En ces temps plus ou moins confinés, télétravail oblige, la frontière entre le boulot et la vie privée devient nécessairement de plus en plus ténue. Intéressons-nous un peu, à ce qu’il en est des sentiments amoureux et dans quelle mesure l’employeur aurait un droit de regard dessus (car, du lieu comme des circonstances, Cupidon par ailleurs se fout, comme chacun sait).
En l’espèce, la Cour de cassation a eu à trancher l’épineuse question du rattachement à la vie professionnelle du comportement d’un amoureux éconduit (Cass. soc. 16-12-2020 n° 19-14.665 F-D, Sté Banque populaire c/ X).
En l’espèce, un salarié avait entretenu pendant plusieurs mois une relation amoureuse avec une de ses collègues de travail. Nous relèverons ici la pudeur avec laquelle les juges ont qualifié cette idylle, ayant considéré qu’elle était faite « de ruptures et de sollicitations réciproques » (fuis l’amour, il te suit, suis l’amour, il te fuit).
Comme le chantait Michel Jonasz, « y a rien qui dure toujours », cette affaire sentimentale un beau jour s’est achevée, semble-t-il sur un mode consensuel. Mais le salarié se révèle encore épris et, jaloux, pose une balise GPS sur le véhicule personnel de son ex-compagne. Il ne se contente d’ailleurs pas de seulement surveiller ses déplacements, mais lui adresse également des messages à caractère personnel à partir de sa messagerie professionnelle.
Le garçon soupçonne en effet l’impétrante d’avoir noué une relation amoureuse avec un autre salarié de l’entreprise. L’employeur, alerté de ces agissements, mène une enquête à l’issue de laquelle il engage une procédure de licenciement à l’encontre du salarié.
De quoi se mêle-t-il ? Il part du principe qu’il s’agit d’un harcèlement dans un cadre professionnel, se place alors sur le terrain disciplinaire et licencie l’employé pour faute grave. A contrario, l’évincé de l’entreprise (et de la vie de celle dont il est épris) considère que son employeur a outrepassé ses pouvoirs dans la mesure où les faits relèvent de sa vie privée (et donc ne peuvent justifier son licenciement, selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, sauf à ce qu’ils se rattachent à la vie professionnelle du salarié).
La cour d’appel saisie du litige n’avait pas contesté la matérialité des faits, mais avait considéré qu’ils étaient exclusivement liés aux relations privées nouées par les deux salariés. Partant de là, ils ne constituaient pas une faute pouvant être sanctionnée par l’employeur. L’employeur, condamné à verser au salarié plus de 30 000 € d’indemnités de rupture, près de 4 500 € de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire et 60 000 € de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, s’est pourvu en cassation.
Mal lui en a pris, la Cour de cassation ne bouge pas d’un iota et reprend le raisonnement suivi par les juges du fond.
En premier lieu, elle estime que les faits reprochés au salarié ne constituaient pas un harcèlement moral. Elle relève ensuite que la balise avait été posée sur le véhicule personnel de la salariée et que les envois de messages au moyen de l’outil professionnel s’étaient limités à deux, sans que les faits n’aient eu de surcroît aucun retentissement au sein de l’agence ou sur la carrière de l’intéressée (éléments semble-t-il essentiels pour faire le distinguo vie personnelle/professionnelle).
Par conséquent, les faits relevaient de la vie privée du salarié, et échappaient au pouvoir disciplinaire de l’employeur. Le licenciement est jugé dépourvu de cause réelle et sérieuse.
A l’instar de la Cour de cassation – saisie ici d’une question afférente au droit du travail – il ne nous appartient pas de trancher sur le caractère blâmable du comportement même de ce garçon, éventuellement pénalement et civilement condamnable. Tout juste pourrait-on citer Lacan : « L’amour, c’est donner ce qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas ».
Sébastien Bourdon