S’il est un sujet tendance dans le monde du travail en ces années de fin du monde plus ou moins programmée, c’est bien le télétravail, technique moderne qui permet de travailler pas si mal en fait et de boire un meilleur café chez soi sans être obligé de converser avec ses collègues.
« Mais une fois que ce truc a commencé, comment est-ce qu’on l’arrête ? » s’interroge parfois l’employeur finissant par se sentir un peu seul dans l’open-space ?
Pour mémoire, le télétravail peut être mis en place dans le cadre d’un accord collectif ou, à défaut, d’une charte élaborée par l’employeur après avis du comité social et économique, s’il existe. En l’absence d’accord collectif ou de charte, le salarié et l’employeur peuvent convenir de recourir au télétravail en formalisant leur accord par tout moyen (C. trav. art. L 1222-9).
Autant dire que c’est relativement souple à mettre en place, ce qui a arrangé tout le monde quand la pandémie nous est tombée dessus.
En l’espèce, l’absence de formalisation comme de formalisme a posé problème lorsqu’il s’est agi d’y mettre fin.
En effet, l’employeur imaginant qu’il avait autorité pour le faire, a un jour exigé de son subordonné qu’il revienne travailler in situ à raison de deux jours par semaine, au lieu de promenades épisodiques dans les locaux de l’entreprise.
Il faut ici préciser que cette organisation du travail datait de 2009 et que cette soudaine exigence a été formalisée en juin 2017, par courrier. Cette nouvelle tétanise l’impétrant qui se place illico subito en arrêt maladie et, estimant que ce changement ne peut pas se faire sans son accord, il saisit quelques mois après la juridiction prud’homale d’une demande en résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur, avant d’être licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement en 2019.
Il est d’abord débouté de sa demande par le conseil de prud’hommes. Ne s’en laissant pas compter aussi facilement, il interjette appel, faisant valoir les sujétions qui pèsent sur lui du fait du changement imposé : qu’alors qu’il se rend habituellement deux fois par an seulement au siège de l’entreprise depuis 2009 et qu’il ne réside pas dans le même département que celui-ci, y passer deux jours par semaine, et notamment le lundi, l’oblige à voyager le dimanche. En outre, si aucun accord sur la mise en place du télétravail n’a été formalisé entre les parties, il s’agit d’un accord verbal, comme le permet l’article L 1222-9 du Code du travail, et son employeur ne peut pas décider d’une telle modification sans son accord.
Pour sa part, la société fait valoir un raisonnement lapidaire : aucun télétravail n’a été mis en place par l’employeur, de sorte que la réglementation afférente ne trouve pas à s’appliquer. La présence régulière du salarié dans l’entreprise est nécessaire, comme pour l’ensemble de l’équipe commerciale, et le salarié ne pouvait donc s’y dérober.
Bien essayé, mais ça ne passe pas et la Cour d’appel d’Orléans infirme le jugement et fait droit à la demande du salarié en résiliation judiciaire de son contrat de travail. Tout d’abord, elle constate que le contrat de travail signé entre les parties ne prévoit aucun lieu précis d’exécution du contrat de travail, mais que le salarié est chargé de représenter la société notamment en France et en Europe.
Par ailleurs, depuis 2009, comme évoqué, le salarié ne se rendait que très rarement au siège de l’entreprise, effectuant ses démarches commerciales chez les clients et communiquant avec son employeur à distance, sans qu’aucune explication ne semble lui avoir été demandée sur ce point. L’employeur avait par conséquent tacitement accepté pendant plusieurs années ce mode d’organisation du travail laissant entière liberté de lieu de vie et d’organisation au salarié.
Dès lors, en changeant les règles du jour au lendemain, la société a modifié un élément essentiel du contrat de travail : changer le lieu d’exécution de la prestation de travail était de nature à bouleverser non seulement l’organisation professionnelle du salarié, mais également ses conditions de vie personnelle. Le salarié était donc en droit d’opposer un refus et ce d’autant que cette décision unilatérale aurait participé à la détérioration de son état psychique.
L’employeur ayant préféré le licenciement à un retour au statu quo ante, cela justifie pour la cour d’appel la résiliation judiciaire du contrat de travail qui produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Où l’on voit l’utilité de la rédaction d’une charte ou d’un accord préalable écrit permettant de fixer les conditions d’un retour au travail sur le site de l’entreprise, sinon, ça peut durer une éternité (« et l’éternité c’est long, surtout vers la fin » Woody Allen).