Il y a quelques temps nous avions évoqué sur ces pages une décision aux termes de laquelle La Cour de cassation avait décidé qu’un accident survenu dans une discothèque à l'étranger pouvait être un accident du travail (Cass. 2e civ. 12-10-2017 no 16-22.481 F-PB).
En effet, selon une jurisprudence constante, un salarié accomplissant une mission pour son employeur a par essence droit à la protection contre les accidents du travail pendant tout le temps qu’il y consacre, peu important que l’accident survienne à l’occasion d’un acte professionnel ou d’un acte de la vie courante (Cass. soc. 19-7-2001 n° 99-21.536 FS-PBRI et n° 99-20.603 FS-PBRI ).
L’employeur ou l’organisme social peuvent toutefois renverser la présomption en rapportant la preuve que le salarié s’était, lors de l’accident, interrompu dans l’exécution de sa mission pour un motif personnel.
C’est exactement ce qu’a tenté de faire – mais sans succès – un employeur dans une décision récente de la Cour d’appel de Paris, décision qui aborde frontalement les épineuses questions de l’éros et du thanatos au travail (Cour d’appel de Paris – Pôle 6 – Chambre 12 – 17 Mai 2019 – N° RG 16/08787).
L’espèce concernait le brusque décès d’un technicien de sécurité au cours d’un déplacement professionnel.
Ce dernier ayant été retrouvé sans vie dans la chambre d’une mystérieuse inconnue, l’histoire commence comme un roman de Gaston Leroux mais finit comme les dernières heures de Félix Faure.
A la suite de la prise en charge du décès au titre de la législation professionnelle, la société a saisi la Commission de recours amiable, puis le tribunal des affaires de sécurité sociale, afin de se voir déclarer inopposable cette décision. Le jugement rendu confirmant la décision de la Commission, la société poursuit l’instance devant la Cour d’appel de Paris.
Dans ce cadre, elle sollicite l’infirmation en faisant valoir que le salarié aurait en réalité interrompu sa mission pour se livrer à une toute autre activité que celle pour laquelle il était rémunéré, s’agissant d’une « relation adultérine avec une parfaite inconnue ».
Dans ce cadre pour le moins croquignolet, il était demandé à la Cour de :
- Constater qu’il n’était plus en mission au moment de son malaise mortel ;
- Constater que l’accident cardiaque était dû à l’acte sexuel et non à son travail.
La CPAM, en réponse à cet argumentaire, fait valoir qu’un « rapport sexuel relève des actes de la vie courante » (d’aucuns pourraient dire que ce n’est pas forcément aussi courant que cela dans la vie), à l’instar « d’une douche ou d’un repas ».
Ensuite, partant de ce postulat, elle affirme que l’employeur ne rapportait pas la preuve – ici nécessaire – que le salarié avait « interrompu sa mission pour accomplir un acte totalement étranger à celle-ci ».
Il serait légitime de considérer cet argumentaire comme quelque peu audacieux et pourtant la Cour d’appel le confirme intégralement. Pour ce faire, elle retient le concept d’un évènement de « la vie courante », et rappelle les dispositions de l’article L 411-1 du Code de la sécurité sociale selon lequel est « considéré comme accident du travail, quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d’entreprise. »
Ainsi, alors que personne ne conteste que le salarié a trouvé la mort dans les bras d’une créature en un lieu autre que la chambre d’hôtel réservée par l’employeur, elle estime que la société est défaillante dans la preuve de ce que le défunt se serait « interrompu dans sa mission pour un motif personnel ».
Même durant ce fatal rapport sexuel, le salarié serait donc resté « dans la sphère de l’autorité de l’employeur ».
Il serait donc bien difficile au travailleur d’échapper à son fardeau quotidien, même dans l’amour, et jusqu’à la mort.
Sébastien Bourdon