Le déconfinement à peine entamé, nous autres avocats plaidants, nous avons commencé à nous enquérir du sort de nos dossiers auprès des greffes jusqu’alors bien silencieux.
Alors que de mon côté, j’attendais notamment une date de renvoi dans un référé, quelle ne fut pas notre surprise de découvrir que dans cette affaire, une ordonnance avait été rendue durant le confinement. La demanderesse (j’étais défendeur) s’était vue déboutée de ses demandes, sans audience ni convocation, et sans même avoir pris connaissance de nos écritures et pièces, ces dernières devant être en principe remise le jour de la convocation, à l’issue de la plaidoirie qui n’avait donc jamais eu lieu.
À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire, le Conseil de prud’hommes a tranché dans notre sens, sans peut-être même savoir ce qu’on en pensait !
Dans notre chronique précédente, rédigée pendant le confinement, nous appelions de nos vœux l’avènement de la cyberjustice afin de limiter les déplacements superfétatoires, à tout le moins pour les affaires simples et courantes, mais en tout état de cause certainement pas sans ministère d’avocat (au moins derrière un écran !).
Il semble que la pandémie ait permis d’aller plus vite en besogne, puisque il fut possible de juger (certes uniquement en référé), sans entendre les parties. Est ainsi rappelé dans le corps de la décision l’article 9 de l’ordonnance du 25 mars 2020 autorisant la formation de référés à rejeter la demande avant l’audience, par ordonnance non contradictoire, s’il n’y a pas lieu à référé – comprendre ici que les magistrats peuvent décider seuls, sans écouter les arguments des uns et des autres.
Cette tendance à court-circuiter les représentants des parties s’illustre également devant certaines juridictions qui proposent d’ores et déjà de se passer de la plaidoirie, avec un argument de poids : si vous souhaitez plaider, ce sera renvoyé aux calendes grecques.
A l’heure où l’on envisage de réformer les cours d’assises pour se passer de jurés et où des confrères avocats se vantent de pouvoir déterminer par le big data si vous allez gagner ou perdre votre procès, ces phénomènes cumulés inquiètent.
Il est évident que la disparition des avocats émeut moins que celle des pandas – pourtant également vêtus de noir et blanc – mais il n’est pas interdit à l’électeur de s’interroger sur la manière dont il veut voir la justice rendue et si l’on doit réellement accepter que les droits de la défense soient ramenés à leur plus simple expression.
Sébastien Bourdon
Avocat à la Cour