Drôle d’atmosphère

Droit Social

Toujours soucieux de vanter les mérites du tourisme judiciaire français, nous voilà à la cour d’appel d’Orléans. Il ne s’agit certainement pas avec cette chronique de favoriser les bas instincts de l’éventuel lectorat, mais il sera cette fois question de la gestion de ses pulsions, même verbales, au temps et sur le lieu de travail.

Dans sa première rédaction, l’article L 1153-1 du Code du travail définissait le harcèlement sexuel par le but poursuivi par son auteur, lequel pouvait se résumer à la volonté d’obtenir des faveurs de nature sexuelle (acception technique dans ses termes, mais finalement assez claire dans ce qu’elle décrit).

C’est ainsi qu’un temps la jurisprudence a considéré la grivoiserie sur le lieu de travail comme n’étant pas constitutive de harcèlement sexuel (CA Versailles 27 sept. 2012, n° 11-03057). La réécriture du texte fondateur par la loi du 6 août 2012 a quelque peu modifié la donne : sont maintenant constitutifs de harcèlement sexuel « des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui (subis par un salarié) soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent une situation intimidante, hostile ou offensante ».

Il ne s’agit plus de sanctionner un quidam pour ses appétits trop directs ou explicites (et pas forcément partagés) sur le lieu de travail, mais un comportement plus général et intrinsèquement humiliant.

En l’espèce, la Cour d’appel a étendu quelque peu l’application du texte en jugeant que « le harcèlement sexuel peut consister en un harcèlement environnemental ou d’ambiance, où, sans être directement visée, la victime subit les provocations et blagues obscènes ou vulgaires qui lui deviennent insupportables ».

Cette lecture peut sembler surprenante et pour le moins extensive. La salariée avait entendu en l’espèce dénoncer le caractère misogyne et offensant du climat de travail au sein d’un journal de presse locale. Elle aurait ainsi été exposée à des comportements déplacés, mais sans justement établir avoir été elle-même directement visée.

L’atmosphère était ainsi qualifiée de sexiste, graveleuse, caractérisée par des propos (et bruits) vulgaires tenus en sa présence. Une atmosphère particulièrement raffinée donc, tenant plus du vestiaire que de la salle de rédaction d’un organe d’information.

Ainsi, comme cette espèce le montre, la notion de harcèlement sexuel qui visait initialement la sanction du comportement de l’auteur, a depuis opéré un glissement vers le seul ressenti de la victime. Qu’importe qu’elle n’ait pas été directement concernée par ces agissements, il suffit qu’elle ait pu en souffrir, notamment par une altération de son état de santé (ce qui était le cas en l’espèce).

Le climat de travail intimidant, hostile et offensant devient le lien de causalité sans qu’il y ait besoin de s’intéresser aux éventuelles relations existant entre l’auteur des faits incriminés et la victime.

Enfin, si les gestes sont évidemment particulièrement répréhensibles, les mots peuvent suffire : propos sexistes, grivois, obscènes ou insultants. Il est certain que la répétition de tels propos peut contribuer à créer une ambiance quelque peu déplaisante à la longue et de nature à, comme le disait le médecin du travail dans ses conclusions, entraîner « une atteinte à la dignité provoquant une effraction dans le fonctionnement mental ne permettant plus à l’individu de trouver les ressources pour y faire face ».

Cette évolution de la notion même de harcèlement sexuel amène à s’interroger sur le moyen de prouver l’existence d’un tel « harcèlement sexuel d’ambiance ».

Il appartient désormais au salarié de « présenter » des faits laissant présumer le harcèlement sexuel, sans nécessité de les « établir ». Les juges feront le reste et trancheront, en appréciant les éléments versés aux débats par les parties, décidant si l’on est dans le potache ou dans l’agression systématique et caractérisée.

Pour mémoire, il appartient à l’employeur de prendre les mesures nécessaires en vue de prévenir le harcèlement sexuel, d’y mettre un terme et de les sanctionner, et il s’agit d’une obligation de résultat (article L 1153-1 du Code du travail). Prudence donc quand la communauté de travail se transforme en une émission de Collaro (pour les plus âgés) ou de Cyril Hanouna (pour les plus jeunes).

Du sommeil sur le lieu de travail

Droit Social

Colmar, que la presse internationale – à juste titre – vante comme une destination européenne enchanteresse, recèle en son sein une Cour d’appel aux décisions justifiant également qu’on s’y attarde (et pas en touriste).

A propos de repos éventuellement mérité, ladite Cour n’a ainsi pas hésité à affirmer récemment que dormir au travail n’est pas toujours fautif (CA Colmar 7-3-2017 n° 15-03621).

Dans l’espèce concernée, un honnête travailleur épuisé par le labeur s’était ainsi endormi chez le principal client de son employeur, alors que sa tâche consistait à filtrer les entrées. Il avait ainsi laissé sans surveillance l’accès au site resté ouvert, ainsi que les clés des locaux posées à l’avant de son bureau.

L’employeur, sans attendre que la nuit porte conseil, le licencie immédiatement pour faute grave en insistant sur les conséquences de son comportement sur l’image commerciale de l’entreprise.

Ne rêvons pas, le fait de s’endormir à son poste de travail est régulièrement reconnu comme une faute justifiant le licenciement (CA Montpellier 12-4-2000 n° 98-159 : RJS 12/01 n°1521) notamment – et assez logiquement – lorsque le salarié occupe des fonctions de gardiennage comme c’était le cas en l’espèce (CA Versailles 26-7-2011 n° 10-02784).

La Cour d’appel de Colmar, faisant preuve d’une inattendue mansuétude méditerranéenne, a pourtant jugé le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, estimant que la défaillance alléguée du salarié à son poste était due à sa fatigue excessive, celui-ci ayant travaillé 72 heures sur 7 jours consécutifs au moment des faits.

Cette durée pour le moins excessive de travail constitue en effet une violation de la limite maximale hebdomadaire fixée, pour mémoire, à 48 heures par le droit européen. Pour les juges d’appel, l’employeur qui ne respecterait pas cette limite maximale ne pourrait alors blâmer le salarié des conséquences physiologiques qui en résulteraient.

Il reste impossible d’alléguer de sa propre turpitude et l’employeur avait bien maladroitement sanctionné un travailleur épuisé par sa faute.

Il était justice de dormir du sommeil du juste.

Gravé dans le marbre

Droit Social

L’exercice quotidien, et évidemment surtout pas laborieux, de notre noble profession nous a permis de constater une évolution que nous qualifierons d’anglo-saxonne dans la rédaction des transactions postérieures au licenciement.

Eût un temps, que je n’ai d’ailleurs même pas connu, ce type de document faisait joyeusement une page dans laquelle était à peine évoquée la guerre, pour en venir tout de suite à la paix et à ses conséquences en termes de réparation pécuniaire (le cœur du débat en somme).

Avec le temps qui passe, viennent les complications et le souci d’anticipation dans un monde de plus en plus incertain. Les protocoles se sont donc épaissis et renforcés, les rédacteurs s’efforçant de tout prévoir et même l’impossible afin de garantir à leurs clients sécurité et tranquillité de l’esprit (à un tarif qui fait sourire).

Il est vrai que, justifiant ces préventions d’avocats pointilleux, la chambre sociale de la Cour de cassation persistait, dans certains arrêts, à retenir une conception restrictive de la portée d’une transaction (contrairement à l’Assemblée plénière de la même Cour qui considérait que la signature d’une transaction donnait une portée générale à la renonciation à toute réclamation).

Ainsi, elle considérait que les obligations ayant vocation à s’appliquer postérieurement à la rupture du contrat de travail n’étaient pas comprises dans l’objet de la transaction, en l’absence de dispositions expresses (clause de non-concurrence, options sur titres etc.).

La Cour de cassation est finalement venue rappeler que la transaction rédigée en termes généraux interdit toute demande d’indemnisation ultérieure, rejoignant finalement l’interprétation de l’assemblée plénière (Cass. soc. 11-1-2017 n° 15-20.040 FS-PB).

Il est vrai que pouvait être grande la tentation du salarié de solliciter encore plus de monnaie sonnante et trébuchante en découvrant un préjudice jusqu’alors ignoré, mais reconnu par la jurisprudence postérieurement à la signature de l’accord transactionnel.

Pour mémoire, une transaction a pour objet de mettre fin à toute contestation née ou à naître résultant de l’exécution ou de la rupture du contrat de travail, au moyen de concessions réciproques (articles 2044 et suivants du Code civil : « (…) terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître. »). Elle devrait donc définitivement éteindre les contestations qui en font l’objet. Seules les demandes ayant un objet différent restent toutefois recevables.

En l’espèce, le salarié et l’employeur avaient conclu une transaction aux termes de laquelle le premier déclarait être rempli de tous ses droits et ne plus avoir aucun grief quelconque à l’encontre de la société du fait de l’exécution comme de la rupture de son contrat de travail. Une formulation somme toute assez classique et rédigée dans les règles de l’art et du droit. Le salarié n’en avait pourtant pas moins quand même saisi ultérieurement la juridiction prud’homale d’une demande en réparation de son préjudice d’anxiété en lien avec une exposition à l’amiante, le site où il travaillait étant inscrit sur la liste des établissements ouvrant droit à l’allocation de cessation anticipée des travailleurs de l’amiante.

La notion de reconnaissance et de possible indemnisation d’un tel préjudice d’anxiété résultait d’une jurisprudence postérieure à la signature de la transaction (Cass. soc. 11-5-2010 n° 09-42.241), et n’aurait donc pas pu être expressément prévue par la transaction signée par les parties.

Les juges du fond, retenant une interprétation stricte d’une transaction ne contenant aucune disposition de type « Retour vers le Futur », avaient déclaré recevable la demande du salarié.

La Chambre sociale de la Cour de cassation décide de ne pas suivre un tel raisonnement et censure : étant donné les termes généraux de la transaction, le salarié n’était plus recevable à saisir la juridiction prud’homale d’une demande en lien avec l’exécution ou la rupture de son contrat de travail, une évolution ou un changement de jurisprudence ne pouvant pas modifier l’objet de la transaction.

L’on ne peut que se réjouir d’une décision dont les termes sont de nature à sécuriser les transactions existantes et à rappeler qu’il n’est pas forcément nécessaire de surcharger les dispositions d’un tel document pour se prémunir des dangers de l’avenir.

Il ya nullité et nullité

Droit Social

Joies de la subtilité en droit du travail, il y a licenciement nul… et licenciement nul, les deux ne produisant pas les mêmes effets. Sinon, c’est pas drôle.

Dans un arrêt récent (Cass. soc. 14-12-2016 n° 14-21.325 FS-PB), la Cour de cassation a rappelé que le salarié dont le licenciement est nul et dont le juge ordonne la réintégration dans l’entreprise peut prétendre au versement d’une indemnité égale aux salaires perdus entre son éviction et sa réintégration. Toutefois, cette somme devra être réduite des revenus de remplacement perçus pendant la période.

En l’espèce, la salariée concernée avait vu son licenciement annulé du fait du harcèlement moral dont elle avait été la victime. Elle avait donc sollicité sa réintégration et avait obtenu de la cour d’appel une condamnation de l’employeur à lui verser les salaires qu’elle aurait dû percevoir entre la date de son licenciement et sa réintégration, sous déduction des revenus éventuellement perçus pendant la période considérée.

Considérant cette condamnation un peu chiche, la salariée avait formé un pourvoi contre cette décision et sollicité l’intégralité de ce qu’elle aurait dû percevoir si elle était restée en poste.

Le pourvoi a été logiquement rejeté par la Cour de cassation, car tous les licenciements annulés ne produisent pas les mêmes conséquences pécuniaires, nonobstant leurs effets juridiques identiques.

S’agissant du licenciement nul d’un salarié non protégé, en cas de réintégration, la Cour de cassation confirme sa jurisprudence et lui reconnaît le droit de percevoir une somme correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s’est écoulée entre son licenciement et sa réintégration, dans la limite des salaires dont il a été privé. Cette solution entraîne la déduction des revenus de remplacement perçus par le salarié (Cass. soc. 8-12- 2009 no 08-43.764), les juges du fond n’étant toutefois tenus de procéder à une telle soustraction que si l’employeur le demande (Cass. soc. 20-6- 2012 no 11-19.351) et n’ayant pas à le faire d’office dans le cas contraire (Cass. soc. 16-11- 2011 no 10-14.799 : RJS 2/12 no 137 ; Cass. soc. 22-1- 2014 no 12-15.430).

C’est donc par erreur que la salariée avait fait état au soutien de son pourvoi de la jurisprudence afférente aux salariés protégés licenciés sans autorisation administrative (Cass. soc. 10-10- 2006 no 04-47.623 : RJS 12/06 no 1296), aux salariés non protégés licenciés en raison de leur participation à une grève (Cass. soc. 2-2- 2006 no 07-43.481 : RJS 4/06 no 488 ) ou de leurs activités syndicales (Cass. soc. 2-6- 2010 no 08-43.277 : RJS 8-9/10 no 685 ; Cass. soc. 9-7- 2014 no 13-16.434 : RJS 11/14 no793 ), ou de leur état de santé (Cass. soc. 11-7- 2012 no 10-15.905 : RJS 10/12 no 785).

Dans ces cas de figure bien particuliers, il n’est pas opéré de déduction des sommes allouées du fait de la perception de revenus de remplacement, car il s’agit en sus de sanctionner un comportement illicite de l’employeur, une atteinte à des droits de nature constitutionnelle. Il ne s’agit donc pas d’indemniser le seul préjudice mais également de punir.

Il manquait clairement à la salariée – même victime d’un comportement illicite – une donnée constitutionnelle pour obtenir plus et mieux et c’est ce qu’a rappelé la Cour de cassation.

Sébastien Bourdon

Transports plus ou moins amoureux

Droit Social

La réflexion contemporaine sur le travail, le statut de salarié, le développement de l’auto-entrepreneuriat, thèmes évidemment en vogue dans la campagne présidentielle (du moins quand on y aborde enfin un peu le fond des problèmes) a fini par atterrir sur le bureau du juge prud’homal. A ainsi été rendue une des premières décisions sur le sujet, en l’occurrence par le Conseil de prud’hommes de Paris, dans une affaire opposant un auto-entrepreneur et une plateforme assurant la mise en relation avec des clients (cons. prudh. Paris 20-12-2016 no 14/16389).

Un chauffeur VTC sous statut d’auto-entrepreneur ayant conclu avec une plateforme numérique un contrat de location de véhicule et un contrat d’adhésion au système informatisé permettant la mise en relation avec les clients demande la requalification de la relation de travail existante en salariat. Réuni en formation de départage, le conseil de prud’hommes de Paris a accédé à sa demande. En effet, comme rappelé par la juridiction, le statut d’auto-entrepreneur ne constitue pas en soi une présomption irréfragable s’opposant en toute hypothèse au salariat (Cass. 2e civ. 7-7-2016 no 15-16.110 FS-PB).

Rappelons un peu les termes possibles du débat, et les conséquences d’une telle requalification pour ladite plateforme. En effet, ce n’est un secret pour personne que se présenter comme des intermédiaires permet à des structures comme cette « plateforme numérique » de faire d’énormes économies de main-d’œuvre, puisque la majorité de celle-ci travaille à son compte. Le magazine américain « Fusion » a ainsi calculé le montant des cotisations que paierait Uber par chauffeur aux États-Unis si ces derniers étaient requalifiés en employés de la firme (les tentatives judiciaires en ce sens n’ont toutefois pas abouti à ce jour) : a minima 10.000 dollars par chauffeur et par an.

Rappelons pour mieux appréhender de tels montants que le statut de travailleur indépendant implique de ces chauffeurs qu’ils louent ou achètent leur véhicule, paient pour leur essence et soient considérés comme responsables en cas de problème avec un client.

En l’espèce parisienne, après avoir rappelé que l’existence d’un contrat de travail ne dépend ni de la volonté des parties, ni de la dénomination qu’elles ont donné à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est effectivement exercée l’activité du travailleur, la formation de départage a relevé un faisceau d’indices démontrant que le chauffeur se trouvait en état de subordination et de dépendance économique vis-à-vis de l’entreprise. Cet état de fait ne pouvait qu’entraîner de facto la requalification de la relation en contrat de travail.

Pour ce faire, le juge relève d’abord que le salarié apportait la preuve qu’il se trouvait soumis au pouvoir de direction et de contrôle de la société. Il est vrai, et nul besoin d’être juge prud’homal pour s’en rendre compte, que les obligations mises à la charge du chauffeur par la plateforme dépassaient notablement celles pouvant être imposées dans le cadre d’un simple contrat de location de voiture : l’intéressé recevait des directives de nature hiérarchique et son comportement, sa tenue vestimentaire comme ses heures de travail étaient contrôlés.

Ensuite, la formation de départage relève que le chauffeur vivait au quotidien une situation de dépendance économique. La possibilité de développer une clientèle personnelle restait en effet dans les faits purement théorique, puisqu’il était interdit au chauffeur de marauder des passagers pour son propre compte ou de recourir à une société concurrente.

Ce dernier critère dit de dépendance économique n’est pas nécessairement suffisant pour prononcer la requalification d’une relation d’affaires en contrat de travail. Toutefois, il semble ici avoir été décisif, le conseil de prud’hommes ayant précisé qu’il était « un obstacle rédhibitoire au maintien du statut d’auto-entrepreneur ».

L’entreprise de VTC a donc notamment été condamnée au paiement d’un rappel de salaire, d’heures supplémentaires, d’indemnité de congés payés, de repas et de costume et d’une indemnité pour travail dissimulé.

Il va de soi que cette décision ne fait qu’ouvrir le bal judiciaire. La réflexion économique et sociologique, déjà largement partagée, doit se compléter d’une analyse juridique, nécessaire à l’appréhension globale de ce qu’a appelé dès 1956 le sociologue Georges Friedmann « Le Travail en Miettes ».

Ancien Secrétaire d’État au travail (Clinton) et analyste du marché de l’emploi, Robert Reich a récemment rebaptisé ce secteur « l’économie du partage des restes », lui donnant cette définition : « De nouvelles technologies informatiques rendent possible le fait que pratiquement tout emploi puisse être divisé en des tâches discrètes qui peuvent être morcelées entre travailleurs le moment voulu, avec une rémunération déterminée par la demande pour ce job particulier à un moment particulier ».

La juridiction prud’homale ne pourra que très logiquement être partie prenante de cette évolution sociétale et de ses conséquences sur le travail salarié.

This is only a test

Droit Social

On a beaucoup glosé sur l’alcool en entreprise, et les temps, qui vont de moins en moins vers la tolérance envers l’ivresse en ces lieux, ont récemment amené le Conseil d’Etat à se pencher sur la possibilité d'y contrôler l’usage des stupéfiants (et l’écoute du reggae ?) (CE 5-12-2016 n° 394178).

Ce contrôle doit être prévu par le règlement intérieur, qui en organise les conditions d’exercice, mais surtout, la juridiction a autorisé que le recours à un test salivaire puisse être effectué par l’employeur ou un supérieur hiérarchique.

Le monde de l’entreprise est de plus en plus confronté à cette problématique de la consommation de drogues sur le lieu de travail, et les dysfonctionnements divers en résultant ne pouvaient qu’autoriser une relative souplesse accordée à l’employeur pour pouvoir en contrôler, voire en restreindre l’usage (pour mémoire, cela reste interdit de consommer des stupéfiants, sur le lieu de travail, comme ailleurs !).

Si de nombreux comités Théodule se sont prononcés sur cette question, le manque de règles précises applicables fait cruellement défaut lorsqu’il s’agit de savoir si un employeur peut se faire à la fois médecin et policier.

En prenant finalement position sur la clause d’un règlement intérieur relative à la mise en œuvre par l’employeur de tests salivaires de détection de produits stupéfiants, le Conseil d’Etat fournit enfin quelques indications claires quant à ce que l’employeur peut faire.

L’affaire en question est née d’un projet de règlement intérieur d’une entreprise du bâtiment prévoyant, pour les salariés affectés à certains postes qualifiés d’hypersensibles, ayant été identifiés en collaboration avec le médecin du travail et les délégués du personnel, la possibilité d’un contrôle aléatoire pour vérifier qu’ils ne soient pas sous l’emprise de stupéfiants durant l’exécution de leur travail (quand il s’agit d’être sur une échelle avec une scie sauteuse, ce n’est pas forcément idiot).

Ce contrôle devait se faire au moyen d’un test salivaire pratiqué par un supérieur hiérarchique ayant reçu une information appropriée sur la manière d’administrer le test et d’en lire le résultat, le salarié pouvant ensuite demander une contre expertise devant être effectuée dans les plus brefs délais et qu’il s’exposait à une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement en cas de contrôle positif. Ce test permettait simplement d’établir qu’il y avait bien eu consommation d’une des six substances illicites détectables.

L’inspecteur du travail saisi de ce projet avait estimé que certaines dispositions de celui-ci portaient une atteinte aux libertés individuelles des salariés disproportionnée au but de sécurité recherché. Il avait, pour ce motif, enjoint à l’entreprise de retirer la clause autorisant la pratique du test par un supérieur hiérarchique et celle prévoyant des sanctions en cas de contrôle positif. La décision de l’inspecteur du travail a d’abord été annulée par le tribunal administratif de Nîmes. Mais, sur recours du ministre du travail, ce jugement a lui-même été annulé par la cour administrative d’appel de Marseille, cette dernière alléguant du secret médical pour exclure la possibilité pour l’employeur ou un supérieur hiérarchique de faire des prélèvements (CAA Marseille 21-8-2015 n° 14MA02413).

Le Conseil d’Etat a quant à lui considéré que le test salivaire envisagé par l’employeur avait pour seul finalité de révéler, par une lecture immédiate, l’existence d’une consommation récente de produits stupéfiants. Il ne constituait alors pas un examen de biologie médicale au sens du Code de la santé publique nécessitant d’être réalisé par un biologiste médical ou sous sa responsabilité. N’ayant pas pour objet d’apprécier l’aptitude médicale des salariés à exercer leur emploi (cette affirmation est éventuellement discutable, puisque ce test permet d’apprécier l’aptitude des salariés à exercer leurs fonctions à un moment donné), il ne requiert pas non plus l’intervention d’un médecin du travail.

Enfin, le Conseil d’Etat souligne qu’aucune autre règle ni aucun principe ne réservent le recueil d’un échantillon de salive à une profession médicale. Rien ne s’oppose dès lors à ce qu’un test salivaire soit dans certains cas pratiqué par l’employeur ou par un supérieur hiérarchique, tous deux tenus par le secret professionnel en l’espèce.

Pour affirmer que ledit règlement intérieur n’apportait pas une atteinte disproportionnée aux droits et libertés des salariés (articles L 1121-1 et L 1321-3 du Code du travail), le Conseil d’Etat a notamment retenu :

  • Il réservait les contrôles aléatoires de consommation de stupéfiants aux seuls postes dits « hypersensibles »;
  • Le règlement intérieur reconnaissait aux salariés ayant fait l’objet d’un test salivaire positif le droit d’obtenir une contre expertise médicale (à la charge de l’employeur).

Le Conseil d’Etat pose enfin une condition essentielle à la mise en œuvre de ces tests : l’obligation pour l’employeur et le supérieur hiérarchique de respecter le secret professionnel s’agissant des résultats de celui-ci.

Enfin, il justifie aussi la licéité des tests salivaires au regard de l’obligation de sécurité à laquelle l’employeur est tenu en application de l’article L 4121-1 du Code du travail.

Dans une approche pratique, surtout, la juridiction considère que si étaient respectées les conditions ci-dessus exposées, le règlement intérieur pouvait valablement envisager pour le salarié, en cas de contrôle positif, une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement.

Cette décision récente devrait logiquement influer la jurisprudence afférente aux éthylotests. En effet, la Haute Juridiction administrative a jusque ici jugé que le contrôle par éthylotest prévu par un règlement intérieur ne pouvait avoir pour objet que de prévenir ou de faire cesser immédiatement une situation dangereuse, et non de permettre à l’employeur de faire constater par ce moyen une éventuelle faute disciplinaire (CE 9-10-1987 n° 72220 ; CE 12-11-1990 n° 96721).

Or, dans l’espèce dont il est ici question, le règlement intérieur prévoyait des mesures de contrôle « drogue et alcool », spécifiques aux postes à risques, il est donc très vraisemblable qu’un salarié ayant abusé du Beaujolais Nouveau dès potron-minet puisse être contrôlé et sanctionné ,sans que l’on puisse trouver à y redire, pour peu que les conditions du contrôles exigées par le Conseil soient réunies.

Si cette évolution devait se confirmer, il en résulterait un rapprochement avec la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation qui admet la légitimité d’une sanction disciplinaire faisant suite à un contrôle d’alcoolémie positif, pouvant le cas échéant aller jusqu’au licenciement pour faute grave (Cass. soc. 22-5-2002 n° 99-45.878 FS-PB ; Cass. soc. 24-2-2004 n° 01-47.000 F-D).

S’agissant du recours par l’employeur à des tests salivaires de dépistage de stupéfiants, la chambre sociale n’a pas encore eu l’occasion de statuer directement sur les conditions de sa licéité. Mais elle l’a en réalité quasiment fait en jugeant fondé le licenciement pour faute grave du steward d’une compagnie aérienne, faisant partie du « personnel critique pour la sécurité des vols », ayant consommé des drogues dures au cours d’escales entre deux vols (on sait encore s’amuser dans les longs courriers visiblement) – ce que l’intéressé avait reconnu devant la police locale – et qui se trouvait toujours sous l’influence de celles-ci lors de la reprise de fonctions (Cass. soc. 27-3-2012 n° 10-19.915 FS-PB).

Force est de reconnaître la mesure et le bien-fondé de ces décisions récentes, tenant essentiellement compte, et de manière proportionnée, de la sécurité des salariés et de leur entourage au moment de l’accomplissement de leurs fonctions.

L’intolérance ne saurait être tolérée (dans l’entreprise)

Droit Social

Il semble que les temps changent et que les blagues vaseuses de vestiaire ne soient plus tellement tolérées par les juridictions du travail, en tout cas parisiennes.

L’article L 1132-1 du Code du travail dispose qu’aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, en raison de son sexe, de ses mœurs ou encore de son orientation ou identité sexuelle.

Dans une décision récente, la Cour d’appel de Paris (22 septembre 2016, n° 14/07337), faisant une application stricte de ces dispositions légales, a considéré que constituait une discrimination en raison de l’orientation sexuelle la différence de traitement subie par un salarié homosexuel ayant reçu des courriers électroniques à connotation sexuelle et souffert du comportement machiste et sexiste de ses collègues.

Ces constatations faites, la cour d’appel de Paris a ainsi lourdement condamné un employeur pour avoir dans ce cadre discriminé ledit salarié, pointant notamment la très forte baisse de sa rémunération variable, concomitante à la révélation de son homosexualité.

Dans un tel contexte, il convient de démontrer que l’employeur avait effectivement connaissance de l’homosexualité du salarié et que c’est sur cette seule information personnelle que la discrimination s’est exercée.

En l’espèce, le salarié, cadre dans le secteur bancaire, s’estimait donc victime de harcèlement et de discrimination salariale en raison de son orientation sexuelle.

Il avait donc saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes indemnitaires et salariales. Au soutien de ses prétentions étaient notamment produits aux débats de nombreux e-mails électroniques à connotation sexuelle, dont la teneur ne laissait aucun doute sur la connaissance par l’employeur de l’homosexualité du salarié.

Ces divers messages, systématiquement grossiers ou blessants (et particulièrement crétins et vulgaires, si je puis me permettre), émanaient notamment de son supérieur hiérarchique.

Selon les juges du fond, ces messages démontraient, outre la connaissance par l’employeur de l’homosexualité du salarié, l’existence d’un environnement de travail oppressant, imposé à l’intéressé par le comportement de ses collègues, dans lequel il faisait l’objet de moqueries et de remarques à caractère sexuel qui, pour certaines, le stigmatisaient du fait de son orientation sexuelle.

On relèvera également dans les faits relevés par l’arrêt que l’employeur offrait à ses salariés des soirées dans des établissements de striptease ou des prestations à caractère sexuel. Il est certain que de tels séminaires d’intégration ne sont pas forcément adaptés à toutes les sensibilités et ne témoignent au surplus pas d’une grande subtilité d’esprit (de corps).

La Cour considère également que la répétition de l’envoi des ces e-mails caractérise également une situation de harcèlement, par ailleurs étayée par les certificats médicaux versés aux débats par le salarié.

S’agissant de la discrimination salariale, elle est clairement établie dans la mesure où, après une évolution sans obstacles depuis son entrée en 2004, l’intéressé, une fois son homosexualité révélée en 2009, avait subi une baisse importante de sa rémunération variable, qui constituait par ailleurs la part la plus importante de son salaire. Ce phénomène se vérifiait au surplus par comparaison avec le sort de ses collègues (ces derniers étant peut-être moins timides quand il s’agissait d’aller dans une boîte de striptease avec le patron).

Les éléments de fait présentés par le salarié laissant supposer l’existence d’une discrimination, il appartenait donc à l’employeur de justifier cette différence de traitement par des éléments objectifs étrangers à tout motif discriminatoire, conformément à l’article L 1134-1 du Code du travail.

Les explications apportées par l’employeur furent considérées comme trop générales et n’emportèrent pas la conviction de la Cour.

Une telle décision témoigne d’une évolution indiscutable de la perception de tels évènements dans l’entreprise, mais il faut également reconnaître que les faits de l’espèce étaient, si j’ose dire, particulièrement gratinés, facilitant l’établissement de la preuve.

Connexions internet et réseaux sociaux; La preuve du manquement

Droit Social

Les échanges virtuels et leurs éventuelles conséquences sur la relation de travail continuent à produire, très logiquement, une abondante jurisprudence permettant de mieux déterminer ce qui devrait être sanctionné par l’employeur et à partir de quelles preuves indiscutables.

Dans cette première affaire (CA Poitiers, 4 mai 2016 n° 15/04170), il était reproché à un salarié, éducateur dans une association d’aide aux personnes handicapées mentales, d’avoir eu sur Facebook des échanges avec un résident handicapé dont il avait la charge, qui présentaient un caractère humiliant pour ce dernier et pouvaient, selon l’employeur, être assimilés à un acte de maltraitance susceptible d’engager la responsabilité de l’association. Une affaire où la subtilité et l’élégance étaient donc au rendez-vous.

Le litige soumis à la cour d’appel soulevait deux problématiques, le caractère privé des propos échangés par un salarié sur Facebook et la possibilité pour l’employeur de se prévaloir devant le juge, à des fins de preuve de la faute reprochée au salarié, d’une conversation privée, protégée en tant que telle par le secret des correspondances.

En effet, il s’avère que les échanges dont il était question s’étaient tenus sur les profils sécurisés des impétrants et n’étaient donc pas accessibles à n’importe quel quidam connecté.

Sur ce point, à ce jour, les Cours d’appel saisies analysent systématiquement les paramétrages du compte des utilisateurs Facebook afin de déterminer si les conversations revêtent ou non un caractère privé. Ainsi, un employeur a été admis à se prévaloir des propos tenus par un salarié n’ayant pas activé les critères de confidentialité de son compte Facebook (CA Lyon 24-3-2014 n° 13/03463 : RJS 7/14 n° 535) ainsi que du message laissé par un salarié sur la page d’un « ami », l’intéressé s’exposant au risque que cette personne ait des centaines d’« amis » ou n’ait pas bloqué les accès à son profil, de sorte que tout individu inscrit sur le réseau social pouvait accéder librement à ce message (CA Reims 9-6-2010 n° 09/3209 : RJS 1/11 n° 5). La première chambre civile de la Cour de cassation a opéré une distinction similaire pour la qualification des injures proférées par un salarié sur ce réseau social. Elle en a rejeté le caractère public après avoir constaté que les propos litigieux étaient accessibles aux seules personnes agréées par ce dernier, en nombre très restreint (Cass. 1e civ. 10-4-2013 n° 11-19.530 FS-PBI : RJS 6/13 n° 429). La chambre sociale n’a quant à elle pas encore statué sur ce point et il va de soi que nous sommes curieux de voir comment elle tranchera.

En l’espèce, l’employeur avait versé aux débats des captures d’écran desdites conversations privées sur Facebook et la Cour d’appel de Poitiers les a étonnamment considérées comme recevables en se basant sur le principe jurisprudentiel du droit à la preuve.

Le « droit à la preuve » est un principe consacré par la Cour européenne des droits de l’Homme. L’atteinte à la vie privée peut être le cas échéant justifiée par l’exigence de protection des droits de la défense, si elle reste proportionnée au regard des intérêts antinomiques en présence.

Ce principe jurisprudentiel a déjà été mis en œuvre dans certaines affaires par la chambre commerciale et la première chambre civile de la Cour de cassation.

La chambre sociale de la Cour de cassation n’en a semble t’il à ce jour jamais fait application. Le bal a donc été ouvert par la Cour d’appel de Poitiers. L’atteinte à la vie privée et au secret des correspondances du salarié est apparue aux juges comme étant proportionnée au but poursuivi – ce qui peut s’expliquer par le domaine d’activité concerné et qui ressort clairement de la motivation de l’arrêt : « pour un employeur dont la mission est la prise en charge de personnes handicapées afin de leur permettre d’exercer une activité dans un milieu protégé, d’assurer la protection d’un résident souffrant d’une déficience mentale et physique et bénéficiant d’un statut de majeur protégé contre les agissements d’un moniteur éducateur susceptibles de constituer des actes de maltraitance ».

La Cour suprême va avoir l’occasion de se prononcer puisque la décision a fait l’objet d’un pourvoi en cassation.

Ce problème de recevabilité de la preuve a toutefois été sans grande incidence pour le salarié éducateur spécialisé puisque la cour d’appel a écarté non seulement la faute grave mais également la cause réelle et sérieuse de son licenciement. Elle a reconnu que les propos incriminés, présentant effectivement un caractère humiliant, mais exclusifs d’une volonté de maltraitance, auraient pu justifier un licenciement sans pour autant constituer une faute grave au regard des circonstances de l’espèce, du parcours professionnel de l’éducateur et de son attitude après la révélation des faits.

Mais il existait également un troisième barreau à grimper pour l’employeur dans cette affaire : ce dernier avait en effet dans la procédure de rupture méconnu les dispositions relatives aux conditions du licenciement prévues par la convention collective applicable.

Ce problème de preuve a également surgi dans deux autres arrêts de cours d’appel s’agissant d’affaires dans lesquelles l’employeur reprochait à un salarié des connexions internet abusives (CA Aix-en-Provence 8-7-2016 n° 14/11313, 9e ch. A CA Nîmes 26-7-2016 n° 15/04114, ch. soc.).

Pour mémoire, le contrôle par l’employeur des connexions internet réalisées par un salarié à partir de son ordinateur de travail est légitime, car présumées avoir un caractère professionnel, de sorte que l’employeur peut les rechercher aux fins de les identifier, même hors de la présence de l’intéressé (notamment Cass. soc. 9-7-2008 n° 06-45.800 F-P : RJS 11/08 n° 1071 ; Cass. soc. 9-2-2010 n° 08-45.253 F-D : RJS 5/10 n° 399).

La jurisprudence de la Cour de cassation considère en effet que les outils informatiques de l’entreprise sont présumés être utilisés à titre professionnel de sorte que l’employeur peut librement les contrôler, sous réserve, s’agissant des courriels transitant par la messagerie professionnelle et des fichiers informatiques enregistrés sur l’ordinateur de travail du salarié, qu’ils n’aient pas été identifiés comme personnels par l’intéressé (Cass. soc. 18-12-2006 n° 04-48.025 F-PB : RJS 12/06 n° 1241 ; Cass. soc. 15-12-2010 n° 08-42.486 F-D : RJS 2/11 n° 92).

Mais le salarié peut ensuite nier être l’auteur desdites connexions, c’est humain n’est-ce pas. Il appartient alors à l’employeur d’établir la véracité de ses affirmations, ce qui ne sera pas forcément aisé, s’agissant d’informatique. Devant la cour d’appel de Nîmes, le salarié réfutait ainsi être l’auteur des nombreuses connexions sur des sites internet sans rapport avec son activité professionnelle, s’agissant notamment et évidemment de sites polissons. Cela n’avait pas empêché la notification d’une mise à pied disciplinaire de trois jours.

Les juges du fond saisis relèvent toutefois que l’employeur n’avait adopté aucune charte informatique, que l’ordinateur à partir duquel les connexions litigieuses avaient eu lieu était en libre accès et non protégé par un mot de passe et que cet ordinateur était situé dans une pièce à laquelle pouvaient accéder tous les salariés disposant d’un pass. Et c’est ainsi que l’employeur s’est trouvé dans l’incapacité de démontrer ses assertions, entraînant l’annulation de la mise à pied disciplinaire par les juges.

La cour d’appel d’Aix-en-Provence poursuit un raisonnement identique : elle juge sans cause réelle et sérieuse le licenciement pour faute d’un salarié auquel il était reproché de s’être connecté sur internet à des fins strictement personnelles durant une importante partie de son temps de travail, l’intéressé niant être l’auteur de ces connexions et l’employeur échouant donc à prouver le contraire.

Pour démontrer son innocence, le salarié avait notamment versé des attestations de ses collègues dans lesquelles ces derniers expliquaient que les codes d’accès aux ordinateurs de l’entreprise étaient uniquement composés des initiales de leurs utilisateurs habituels et que les doubles des clés de l’ensemble des bureaux étaient accessibles à tous, de sorte que n’importe quel salarié pouvait avoir accès au poste informatique de l’intéressé.

L’intérêt de sécuriser l’accès aux ordinateurs, évident dans ses affaires, est en réalité double. D’abord comme exposé, pour disposer de preuves tangibles et recevables en cas de manquement, mais aussi afin de respecter l’obligation de confidentialité des données. Une société s’est ainsi vu infliger par la Cnil une amende après que celle-ci eût constaté que les mots de passe utilisés pour permettre l’accès aux ordinateurs professionnels étaient pour la plupart composés d’une suite de cinq caractères, correspondaient pour certains salariés à leur prénom ou nom de famille et étaient restés inchangés depuis longtemps (Délibération Cnil 2013-139 du 30 mai 2013).

« Prendre en flag » étant un art difficile, il est donc sage de prendre des précautions et de ne pas manquer de les reconsidérer régulièrement.

Géographie de la rémunération

Droit Social

Dis-moi où tu travailles et peut-être pourrais-je envisager de te payer différemment. Dans le cadre de la jurisprudence afférente au principe « à travail égal salaire égal », la Cour de cassation a rendu une décision surprenante, mais de nature à rasséréner un peu les entreprises à établissements multiples sur le territoire français.

Pour mémoire, ledit principe d’égalité, dégagé par la jurisprudence, est consacré depuis vingt ans par le droit du travail (quand on aime, on a toujours vingt ans). En pratique, il oblige l’employeur à garantir une égalité de rémunération entre des salariés effectuant un travail identique ou de valeur égale.

S’il n’y parvient pas, il doit alors en justifier à l’aide de critères objectifs et pertinents, étrangers à toute discrimination (diplôme, qualités professionnelles, ancienneté etc. tels sont les critères parmi ceux retenus par la jurisprudence).

De la même manière, et nous amenant à l’arrêt qui nous préoccupe ici, il est jugé de longue date qu’il ne peut y avoir de différences de traitement entre les salariés des différents établissements d’une même entreprise que si elles reposent sur des raisons objectives (Cass. Soc. 21 janvier 2009 n° 07-43.452).

Dans l’espèce tranchée récemment par la Cour, une entreprise appliquait, de manière unilatérale, dans ses établissements situés en Ile-de-France des barèmes de rémunération supérieurs à ceux pratiqués au sein de son établissement situé à Douai.

Un syndicat implanté dans l’établissement nordique de l’entreprise estimait que cette pratique portait atteinte au principe de l’égalité de traitement en l’absence d’élément objectif tenant à l’activité ou aux conditions de travail pouvant justifier les différences de traitement observées entre les établissements de l’entreprise.

Pour justifier cette inégalité de rémunération, l’employeur mettait alors en avant les différences de niveaux de vie entre les deux zones géographiques (l’Ile de France, c’est parfois plus vivant que Douai, mais la vie y est chère n’est-ce pas). La démonstration a du être amusante puisque furent versés aux débats divers éléments attestant des différences de coût de la vie entre les deux localités. La cour d’appel l’a suivi dans son argumentation.

La Cour de cassation est allée dans le même sens et a donc expressément admis que la disparité du coût de la vie entre des zones géographiques constitue un critère objectif et pertinent de nature à justifier une différence de rémunération entre salariés d’une même entreprise.

La Cour aurait pu décider que « La Vie Parisienne » notamment décrite par Offenbach étant plus amusante, il n’y avait pas lieu d’être plus généreux avec les salariés travaillant dans la proximité de la capitale, mais c’eût été se lancer dans une jurisprudence quelque peu difficile à bâtir.

Par nature et par principe

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On a déjà évoqué sur ces lignes cette question pour le moins contemporaine de ce que le salarié peut ou ne pas faire avec son outil informatique et dans quelle mesure l’employeur est tout-puissant dans le contrôle de l’activité épistolaire de ses salariés, dont il faut bien avouer qu’elle est parfois plus ou moins professionnelle.

Dans une décision du 12 avril dernier, la Cour de cassation est venue expressément fixer la règle suivante : l’employeur qui accède à la messagerie personnelle du salarié viole le secret des correspondances (Cass. soc. 7-4-2016 n° 14-27.949).

La Cour suprême n’a ainsi pas retenu l’argumentaire de la Cour d’appel qui n’avait pas vu de viol du secret des correspondances dans le fait de se procurer un courriel contenu dans la boite électronique personnelle du salarié, au motif qu’il s’agissait d’une boîte installée sur l’ordinateur professionnel de l’intéressé. Elle avait ajouté que ladite boîte avait été ouverte dans l’intérêt de l’entreprise et en raison d’une absence prolongée du salarié, et de ce que le caractère personnel du message consulté ne ressortait ni de son intitulé ni de son contenu.

La Cour de cassation, casse donc la décision rendue et, usant d’une formulation sans appel (si j’ose dire), considère que l’employeur ne peut pas consulter la messagerie personnelle d’un salarié, même si elle est installée sur l’ordinateur mis à la disposition de ce dernier pour les besoins de son travail. Elle précise qu’il appartenait à la Cour d’appel de rechercher : « si le message électronique litigieux n’était pas issu d’une boîte à lettre électronique personnelle distincte de la messagerie professionnelle dont la salariée disposait pour les besoins de son activité et s’il n’était pas dès lors couvert par le secret des correspondances. »

Cette phrase est toutefois un peu surprenante puisqu’en légère contradiction avec la motivation de l’arrêt de la Cour d’appel qui avait retenu que « le caractère personnel du message ne ressortait ni de son intitulé ni de son contenu ». Il semble que la recherche ait été faite par la Cour d’appel, mais insuffisamment selon la Cour de cassation.

Si l’on en revient aux principes applicables, il convient de rappeler que  les e-mails personnels du salarié sont par principe couverts par le secret des correspondances, qu’ils aient été adressés ou reçus au temps et au lieu de travail (Cass. soc. 2-10-2001 n° 99-42.942). Pour assurer le respect de cette obligation, le salarié doit toutefois avoir pris la précaution d’identifier comme personnelles lesdites correspondances. A défaut, l’employeur peut librement consulter tout ce qui transite par la messagerie professionnelle de ses salariés (Cass. soc. 18-10-2011 n° 10-26.782).

Cette précaution afférente à la messagerie de l’entreprise ne s’applique en revanche pas aux e-mails reçus ou transmis par le biais d’une messagerie personnelle du salarié. En effet, les messages qu’elle contient sont par nature couverts par le secret des correspondances.

La conséquence logique de ce subtil distinguo (par nature/par principe) interdit donc en tout état de cause à un employeur d’ouvrir une messagerie personnelle sous le seul prétexte qu’elle est installée sur un ordinateur professionnel (cette distinction n’existe pas quand les e-mails sont enregistrés sur le disque dur de l’ordinateur, ils deviennent alors accessibles à l’employeur, hors la présence de l’intéressé, sauf à être stockés dans un fichier identifié comme personnel (Cass. soc. 19-6-2013 n° 12-12.138).