L’affaire dite « Baby-loup », du nom de la crèche concernée, est née de la rédaction du règlement intérieur de ladite entreprise et de l’invocation de ce texte au soutien d’une mesure de licenciement pour faute grave. La salariée licenciée s’était effectivement vue reprocher par son employeur son insubordination réitérée, cette dernière ayant persisté à porter un voile islamique, nonobstant les demandes de l’employeur de l’ôter sur le lieu de travail, conformément aux dispositions du règlement intérieur évoqué.
Pour mémoire, sont expressément prohibées dans un règlement intérieur les dispositions imposant des obligations ou comportant des interdictions de caractère général, sans distinction entre les salariés selon la nature des tâches effectuées
(article L 1321-32 du Code du travail). Sont ainsi visées les clauses portant atteinte aux droits des personnes ainsi qu’aux libertés, tant individuelles que collectives. La liberté de conscience et de pensée relève en effet des libertés fondamentales qui ne peuvent faire l’objet de restriction.
Ne peuvent ainsi notamment figurer dans le règlement intérieur l’interdiction de discussions politiques ou religieuses et de toute conversation entre les salariés étrangère au service (CE 25-1-1989 n° 64296 : RJS 5/89 n° 423).
Par la décision dite « Baby-Loup », la Cour de Cassation est venue encore préciser
le périmètre des interdictions (Cass. Soc. 19 mars 2013 n° 11-28.845). Pour mémoire,
les dispositions du règlement intérieur de cette crèche imposaient au personnel une obligation générale de laïcité et de neutralité. Si les juges du fond avaient pu estimer cette obligation comme légitime au regard de l’activité de la société, ce ne fut pas
le cas de la Cour Suprême qui a donc cassé l’arrêt rendu par la Cour d’appel.
La Cour a ainsi rappelé que le principe de laïcité posé par la Constitution française n’est pas applicable aux employeurs de droit privé ne gérant pas un service public. La crèche, même chargée d’une mission d’intérêt général – la garde d’enfants, devait donc s’en tenir au Code du travail.
En application des articles L 1121-1, L 1133-1 et L 1321-3 du Code du travail,
les restrictions apportées à la liberté religieuse doivent être justifiées par
la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et être proportionnée au but recherché.
Par sa généralité et son imprécision, la clause du règlement intérieur de la crèche Baby-Loup contrevenait à ces règles. Sa méconnaissance ne pouvait dès lors justifier
le licenciement de la salariée. La mesure de rupture fautive devenant alors constitutive d’une discrimination en raison des convictions religieuses de l’intéressée, elle a logiquement été déclarée nulle.
La HALDE avait déjà peu ou prou exprimé les mêmes restrictions à la rédaction d’un règlement intérieur : la clause restreignant la liberté religieuse doit être rédigée le plus précisément possible, la pertinence et la proportionnalité de la restriction aux libertés
du salarié s’appréciant au cas par cas, au regard des tâches concrètes du salarié
et du contexte de l’exécution de son travail (Délibération Halde 2009-117 du 6-4-2009).
L’on peut le déplorer ou s’en réjouir, mais il semble que la Cour en soit arrivée ici
à une interprétation stricte de notre législation nationale. En effet, en l’état actuel
du droit, les principes de laïcité et de neutralité ne peuvent pas être invoqués pour restreindre la liberté de religion des salariés employés dans une entreprise n’assurant pas la gestion d’un service public.
En tout état de cause, ces questions de société sont donc tranchées par le législateur
et non par le juge, et en l’état du droit positif, il n’existe pas de norme législative en ce sens. C’est sur cet aspect que le débat, à tout le moins délicat et compliqué, semble aujourd’hui ouvert devant nos institutions.