Conduite à risques

Droit Social

Tout salarié se fait légitimement l’observation suivante lorsqu’il fait une bêtise en dehors du temps et du lieu de travail : « ce qui se passe chez moi, reste chez moi ».

Pourtant, il est de jurisprudence constante qu’un salarié peut être sanctionné pour une faute commise dans le cadre de sa vie personnelle, dès lors que les faits se rattachent à sa vie professionnelle.
Une illustration de ce principe nous a été donnée en début d’année par la Cour de cassation, s’agissant d’un accident en état d’ébriété au volant d’un véhicule de fonction (Cass. soc. 19-1-2022 n° 20-19.742 F-D, Z. c/ Sté Manchettes résines réhabilitation de réseaux).

L’impétrant exerçait les fonctions de chef d’équipe dans le secteur du bâtiment, et c’est de retour d’un salon professionnel où il s’était rendu sur instruction de l’employeur que l’accident s’est produit. Le problème était d’autant plus sérieux que le salarié avait vraisemblablement fait une dégustation un peu approfondie de crus locaux en libre-service sur les stands, ce qu’ont constaté les forces de l’ordre sur le lieu de l’accident.

Licencié pour faute grave, le salarié a saisi le juge prud’homal pour contester la légitimité de la rupture (vous noterez mon goût prononcé pour les gens qui ne manquent pas d’air – quand bien même ils auraient soufflé dans le ballon – pour mes chroniques jurisprudentielles). Selon lui, les faits, commis en dehors du temps et du lieu de travail, relevaient de sa vie personnelle et ne pouvaient pas, par conséquent, justifier un licenciement disciplinaire.

La faute grave a pourtant été retenue par la Cour de cassation, approuvant l’analyse des juges du fond. Et pour ce faire, elle a évidemment considéré que les faits reprochés se rattachaient à sa vie professionnelle (pour un autre exemple, je recommande le passage à tabac d’un subordonné en dehors des heures de bureau : Cass. soc. 6-2-2002 no 99-45.418 F-D).

En l’espèce, facteur aggravant, les faits étaient susceptibles de mettre en jeu la responsabilité de l’employeur.

Trois éléments permettent donc aux juges de relier l’accident de la circulation reproché au salarié à sa vie professionnelle : le salarié était au volant de son véhicule de fonction, il rentrait d’un salon professionnel, et il s’était rendu à ce salon sur instruction de son employeur, pour les besoins de son activité professionnelle.

Note à l’attention des employeurs : la faute ce n’est pas d’avoir perdu son permis de conduire, c’est d’avoir provoqué un accident pouvant se rattacher à la vie professionnelle, nuance sur laquelle la lettre de rupture ne devra pas faire l’impasse.

 

Sébastien Bourdon

Le réseau social et la confidentialité

Droit Social

Des nombreux réseaux sociaux existants, il en est un supposé s’intéresser plus particulièrement au monde du travail : LinkedIn. Et chacun sur ces pages virtuelles de s’extasier de ses accomplissements comme de ceux des autres, avec l’habituelle faconde qui fait loi s’agissant de flatter autrui comme soi-même. Comme on y dit souvent : « c’est très inspirant ».

Le sujet a déjà été évoqué par la jurisprudence à propos notamment de Facebook, mais récemment la Cour d’appel de Paris s’est attachée à ce que l’on peut dire dans en ces espaces, sans dépasser certaines limites (CA Paris 23-2-2022 n 19/07192, Sté Safran Aircraft engines c/ H).
En l’espèce, était posée la question du secret professionnel, sous-tendue par l’obligation générale de loyauté. Un salarié, et cela ne semble pas absurde, doit s’interdire de diffuser auprès de tiers les informations dont il a connaissance dans l’exercice de ses fonctions et qui risquent de nuire à la bonne marche de l’entreprise.
Dans le cas ici tranché, ça ne rigolait pas du tout puisque l’entreprise concernée opérait dans le secteur de la défense (nationale).
Ledit salarié exerçait les fonctions de chef de projet dans le secteur recherche et développement, avait fait l’objet d’un licenciement disciplinaire après avoir diffusé sur le réseau Linkedin des images de coupes et géométries d’un moteur, ces éléments étant, selon l’entreprise, susceptibles d’être utilisés par les concurrents.
L’employeur lui reprochait d’avoir enfreint l’obligation de confidentialité figurant dans son contrat de travail et inhérente à ses fonctions de responsable « Recherche et Développement ». Il s’avère que le règlement intérieur de l’établissement imposait en particulier de garder une « discrétion absolue » sur les informations et procédés de fabrication de la société au nom notamment d’impératifs liés à la défense nationale.
Pour se justifier et contester son licenciement, le salarié faisait valoir que les informations diffusées sur LinkedIn étaient librement accessibles et en pratique inexploitables faute de paramètres ou d’échelle. Preuve en était qu’il avait trouvé lesdites images sur un poster affiché dans les locaux, ce souci de la décoration d’intérieur ne pouvait que mal se marier avec le secret professionnel !
Las, la Cour d’appel parisienne ne l’entend pas de cette oreille et rejette les arguments du salarié, lui assénant une leçon dont on ne sait si elle lui fut profitable, mais qui pourra servir à d’autres à l’avenir : il se devait de respecter les obligations contractuelles figurant à son contrat, en l’occurrence de confidentialité et de respect du secret professionnel, sous peine de perdre son emploi (ce qui lui arriva).
Les juges du fond ont caractérisé le manquement disciplinaire estimant que :
• les images publiées provenaient d’informations issues de documents internes qui n’étaient pas destinés à une publication sur un réseau social et dont le salarié avait eu connaissance dans le cadre de l’exercice de ses fonctions ;
• il les avait utilisées sans vérifier, au regard des règles de confidentialité qui lui était applicables, s’il lui était possible de les publier.
Le fait que ces images aient été affichées dans le couloir qui mène à la cantoche ne changeait rien à l’affaire, la Cour d’appel estimant que peu importait « le degré de classification de ces documents ».
Dans un registre similaire, mais plus glamour, un salarié avait fait l’objet d’un licenciement disciplinaire après avoir publié la photographie du défilé de la nouvelle collection sur son compte privé Facebook comptant plus de 200 « amis » professionnels alors qu’il était soumis contractuellement à une clause de confidentialité (Cass. soc. 30-9-2020 no 19-12.058 FS-PBRI).

Des mérites de la formalisation appliquée au télétravail.

Droit Social

S’il est un sujet tendance dans le monde du travail en ces années de fin du monde plus ou moins programmée, c’est bien le télétravail, technique moderne qui permet de travailler pas si mal en fait et de boire un meilleur café chez soi sans être obligé de converser avec ses collègues.

« Mais une fois que ce truc a commencé, comment est-ce qu’on l’arrête ? » s’interroge parfois l’employeur finissant par se sentir un peu seul dans l’open-space ?
Pour mémoire, le télétravail peut être mis en place dans le cadre d’un accord collectif ou, à défaut, d’une charte élaborée par l’employeur après avis du comité social et économique, s’il existe. En l’absence d’accord collectif ou de charte, le salarié et l’employeur peuvent convenir de recourir au télétravail en formalisant leur accord par tout moyen (C. trav. art. L 1222-9).
Autant dire que c’est relativement souple à mettre en place, ce qui a arrangé tout le monde quand la pandémie nous est tombée dessus.
En l’espèce, l’absence de formalisation comme de formalisme a posé problème lorsqu’il s’est agi d’y mettre fin.
En effet, l’employeur imaginant qu’il avait autorité pour le faire, a un jour exigé de son subordonné qu’il revienne travailler in situ à raison de deux jours par semaine, au lieu de promenades épisodiques dans les locaux de l’entreprise.
Il faut ici préciser que cette organisation du travail datait de 2009 et que cette soudaine exigence a été formalisée en juin 2017, par courrier. Cette nouvelle tétanise l’impétrant qui se place illico subito en arrêt maladie et, estimant que ce changement ne peut pas se faire sans son accord, il saisit quelques mois après la juridiction prud’homale d’une demande en résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur, avant d’être licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement en 2019.
Il est d’abord débouté de sa demande par le conseil de prud’hommes. Ne s’en laissant pas compter aussi facilement, il interjette appel, faisant valoir les sujétions qui pèsent sur lui du fait du changement imposé : qu’alors qu’il se rend habituellement deux fois par an seulement au siège de l’entreprise depuis 2009 et qu’il ne réside pas dans le même département que celui-ci, y passer deux jours par semaine, et notamment le lundi, l’oblige à voyager le dimanche. En outre, si aucun accord sur la mise en place du télétravail n’a été formalisé entre les parties, il s’agit d’un accord verbal, comme le permet l’article L 1222-9 du Code du travail, et son employeur ne peut pas décider d’une telle modification sans son accord.
Pour sa part, la société fait valoir un raisonnement lapidaire : aucun télétravail n’a été mis en place par l’employeur, de sorte que la réglementation afférente ne trouve pas à s’appliquer. La présence régulière du salarié dans l’entreprise est nécessaire, comme pour l’ensemble de l’équipe commerciale, et le salarié ne pouvait donc s’y dérober.
Bien essayé, mais ça ne passe pas et la Cour d’appel d’Orléans infirme le jugement et fait droit à la demande du salarié en résiliation judiciaire de son contrat de travail. Tout d’abord, elle constate que le contrat de travail signé entre les parties ne prévoit aucun lieu précis d’exécution du contrat de travail, mais que le salarié est chargé de représenter la société notamment en France et en Europe.
Par ailleurs, depuis 2009, comme évoqué, le salarié ne se rendait que très rarement au siège de l’entreprise, effectuant ses démarches commerciales chez les clients et communiquant avec son employeur à distance, sans qu’aucune explication ne semble lui avoir été demandée sur ce point. L’employeur avait par conséquent tacitement accepté pendant plusieurs années ce mode d’organisation du travail laissant entière liberté de lieu de vie et d’organisation au salarié.
Dès lors, en changeant les règles du jour au lendemain, la société a modifié un élément essentiel du contrat de travail : changer le lieu d’exécution de la prestation de travail était de nature à bouleverser non seulement l’organisation professionnelle du salarié, mais également ses conditions de vie personnelle. Le salarié était donc en droit d’opposer un refus et ce d’autant que cette décision unilatérale aurait participé à la détérioration de son état psychique.
L’employeur ayant préféré le licenciement à un retour au statu quo ante, cela justifie pour la cour d’appel la résiliation judiciaire du contrat de travail qui produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Où l’on voit l’utilité de la rédaction d’une charte ou d’un accord préalable écrit permettant de fixer les conditions d’un retour au travail sur le site de l’entreprise, sinon, ça peut durer une éternité (« et l’éternité c’est long, surtout vers la fin » Woody Allen).

Défense de trop écrire

Droit Social

Quel avocat ne s’est entendu dire, à peine son tour venu et sur le point de commencer sa plaidoirie, « Maître, je vous en prie, soyez bref » (un avocat célèbre aurait un jour répondu : « Monsieur le Président, si ce métier ne vous plaît pas, vous n’avez qu’à en choisir un autre »).

Ce qui nous est maintenant demandé instamment à l’oral serait en passe de l’être également à l’écrit. En effet, dans une note du 27 août 2021, la Direction des Affaires Civiles et du Sceau (DACS) propose là d’encadrer davantage les écritures des avocats, notamment en imposant un résumé de taille limitée.

Pour les béotiens, précisons tout de suite ce qu’est la DACS, organisme ancestral puisque créé au début du 19ème siècle : elle a notamment pour mission d’élaborer ou concourir à la rédaction des lois et réglementations en matière civile et commerciale (un « comité Théodule » comme aurait dit le Général ?).

Et voilà que cette Direction, dans la notoire torpeur estivale du mois d’août, a pondu une note modestement intitulée « Structuration des écritures des avocats et dossier unique de pièces : propositions ». Or, ce qu’elle propose revient à enfermer plus encore la profession d’avocat et la défense de manière générale dans un cadre réglementaire dont on nous permettra de dire qu’il est insupportable. On ne cesse de vouloir réduire notre temps de parole, voilà qu’on veut raccourcir notre propos (rappelons qu’il ne s’agit pas là de défendre une profession mais de rappeler que justement, il s’agit de défendre le citoyen).

En effet, il est préconisé de modifier les articles 768 et 954 du Code de procédure civile, pour prévoir en première instance comme en appel :

  • « une nouvelle synthèse des moyens obligatoire en fin de discussion,
  • la limitation de la taille de celle-ci à 1000 mots,
  • L’obligation de récapituler les moyens dans l’ordre des prétentions et sous la forme d’une liste numérotée, comprenant mention des pièces afférentes,
  • la création d’un dossier unique de pièces inspiré de la pratique administrative ».

Et de préciser que le tribunal ne sera « valablement saisi que des moyens développés dans la discussion et récapitulés dans la synthèse ».

Evidemment, et selon une technique de communication devenue la norme en matière d’annonces gouvernementales, on nous précise que ce ne serait là que piste de réflexion (bien glissante la piste quand même).

Ces précautions langagières n’ont pas suffi à éviter la prévisible explosion de colère des avocats devant ce qui ne peut être vu que comme une atteinte à l’indépendance de l’avocat et une tentative de bafouer les droits de la défense même.

La Conférence des bâtonniers a évidemment immédiatement condamné une telle idée de réforme – « Les conclusions en 1 000 mots, c’est 1 000 fois non » – y voyant une « limitation inacceptable des droits des parties ».

Quant à limiter le nombre de mots, au-delà du « Fahrenheit 451 » annoncé de nos écritures, comment ne pas penser aux risques d’omission, de responsabilité professionnelle etc. ? « Ah oui, Monsieur Lupin, j’ai pas mis l’article machin, mais j’avais atteint le maximum de mots et il n’y avait plus de place dans le formulaire… »

On ne peut que s’étonner de cet enthousiasme étatique à fragiliser l’existant plutôt que d’annoncer de réelles et nécessaires réformes au fonctionnement d’une justice souvent appauvrie et sinistrée. Il en est ainsi de la complexité grandissante des procédures, véritable repoussoir au justiciable qui préférera jeter l’éponge que de se défendre dans un tel labyrinthe procédural.

Si l’on résume, moins à écouter, moins à lire, voilà qui annonce peut-être une réduction du nombre de magistrats à qui l’on expliquera bientôt qu’ils sont trop nombreux au regard de la réduction exponentielle de leurs tâches. La réduction de personnel est d’autant plus annoncée que l’on parle maintenant d’algorithmes à même de décortiquer les décisions précédemment rendues pour permettre aux magistrats de rendre les leurs (DataJust).

Des limites au principe de l’égalité de traitement

Droit Social

Tel un enfant inquiet de l’affection qu’on lui porte, le salarié regarderait-il toujours dans l’assiette du voisin pour être certain de ne pas être lésé ? Il est vrai qu’en droit du travail, le principe établi d’égalité de traitement pousse naturellement à s’assurer régulièrement de l’absence d’injustice à son endroit.

Surtout lorsque l’on sait que par principe, l’herbe est toujours plus verte dans le pré du voisin…

Dans un récent arrêt de cassation (Cass. soc. 12-5-2021 n° 20-10.796 F-P, La Halle SASU c / X), des salariées avaient poussé le bouchon un peu plus loin en sollicitant de pouvoir bénéficier d’un avantage pécuniaire issu d’une transaction signée par plusieurs de leurs collègues.

La réclamation n’était pas aussi absurde que cela puisque le cadre de signature de ces transactions individuelles s’inscrivait dans un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) prévoyant notamment, le bénéfice d’une indemnité supra-conventionnelle s’adressant à certaines catégories de salariés dont le poste supprimé avait amené leur reclassement sur un poste ensuite… lui-même supprimé.

La société avait ensuite conclu des transactions avec plusieurs salariés qui revendiquaient le paiement de ladite indemnité prévue au PSE. Ces salariés avaient ainsi perçu une indemnité transactionnelle au mois d’octobre 2016.

S’estimant lésées dans un monde injuste, plusieurs salariées ont alors sollicité de l’employeur le paiement de l’indemnité prévue au chapitre 8 ou le versement d’un montant équivalent sous forme de dommages-intérêts, en invoquant le principe d’égalité de traitement entre les salariés.

Pour déterminer la recevabilité d’une telle démarche, il convient comme souvent de revenir aux fondamentaux et à la nature des sommes versées.

Rappelons tout d’abord qu’aux termes de l’article 2044 du Code civil, la transaction est un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née ou préviennent une contestation à naître. Même lorsqu’elle intervient dans les relations de travail, la transaction est régie par le seul Code civil, nulle disposition du Code du travail ne l’évoquant.

Cela amène parfois à cette confrontation textuelle et pratique entre le droit des obligations et ses principes, parmi lesquels figure la liberté contractuelle, avec les spécificités du droit du travail, protectrices des salariés, et comme en l’espèce, l’égalité de traitement entre les salariés.

Cette tentative a fonctionné devant la Cour d’appel puisque les salariées ont obtenu la condamnation de la société à leur verser une somme au titre du préjudice né de la violation du principe d’égalité de traitement entre les salariés, ainsi qu’une somme au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail.

La Cour d’appel avait suivi ainsi un raisonnement collé aux dispositions du Code du travail, considérant que l’employeur aurait dû leur proposer un protocole transactionnel comme il l’avait fait pour d’autres salariées, leur situation était équivalente en termes d’ancienneté, de poste, de modification du contrat de travail pour raison économique et qu’elles avaient, comme eux, sollicité le bénéfice de l’indemnité supra-conventionnelle prévue par le PSE.

La Cour de cassation revient elle à la base, c’est-à-dire au Code civil : la transaction est un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née ou à naître. Un salarié ne peut invoquer le principe d’égalité de traitement pour revendiquer les droits et avantages issus d’une transaction conclue par l’employeur avec d’autres que lui.

La liberté contractuelle et l’autorité de la chose jugée entre les parties, attachées à la transaction en tant que contrat, s’opposent à ce que les stipulations qui y sont prévues et par lesquelles les parties s’accordent pour éteindre ou prévenir leur différend entrent dans le champ d’application du principe d’égalité de traitement entre les salariés. La transaction suppose, par ailleurs intrinsèquement des concessions réciproques qui peuvent engendrer une différence de traitement par rapport à d’autres salariés qui y sont étrangers.

La tentation est souvent grande chez les salariés d’invoquer les sommes transactionnelles perçues par d’autres pour justifier leurs propres réclamations indemnitaires. Las, c’est oublier que chaque cas a ses spécificités et que de surcroît le principe d’égalité de traitement n’y trouve pas sa place.

Si on résume, la pensée de Cour de cassation : comparaison n’est pas – forcément – raison.

Seul sans excuses

Droit Social

Tout le monde se souvient naturellement de ce fringant trader, Jérôme K., qui, il y a quelques années, avait quelque peu défrayé la chronique. Pour mémoire, on l’accusait d’avoir pris des « positions directionnelles sur différents indices boursiers » (on fait du droit social ici, pas du boursicotage, on est donc en bien en peine de vous expliquer précisément de quoi il retourne) pour un montant considérable (de l’ordre de 50 milliards d’euros), sans commune mesure avec la limite de risque de son activité.

Plus souciant encore, il avait sciemment dissimulé ses agissements, notamment par de nombreuses opérations fictives et par la falsification de documents censés justifier ces opérations, occasionnant au passage un préjudice de 4,9 milliards d’euros à la banque (une paille).

L’ancien trader a notamment été ensuite reconnu pénalement coupable d’introduction frauduleuse de données dans un système de traitement automatisé, de faux et usage de faux et d’abus de confiance (CA Versailles 23-9-2016 no 14/01570).

Mais si cette ténébreuse affaire de haute voltige financière atterrit sur ces pages, c’est que le trader désavoué et licencié avec pertes et fracas (c’est le cas de le dire) avait saisi le Conseil de prud’hommes de la contestation de la rupture de son contrat de travail.

Cela peut surprendre dans le contexte, mais l’audacieux jeune homme a d’abord obtenu gain de cause en première instance, pour être ensuite débouté en appel.
Son principal argument de contestation de la rupture était une circonstance qualifiée d’atténuante : les graves carences du système de contrôle de la banque auraient rendu possible le développement de sa fraude et ses conséquences financières.

Ce sont d’ailleurs ces mêmes circonstances qui avaient conduit le juge pénal à reconnaître un partage de responsabilités entre la banque et le trader et à conséquemment réduire drastiquement le montant de sa condamnation pécuniaire, nonobstant le préjudice financier subi par la banque. Ceci dit, les 4,9 milliards d’Euros, cela faisait quand même beaucoup pour un seul homme.

Le juge pénal avait notamment relevé les multiples carences et manquements de la banque en matière de sécurité et de surveillance, et considéré que ces dernières avaient eu un rôle majeur et déterminant dans la conception et la réalisation des infractions commises par le trader. Plus éclairant encore s’agissant maintenant d’aborder l’aspect social de la question, le juge relève que ces multiples manquements témoignaient non pas de négligences ponctuelles mais de choix managériaux privilégiant la prise de risque au profit de la rentabilité (CA Versailles 23-9-2016 no 14/01570).

C’est en partant de ce postulat pénalement constaté et judiciairement définitif que le salarié avait intenté son action devant la juridiction prud’homale, jusqu’à la Cour de cassation.

Rappelons en effet que l’attitude de l’employeur ou du supérieur hiérarchique peut parfois constituer une circonstance atténuante de nature à écarter la faute grave, voire la cause réelle et sérieuse du licenciement.

Toutefois, l’absence de grillage ne peut à elle seule justifier le vol des fruits et même si l’employeur a éventuellement une part de responsabilité dans la survenance des faits fautifs, les juges du fond peuvent ne pas en tenir compte dans leur appréciation lorsque la faute commise est d’une particulière gravité.

C’est ainsi que la Cour d’appel de Paris a considéré que de telles circonstances ne font pas perdre aux fautes commises par le trader leur degré de gravité. Grande et généreuse, elle a toutefois écarté la faute lourde qu’avait retenu l’établissement bancaire : en effet, le salarié n’avait jamais entendu nuire à la banque, mais plus probablement s’en mettre plein les poches. C’est donc la faute grave qui est retenue.

La Cour relève notamment que le jeune loup (de Paris) ne pouvait ignorer ce qu’il faisait au regard de son niveau de responsabilité et de compétence. Rappelons qu’il avait pris des positions directionnelles de l’ordre de 50 milliards d’euros alors que les fonds propres de la banque s’élevaient à… 31,275 milliards d’euros.

L’ex-trader se pourvoit en cassation contre l’arrêt d’appel, arguant des carences dans la sécurité et des manquements de la banque.

Confirmant la position de la cour d’appel, la Cour de cassation rejette son pourvoi. Après avoir rappelé la définition de la faute grave, elle approuve la cour d’appel d’avoir retenu que les carences graves du système de contrôle interne de la banque, qui avaient certes rendu possible le développement de la fraude, ne faisaient pas perdre à la faute du salarié son degré de gravité (Cass. soc. 17-3-2021 n° 19-12.586 FS-D, K. c/ Sté générale).

Force est de constater le raisonnement existentialiste de la juridiction : la Cour de cassation a considéré que le jeune homme était unique maître de ses actes, de son destin et des valeurs qu’il décidait d’adopter.

Sébastien Bourdon

Le barème ne fait pas forcément loi

Droit Social

Le retour du fils de la revanche : alors qu’un calme apparent régnait, voilà que la Cour d’appel de Paris en remet une couche et écarte dans une décision récente l’applicabilité du barème prud’homal dit « Macron » (CA Paris 16-03-2021 n° 19/08721, X. c/ Mutuelle Pleyel Centre de santé mutualiste).

Comme dans les espèces précédentes, aux solutions panachées selon les Cours saisies, était sur la sellette la conformité de ce barème aux textes internationaux, et plus particulièrement à la convention 158 de l’OIT qui exige une indemnisation appropriée du salarié dont le licenciement est injustifié.

Ce n’est pas la première Cour à passer outre – et probablement pas la dernière : suivant une logique qui sous-tend tous les argumentaires des opposants à cette tarification du préjudice, la Cour d’appel de Paris écarte à son tour l’application du barème d’indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse lorsqu’il ne permet pas d’assurer une réparation adéquate du préjudice subi par le salarié.

Belle et rebelle, la Cour d’appel parisienne se moque donc comme d’une guigne des deux avis rendus en juillet 2019 en formation plénière de la Cour de cassation qui, après le Conseil d’État, avait conclu à la compatibilité du barème prévu à l’article L 1235-3 du Code du travail avec l’article 10 de la convention 158 de l’OIT.

Le gaulois est réfractaire dit-on, et cela n’avait déjà pas empêché certaines cours d’appel d’écarter son application au cas par cas en fonction des circonstances de l’espèce en exerçant leur contrôle « in concreto », lorsque son application ne permet pas d’assurer une réparation adéquate aux salariés injustement licenciés (CA Reims 25-9-2019 no 19/00003 ; CA Grenoble 2-6-2020 no 17/04929).

La Cour d’appel de Paris, qui s’était d’abord sagement alignée sur les avis de la Cour de cassation, tourne casaque et accorde à une salariée dont le licenciement économique a été déclaré sans cause réelle et sérieuse une indemnité à ce titre d’un montant supérieur au plafond prévu par le barème.

Evidemment, ce qui intéresse ici, au-delà de cette position dissidente de Cour, c’est ce qu’a bien pu subir la salariée concernée du fait de cette perte d’emploi, justifiant une réparation supérieure au quantum fixé légalement.

La réponse apportée est sans surprise et pourrait même constituer l’exemple type, l’illustration archétypale de l’imperfection originelle du texte établissant le barème.

La salariée licenciée comptant moins de 4 ans d’ancienneté, pouvait prétendre, aux termes de l’article L 1235-3 précité, à une indemnité d’un montant compris entre 3 et 4 mois de salaire brut, soit en l’espèce à un maximum de 17 615 €.

Et c’est exactement là que les juges ont fait leur boulot en appréciant in concreto le sort de la salariée : elle était âgée de 53 ans à la date de la rupture, soit un âge où il est difficile de se recaser (je parle d’employabilité) et plus encore au regard de sa formation et de son expérience professionnelle (maigre donc).

Partant de cette appréciation formée au regard des pièces versées, la Cour s’assied sur le barème et alloue 32 000 Euros à la salariée, soit un peu plus de 7 mois de salaire.

Il est plus que probable que cette décision ne soit pas isolée dans les temps qui viennent, et que l’employeur ne puisse faire l’économie (si j’ose dire) de se mettre à la place du juge en appréciant un risque finalement réel et pas seulement évalué en fonction d’un barème potentiellement toujours contestable. Et ce sera justice ? A chacun d’analyser cette possible évolution jurisprudentielle selon ses convictions…

Le harcèlement sexuel n’a pas de genre

Droit Social

On n’est jamais à l’abri de surprises à la lecture de la jurisprudence sociale. Voilà que la Cour de cassation reconnaît la « banalité du mal » (cf. Hannah Arendt), et même son universalité (pas seulement la banalité du mâle donc) en constatant que l’auteur et la victime de harcèlement sexuel peuvent être de même sexe (Cass. soc. 3-3-2021 n° 19-18.110 F-D).

Ce n’est pas le seul intérêt de cette décision, mais il n’est parfois pas inutile que de marteler les évidences.

En l’espèce, une hôtesse de caisse « Chef de Groupe » estimant avoir été victime d’agissements relevant du harcèlement sexuel de la part de sa supérieure hiérarchique, saisit le Conseil de prud’hommes pour obtenir la résiliation de son contrat de travail aux torts et griefs de son employeur, et une indemnisation complémentaire pour le préjudice subi.

En appel, elle obtient la condamnation de l’employeur au paiement de dommages-intérêts pour le seul harcèlement sexuel. Insatisfaite, elle saisit la Cour de cassation pour obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail produisant les effets d’un licenciement nul. L’employeur forme de son côté un pourvoi incident contestant sa condamnation à ces dommages-intérêts.

S’agissant tout d’abord de la question du harcèlement sexuel, l’employeur réaffirme qu’il n’y a vu goutte, en raison de la « familiarité réciproque affichée » entre les deux salariées et même de leur « relation ambiguë ».

Il semble que la Cour de cassation soit d’ailleurs assez vigilante sur la problématique de « l’ambiguïté », questionnant la victime alléguée sur son comportement et ce en quoi sa propre attitude pourrait disqualifier ses accusations (rassurons le lecteur, il ne s’agit pas de reprocher à la victime de harcèlement de porter une jupe trop courte – Cass. soc. 25-9-2019 no 17-31.171 F-D).

Point d’ambiguïté ici puisque les faits conservent indéniablement la qualification de harcèlement sexuel caractérisé : non seulement la salariée a été destinataire de centaines de SMS à connotation sexuelle de la part de sa supérieure (mais quand travaillait-elle celle-là ?), mais également d’insultes et de menaces pour obtenir à un passage à l’acte. De son côté, la salariée avait sollicité à plusieurs reprises de sa supérieure qu’elle mette fin à ses agissements.

Sur le fond, rien de bien nouveau, si ce n’est que c’est effectivement la première fois que la Cour de cassation confirme l’existence d’une situation de harcèlement sexuel entre deux personnes du même sexe.

Pour le reste, la fin de l’histoire n’est pas totalement satisfaisante pour la victime qui espérait obtenir la résiliation judicaire de son contrat de travail sur les mêmes motifs.

Sur cette question, la salariée a eu un peu de retard à l’allumage et ce d’autant que l’employeur avait de son côté fait preuve d’une indiscutable réactivité. En effet, informé au mois de novembre 2014 des faits de harcèlement sexuel subis par la salariée, il a licencié la supérieure hiérarchique pour faute grave dès le 18 décembre 2014. Ce n’est que cinq mois plus tard que la salariée victime de harcèlement a finalement saisi le juge prud’homal d’une demande en résiliation judiciaire de son contrat de travail, considérant que la gravité des faits qu’elle avait subis justifiait la rupture aux torts de l’employeur.

Evidemment et heureusement, cette célérité a été justement saluée et les juges de première instance comme la Cour de cassation se sont fait fort de rappeler qu’un salarié doit être débouté de sa demande de résiliation judiciaire du contrat si, au jour du jugement, l’employeur a fait cesser la situation dont il se plaint. Il reste loisible de lui faire grief de n’avoir su empêcher les évènements et ainsi obtenir des dommages et intérêts, mais la résiliation judiciaire est impossible si une fois dûment informé, l’employeur a pris les mesures nécessaires pour mettre fin au trouble.

Sébastien Bourdon

Le télétravail peut-il être un libre choix du salarié

Droit Social

La Cour de cassation a récemment rendu une décision discrète mais éclairante sur la prise en charge des frais afférents au télétravail.

Cette question étant pour le moins sous les feux de l’actualité récente, pandémie oblige, il était probablement pertinent de la décortiquer un peu (Chambre sociale, 17 février 2021, 19-13.783 ; 19-13-855).

En l’espèce, et entre autres demandes, le salarié concerné avait sollicité de son employeur le remboursement de divers frais exposés par ses soins dans le cadre du télétravail. Sur le principe, on ne voit pas bien ce qui aurait bien pu justifier qu’on le lui refuse, à un détail près, et pas des moindres.

En effet, précurseur d’un mode d’organisation du travail devenu banal depuis le mois de mars 2020, cet employé avait décidé de lui-même de se mettre en télétravail, sans l’aval de son employeur.

Or, et pour mémoire, le télétravail peut être mis en place dans l’entreprise à deux conditions, non-cumulatives :

  • dans le cadre d’un accord collectif ou, à défaut, d’une charte élaborée par l’employeur après avis du comité social et économique (CSE), s’il existe.
  • en l’absence de charte ou d’accord collectif, le salarié et l’employeur doivent formaliser par tout moyen leur accord de recourir au télétravail.

Ainsi, alors qu’aucune de ces deux conditions n’était remplie, le salarié saisit la juridiction prud’homale afin de se faire rembourser les frais exposés dans le cadre du travail effectué à son domicile.

Il invoque à cette fin les articles L. 1222-9 et suivants du Code du travail, mettant à la charge de l’employeur tous les coûts découlant directement du télétravail, indépendamment de la question de savoir qui est à l’origine de la décision d’y recourir, dès lors qu’il est établi que la prestation assurée par le télétravailleur l’est au profit de l’employeur (l’abonnement NETFLIX n’est pas inclus dans ce package, faut-il le rappeler).

Cette analyse il est vrai discutable n’avait pas été retenue par la Cour d’appel, qui avait fait ressortir qu’il n’existait aucun accord entre le salarié et l’employeur sur le recours au télétravail. En considération de ces éléments, la Cour de cassation a logiquement confirmé que le salarié ne pouvait se prévaloir de la législation relative au télétravail et donc obtenir un quelconque remboursement.

C’est donc une situation très particulière qui est ici tranchée, celle d’un salarié qui, tout seul, décide un beau matin qu’il n’ira plus au bureau et qu’il travaillera de son canapé, aux frais de celui qui l’emploie. C’était faire peu de cas du lien de subordination, ce qui lui a été ici rappelé.

S’agissant des périodes de pandémie – on ne sait jamais, ça pourrait encore durer ou se reproduire – le législateur s’est plutôt penché sur la question de pouvoir l’imposer sans plus de façons au salarié. Ainsi, le risque épidémique peut justifier le recours au télétravail sans son accord et sa mise en œuvre dans ce cadre ne nécessite aucun formalisme particulier. L’employeur peut donc mettre en place le télétravail sans accord ou charte, et ne consulter le CSE – pour peu qu’il y en ait un – qu’après la mise en œuvre de sa décision, à condition de l’en informer sans délai.

Sébastien Bourdon

 

Manger en télétravaillant: quid du ticket-restaurant ?

Droit Social

Ces derniers temps, on pourrait avoir la vague sensation d’une jurisprudence qui ronronne, comme tétanisée par la crise sanitaire. Toutefois, effet induit de la même situation, la question du sort des travailleurs enfermés chez eux commence à un peu à agiter la vie pas forcément poussiéreuse des tribunaux.

Ainsi, s’il est bien une question essentielle – car oui le salarié est un être humain comme les autres – c’est celle de la nourriture, de la possibilité de se sustenter à la « pause dèj ».

Pour cela, le monde du travail a inventé un truc formidable : le ticket-restaurant. Et comme souvent dans la vie, ce que l’on a, on croit que c’est pour toujours, il s’avère que ce n’est pas si simple comme a pu le trancher récemment le Tribunal judiciaire de Nanterre (TJ Nanterre 10-3-2021 n° 20/09616, Fédération des syndicats des services activités diverses tertiaires et connexes (Unsa FESSAD) c/ Association de moyens assurance de personnes).

En l’espèce, l’UES Malakoff Humanis avait placé l’essentiel de ses salariés en télétravail à compter du 17 mars 2020 – pour mémoire, si on me lit dans encore dans 100 ans : en raison de l’état d’urgence sanitaire lié à l’épidémie de Covid-19 – et n’attribuait plus de titres-restaurant dans ce cadre.

Estimant que les salariés des sociétés composant l’UES qui n’ont pas accès à un restaurant d’entreprise ou interentreprises placés en télétravail doivent bénéficier des titres-restaurant, pour chaque jour travaillé au cours duquel un repas est compris dans leur horaire de travail journalier, une fédération syndicale saisit le tribunal judiciaire afin d’obtenir la régularisation de leurs droits depuis le 17 mars 2020.

Il est vrai que cela peut sembler un peu surprenant (et guère généreux) que de décider de cette suppression alors que par essence, chez soi, on n’a pas accès à un restaurant d’entreprise, et encore moins dans le cadre de restrictions strictes de sortie.

Rappelons ici les règles qui gouvernent l’attribution de ces fameux tickets :

Tout d’abord et c’est l’évidence, les télétravailleurs bénéficient des mêmes droits et avantages légaux et conventionnels que ceux applicables aux salariés en situation comparable travaillant dans les locaux de l’entreprise. Il s’agit d’une règle d’ordre public notamment rappelée dans le Code du travail à l’article L 1222-9.

Ensuite, le ticket-restaurant n’est pas un droit mais, selon le ministère du travail, un avantage consenti par l’employeur qui ne résulte d’aucune obligation légale et son attribution est possible si, et seulement si, en application de l’article R 3262-7 du Code du travail, le repas du salarié est compris dans son horaire de travail journalier.

Dans ce cadre, et en application du principe d’égalité de traitement entre salariés rappelé ci-dessus, dès lors que les salariés exerçant leur activité dans les locaux de l’entreprise bénéficient de titres-restaurant, les télétravailleurs doivent également en recevoir si leurs conditions de travail sont équivalentes (QR min. trav. 9-3-2021).

Ce qui nous amène petit à petit au domicile des travailleurs, puisque c’est plutôt là qu’on les trouve.

Dans son jugement du 10 mars 2021, le tribunal judiciaire de Nanterre tranche en défaveur de ces forçats à domicile et considère que le télétravailleur n’étant pas dans une situation comparable à celle des salariés travaillant sur site sans accès à un restaurant d’entreprise, il ne peut prétendre à l’attribution de titres-restaurant.

Il est intéressant de reprendre le raisonnement suivi par la juridiction tant la solution dégagée semble un peu déconcertante :

Tout d’abord, le tribunal rappelle, comme le ministère du travail, que le titre-restaurant est un avantage consenti par l’employeur qui ne résulte d’aucune obligation légale. La loi ne définit donc pas ses conditions d’attribution, si ce n’est que le repas pris en charge doit être compris dans l’horaire de travail journalier.

Il ajoute ensuite que si titres-restaurants il y a, c’est pour permettre aux salariés de faire face au surcoût lié à la restauration hors de leur domicile. Les mots ayant un sens, le tribunal affirme alors qu’un salarié en télétravail peut par essence se sustenter chez lui (une vérité de La Palice) et ne serait donc pas exposé à un « surcoût ».

Il n’empêche que cette assertion est surprenante : coincé chez lui sur ordre de l’employeur (ce dernier obéissant aux injonctions étatiques en ce sens), le salarié va forcément exposer quelques-uns de ses propres deniers pour se nourrir à l’heure du déjeuner, dans le strict cadre de son horaire de travail journalier.

Le tribunal a-t-il alors vraiment tenu compte des nécessaires critères objectifs gouvernant l’attribution d’un avantage au salarié quand ce dernier ne repose sur aucune obligation légale ?

Il n’est pas interdit d’en douter et l’on verra comment tranchera la Cour d’appel de Versailles, cette dernière ayant d’ores et déjà été saisie.

Sébastien Bourdon