caractérisée par des propos (et bruits) vulgaires tenus en sa présence. Une atmosphère particulièrement raffinée donc, tenant plus du vestiaire que de la salle de rédaction d’un organe d’information.
Ainsi, comme cette espèce le montre, la notion de harcèlement sexuel qui visait initialement la sanction du comportement de l’auteur, a depuis opéré un glissement vers le seul ressenti de la victime. Qu’importe qu’elle n’ait pas été directement concernée par ces agissements, il suffit qu’elle ait pu en souffrir, notamment par une altération de son état de santé (ce qui était le cas en l’espèce).
Le climat de travail intimidant, hostile et offensant devient le lien de causalité sans qu’il y ait besoin de s’intéresser aux éventuelles relations existant entre l’auteur des faits incriminés et la victime.
Enfin, si les gestes sont évidemment particulièrement répréhensibles, les mots peuvent suffire : propos sexistes, grivois, obscènes ou insultants. Il est certain que la répétition de tels propos peut contribuer à créer une ambiance quelque peu déplaisante à la longue et de nature à, comme le disait le médecin du travail dans ses conclusions, entraîner « une atteinte à la dignité provoquant une effraction dans le fonctionnement mental ne permettant plus à l’individu de trouver les ressources pour y faire face ».
Cette évolution de la notion même de harcèlement sexuel amène à s’interroger sur le moyen de prouver l’existence d’un tel « harcèlement sexuel d’ambiance ».
Il appartient désormais au salarié de « présenter » des faits laissant présumer le harcèlement sexuel, sans nécessité de les « établir ». Les juges feront le reste et trancheront, en appréciant les éléments versés aux débats par les parties, décidant si l’on est dans le potache ou dans l’agression systématique et caractérisée.
Pour mémoire, il appartient à l’employeur de prendre les mesures nécessaires en vue de prévenir le harcèlement sexuel, d’y mettre un terme et de les sanctionner, et il s’agit d’une obligation de résultat (article L 1153-1 du Code du travail). Prudence donc quand la communauté de travail se transforme en une émission de Collaro (pour les plus âgés) ou de Cyril Hanouna (pour les plus jeunes).