L’ancienneté ne fait pas tout (mais aide un peu quand même)

Droit Social

Nous évoquions il y a peu sur ces mêmes lignes (le terme est de circonstance s’agissant d’une affaire de pilotes d’avion) les conséquences de l’ancienneté d’un salarié sur l’appréciation des manquements dont il lui était fait grief dans le cadre de la rupture de son contrat de travail.

La Cour de cassation avait confirmé la faute grave en ne retenant pas la position initialement adoptée par la Cour d’appel qui avait considéré que la grande ancienneté du salarié était de nature à minimiser le manquement commis.

Souvent Cour de cassation varie, bien fol qui s’y fie, il ne fallait donc pas tirer de cet arrêt un retournement complet de jurisprudence mais simplement la continuité d’une appréciation concrète des situations. Ainsi, dans un arrêt plus récent, la Cour a à l’inverse considéré que l’ancienneté d’un salarié était de nature à atténuer la gravité des fautes commises (Cass. Soc. 19 mai 2016).

Le salarié dont il était question avait porté de fausses accusations de violences envers un supérieur hiérarchique, comportement qui avait justifié son licenciement, et pour faute grave tant qu’à faire.

Saisi de la contestation de cette mesure, il appartenait aux juges de déterminer si un tel comportement relevait de la qualification retenue par l’employeur.

C’est à cet exact moment de l’histoire que ressurgit le serpent de mer de l’ancienneté du salarié. Les juges du fond avaient pour leur part décidé, tout en reconnaissant la réalité des faits reprochés à l’intéressé, qu’ils ne caractérisaient pas une faute grave, mais une simple cause réelle et sérieuse de licenciement.

L’argument retenu expressément pour ce faire était que le salarié avait un peu plus de trois ans d’ancienneté. Autant dire assez peu d’ailleurs, même au regard des standards contemporains et des carrières de plus en plus éclairs que font les uns et les autres dans les entreprises. De ce fait, l’argument surprend quand même déjà un peu.

C’est même d’autant plus surprenant que le salarié avait déjà des antécédents disciplinaires (on ne sait s’il s’était déjà distingué par sa mythomanie dangereuse).

Enfin, accuser faussement quelqu’un de violences au sein d’une entreprise ne relève pas franchement d’une attaque à fleurets mouchetés.

Pourtant, la Cour, dans ce qui doit être considéré comme sa grande sagesse, a considéré que « la cour d’appel, prenant en considération l’ancienneté du salarié, a pu retenir que les faits ne rendaient pas impossible son maintien dans l’entreprise » et a donc rejeté la qualification de faute grave.

 

En réalité, la Cour poursuit son bonhomme de chemin de manière assez cohérente. Elle a d’abord longtemps exercé un contrôle strict sur les décisions des juges du fond en matière de faute grave en qualifiant d’autorité ce qu’elle considérait comme étant un fait de nature à rendre impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et, partant, constitutif d’une faute grave (voir par exemple, en matière d’atteinte à la dignité, Cass. soc. 19-1-2010 n° 08-42.260 ; de violence sur un subordonné, Cass. soc. 22-3-2007 n° 05-41.179).

Désormais, elle limite son contrôle aux erreurs manifestes de qualification commises par les juges du fond au regard des faits fautifs constatés. Dès l’instant qu’ils n’ont pas commis une telle erreur de qualification, elle s’en remet à leur appréciation (Cass. soc. 25-9-2013 nos 12-16.168 et 12-19.464 ; Cass. soc. 12-3-2014 n° 13-11.696).

 

La Cour de cassation adopte donc une position finalement plus conforme à sa mission ne s’immisçant pas dans les faits, laissant très logiquement cette tâche aux juges du fond.

L’on peut se satisfaire de cette possibilité laissée aux juges du fond de reprendre la main, même si leurs décisions sont rarement uniformes et notamment selon que l’on se retrouve devant un Conseil de prud’hommes ou une Cour d’appel.

A l’instar des juges saisis, il appartient donc aux praticiens d’apprécier in concreto les faits soumis en tenant d’envisager au mieux quel parti serait retenu par la juridiction saisie. La tâche n’est pas forcément aisée…

Réforme de la procédure en matière sociale

Droit Social

À compter du 1er août 2016, la procédure d’appel devant les chambres sociales devient une procédure avec représentation obligatoire, il est donc dorénavant impossible d’agir devant la Cour d’appel sans être représenté par un avocat ou un représentant syndical.

Les employeurs devant être représentés par un avocat, de même que les salariés, quoique ces derniers pouvant l’être également par un défenseur syndical.

Cette différence de traitement, un peu surprenante, se poursuit dans les actes de procédure. En effet, l’avocat qui inscrira l’appel devra obligatoirement, à peine d’irrecevabilité, recourir à la voie électronique dans les conditions de l’article 930-1 du CPC. Le défenseur syndical établira, quant à lui, son acte sur papier et le remettra au greffe.

Faute d’avoir accompli cette diligence, l’irrecevabilité de l’appel sera encourue.

S’agissant de la territorialité, comme pour les autres procédures avec représentation obligatoire, les parties ne pourront agir que par le biais d’un avocat du ressort de la Cour auprès de laquelle l’appel est formé. C’est à ce dernier qu’incomberont les actes de procédure. Les parties au procès pourront cependant être également assistées, notamment pour la rédaction des conclusions ou les plaidoiries, par tout avocat de leur choix, qu’il relève ou non du territoire concerné. Il restera donc, dans ce cadre, loisible à tout avocat de plaider hors son barreau de rattachement.

En revanche, nouvelle différence (inégalité ?) de traitement, aucune règle afférente à la territorialité n’est prévue pour le défenseur syndical, ce dernier pouvant donc assister les salariés devant n’importe quelle Cour d’appel, sans avoir recours à un postulant (et pouvant ainsi ne pas exposer les frais de postulation afférents).

S’agissant des délais pour conclure, l’appelant dispose maintenant d’un délai de trois mois pour ce faire (à compter de l’ouverture du dossier). L’intimé dispose d’un délai de deux mois à compter de la notification des conclusions de l’appelant pour conclure et former, le cas échéant, un appel incident. L’intimé à un appel incident ou à un appel provoqué a, quant à lui, deux mois pour conclure en réponse.

Le non-respect par l’appelant du délai de trois mois sera sanctionné par la caducité de sa déclaration d’appel. Le non-respect de son délai de deux mois par l’intimé sera sanctionné par l’irrecevabilité de ses conclusions.

Notons le, et le changement est d’importance, la procédure jusqu’alors en principe orale devient écrite, la partie qui aura vu ses conclusions jugées irrecevables ne pourra ni produire ses pièces, ni plaider.

L’ensemble des incidents de procédure relèvera de la compétence exclusive du conseiller de la mise en état.

S’agissant des communications de pièces, les avocats ne la réitèrent généralement pas lorsque les pièces sont identiques à celles produites en première instance devant le Conseil de prud’hommes. À l’égard du greffe de la Cour d’appel, la dénonciation des pièces n’est également pas exigée. Le bordereau récapitulatif doit néanmoins être joint aux conclusions transmises, comme cela était déjà le cas et conformément aux règles de la procédure civile.

Nouveauté, un dossier comprenant les copies des pièces visées dans les conclusions et numérotées dans l’ordre du bordereau récapitulatif doit être déposé à la cour quinze jours avant l’audience. Aucune sanction n’est toutefois prévue dans ce cadre.

Enfin, l’article 1635 bis P du Code Général des Impôts dispose qu’il est institué un droit d’un montant de 225 Euros dû par les parties à l’instance d’appel lorsque la constitution d’avocat est obligatoire devant la cour d’appel (ce qui est maintenant le cas en matière sociale, sauf à être salarié et représenté par un défenseur syndical). Le droit est acquitté, à peine d’irrecevabilité, par l’avocat postulant pour le compte de son client. Il n’est pas dû par la partie bénéficiaire de l’aide juridictionnelle.

Ces modifications procédurales ne sont pas anodines, la possibilité de ne point être représenté ayant disparu et le caractère oral de la procédure étant largement supprimé. Ce souci de rigueur et ses conséquences devront être appréciés dans les mois qui viennent.

Il n’en demeure pas moins que l’on peut s’étonner des souplesses accordées par ce texte au défenseur syndical.

Préjudice, prouve que tu existes

Droit Social

Alors que la France se déchire sur la loi El Khomri, engluée dans la « stratégie de l’émotion » (Anne-Cécile Robert) qui préside semble t’il aux destinées contemporaines, la jurisprudence de la Cour de cassation poursuit son bonhomme de chemin, rendant des décisions inattendues, à même d’agacer un peu les salariés et ceux qui disent les représenter (pour peu qu’ils lisent les revues de jurisprudence).

Ainsi, le 13 avril dernier, ladite Cour, revenant sur sa jurisprudence admettant que certains manquements de l’employeur causent nécessairement un préjudice au salarié, décidait que les juges du fond doivent toujours caractériser la réalité du préjudice subi par l’intéressé et l’évaluer.

Cela peut sembler un peu sioux, mais en réalité, la juridiction revient – enfin – à une application plus orthodoxe des règles de la responsabilité civile.

 

Effectivement, nul besoin d’être un spécialiste de la spécialité (sic) pour s’étonner quelque peu de ce que les juridictions du travail condamnent systématiquement l’employeur, partant du principe que certains manquements à ses obligations causaient nécessairement un préjudice au salarié.

Ce dernier pouvait alors se dispenser d’apporter le moindre élément aux débats justifiant de dommages subis du fait de l’impéritie ou de la mauvaise volonté de celui qui l’employait.

Cette pratique jurisprudentielle s’est d’abord appliquée au non-respect de règles de procédure prévues par le Code du travail, pour évidemment éviter qu’elles ne soient contournées. L’exemple typique concerne le non-respect de la procédure de licenciement à l’égard de salariés n’ayant pas deux ans d’ancienneté ou appartenant à une entreprise occupant moins de onze salariés (Cass. soc. 23-10-1991 n° 88-43.235 et Cass. soc. 7-11-1991 n° 90-43.151 : RJS 12/91 n° 1308).

Elle a cependant été étendue à d’autres manquements, pas forcément aussi cruciaux. Ainsi, et de manière non exhaustive : l’absence de mention de la priorité de réembauche dans la lettre de licenciement (Cass. soc. 16-12-1997 n° 96-44.294 : RJS 1/98 n° 80), le défaut de remise ou la remise tardive des documents pour l’assurance chômage et des documents nécessaire à la détermination exacte des droits du salarié (Cass. soc. 19-5-1998 n° 97-41.814 : RJS 7/98 n° 865 ; Cass. soc. 6-5-2002 n° 00-43.024 : RJS 7/02 n° 813 ; Cass. soc. 9-4-2008 n° 07-40.356 : RJS 7/08 n° 771 ; Cass. soc. 1-4-2015 n° 14-12.246), l’absence de mention de la convention collective applicable sur les bulletins de paie (Cass. soc. 19-5-2004 n° 02-44.671 : RJS 7/04 n° 810) ; la stipulation dans le contrat d’une clause de non-concurrence nulle (Cass. soc. 12-1-2011 n° 08-45.280 : RJS 3/11 n° 236 ; Cass. soc. 28-1-2015 n° 13-24.000), le non-respect par l’employeur du repos quotidien de 11 heures (Cass. soc. 23-5-2013 n° 12-13.015 : RJS 8-9/2013 n° 611).

Le problème de cette jurisprudence des chambres sociales on ne peut plus favorable pour les salariés était qu’elle était en contradiction flagrante avec celle pratiquée par les autres chambres de la Cour.

En effet, la Cour de cassation juge, tant en sa chambre mixte qu’en assemblée plénière, que l’existence ou l’absence de préjudice relève de l’appréciation des juges du fond, ceux-ci « appréciant souverainement le montant du préjudice dont ils justifient l’existence par l’évaluation qu’ils en ont fait » (Cass. ch. mixte 6-9-2002 n° 98-14.397 ; Cass. ass. plén. 26-3-1999 n° 95-20.640). Et si d’autres chambres de la Cour de cassation admettent ponctuellement l’existence d’un préjudice nécessaire, le phénomène est rare : ainsi en matière de concurrence déloyale (Cass. com. 22-10-1985 n° 83-15.096) ou de manquement au devoir d’information (Cass. 1e civ. 3-6-2010 n° 09-13.591).

 

Revenant à une application plus rigoureuse des règles de la responsabilité civile, la chambre sociale juge ainsi, dans son arrêt du 13 avril 2016, que l’existence d’un préjudice et l’évaluation de celui-ci relèvent du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond.

L’existence d’un préjudice n’est désormais, même en matière sociale, plus présumée et automatique, et celui qui invoque un manquement aux règles de la responsabilité civile devra donc prouver cumulativement l’existence d’une faute, d’un lien de causalité et d’un préjudice.

La Cour met ainsi fin à cet étrange concept du « préjudice de principe », ce qui pourra sembler cruel au plaignant, mais somme toute assez cohérent pour les praticiens du droit.

Time flies

Droit Social

« On ne peut pas être et avoir été », dit un dicton populaire. « Pourquoi ? On peut très bien avoir été un imbécile et l'être encore » comme le rétorquait Pierre Dac.

Cette question du temps qui passe et de ses effets sur la personne du salarié (ou de l’employeur) se pose parfois en droit du travail.

Ainsi, la position de l’avocat d’employeur se révèle souvent assez délicate lorsqu’il s’agit de défendre judiciairement une mesure de licenciement motivée par des insuffisances professionnelles ou des manquements plus ou moins graves commis par un salarié à l’ancienneté antédiluvienne.

Alors que le désintérêt, la lassitude, la paresse, la perte de motivation sont des phénomènes que l’on rencontre tous les jours, ils paraissent parfois incongrus devant la juridiction prud’homale.

Ces phénomènes n’en demeurent pas moins réels et l’ancienneté importante d’un salarié ne saurait excuser ou minimiser des manquements récents et avérés. C’est ce qu’est venue rappeler la Cour de cassation le 13 janvier dernier (n° 14-18.145).

La jurisprudence s’était jusqu’alors illustrée par l’énonciation du principe selon lequel l’ancienneté d’un salarié peut être retenue comme circonstance atténuant la gravité de la faute commise (Cass. soc. 17-4-2013 n° 11-20.157 concernant la falsification de documents par un salarié comptant 20 ans d’ancienneté ; ou Cass. soc. 7-3-2006 n° 04-43.782 pour une absence injustifiée d’une semaine d’un salarié ayant vint-cinq ans de carrière).

Le tempérament à ce principe retenu récemment par la Cour de cassation repose sur la nature de la faute et des répercussions que celle-ci peut avoir sur l’entreprise et son activité.

L’espèce concernait un pilote de ligne (un métier où la rigueur ne doit pas attendre le nombre des années, ni diminuer avec celles-ci !!). Celui-ci avait justement commis cinq manquements graves d’ordre technique de nature à compromettre la sécurité des passagers, s’étant notamment trompé de piste de décollage au moment du départ (l’histoire ne dit pas s’il avait confondu avec une piste d’atterrissage).

Cette omission avait conduit le commandant de bord du vol retour à revenir à deux reprises à son point de départ pour finalement annuler le vol.

La cour d’appel, tenant expressément compte des onze années d’ancienneté du salarié, en ne contestant pas la matérialité des faits, avait néanmoins requalifié la faute grave en faute simple.

La Cour de cassation n’a quant à elle pas retenu cette excuse de l’ancienneté et a considéré que les faits rendaient impossible la poursuite du contrat de travail et constituaient bien une faute grave.

Il est, sur cette seule décision, difficile d’affirmer que nous sommes face à un retournement de jurisprudence, la nature du métier concerné et les risques encourus en cas de manquements n’étant ici pas mineurs. Toutefois, l’on peut se réjouir que ne soit pas, au moins ponctuellement, retenue comme excuse absolutoire la grande ancienneté d’un salarié.

La preuve prud’homale face aux notions de vol et de confidentialité

Droit Social

Dans le cadre du procès prud’homal, il appartient aux parties en présence d’apporter les éléments à même d’éclairer le juge et, si possible, de le convaincre du bien fondé de son propos.

S’agissant du salarié, le plus souvent demandeur à l’instance, la jurisprudence lui semblait dans ce cadre globalement favorable, s’agissant des moyens utilisés et admis pour se fournir des pièces. Au plan pénal, le fait pour le salarié de s’approprier ou de reproduire des documents ne constitue en effet pas un vol dès lors que ces derniers étaient nécessaires pour assurer sa défense (Cass. crim. 11-5-2004 n° 03-85.521 :  RJS 8-9/04 n° 887) dans le procès prud’homal l’opposant à son employeur (Cass. crim. 9-6-2009 n° 08-86.843 :  RJS 1/10 n° 9) ou qu’il entend engager peu après la rupture de son contrat (Cass. crim. 16-6-2011 n° 10-85.079 :  RJS 8-9/11 n° 658).

Plus précisément, le salarié qui, sans autorisation de l’employeur, s’approprie ou reproduit des documents de l’entreprise, ne commet pas de vol lorsqu’il en a eu connaissance à l’occasion de ses fonctions et que leur production est strictement nécessaire à l’exercice de sa défense dans le litige l’opposant à l’employeur (Cass. crim. 11 mai 2004 : RJS 8-9/04 n° 887, Bull. crim. n° 117), à condition toutefois qu’il s’agisse d’un litige prud’homal (Cass. crim. 9 juin 2009 : RJS 1/10 n° 9, Bull. crim. n° 119).

Jusqu’à présent, la position de la chambre criminelle de la Cour de cassation était en harmonie avec celle de la chambre sociale, cette dernière admettant que les pièces ainsi obtenues puissent être produites en justice (Cass. soc. 30 juin 2004 : RJS 10/04 n° 1009, Bull. civ. V n° 187).

Il semble toutefois que cette jurisprudence commune ne puisse plus aussi aisément être invoquée. En effet, dans un arrêt récent, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation a considéré que reposait sur une cause réelle et sérieuse le licenciement d’un salarié qui s’était emparé de bulletins de paie appartenant à l’entreprise et le concernant, mais dont il n’avait plus les originaux, pour en faire des copies destinées à être produites en justice (Cass. soc. 8-12-2015 no 14-17.759).

Un salarié avait en effet photocopié sans autorisation de son employeur plusieurs de ses bulletins de paie, dont il n’avait plus les originaux, afin de se constituer des preuves dans un litige en cours. Il conteste ensuite son licenciement, prononcé pour ce motif.

Les juges du fond, approuvés ensuite par la Cour de cassation, désapprouvent son comportement. Même si ces documents le concernaient, ou s’il avait égaré ceux dont il aurait du disposer, le salarié a, par son geste, porté atteinte au droit de propriété de l’entreprise (« du fait de cette atteinte au droit de propriété, son licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse »).

Les juges du fond avaient notamment mis en exergue que l’intéressé aurait pu les obtenir par des démarches amiables ou judiciaires. De ce fait, qu’importe les documents concernés, c’est la déloyauté du procédé utilisé par le salarié qui justifie la rupture du contrat de travail.

Cette décision, particulièrement sévère, surprend quand même quelque peu, et la lecture in extenso de l’arrêt ne permet d’en apprendre plus sur les faits de l’espèce, et notamment sur les évènements qui ont entouré cette photocopie litigieuse et qui pourraient peut-être amener à mieux comprendre la position extrêmement tranchée et peu orthodoxe des juges. Tout au plus peut-on en conclure que les salariés devront maintenant être un peu plus prudents quant aux méthodes employées pour se défendre, l’employeur pouvant les utiliser à leur détriment dans le cadre du litige prud’homal.

Toutefois et à l’inverse, l’employeur devra également se montrer prudent quant aux éléments qu’il entendra utiliser au soutien de son argumentation. En effet, semblant prendre le contrepied de la jurisprudence récente, la Cour de cassation a finalement décidé que les mails du salarié issus de sa messagerie personnelle sont un mode de preuve illicite et ce même si la consultation de ces derniers s’est faite sur son ordinateur de travail (Cass. soc. 26-1-2016 n° 14-15.360).

Pour mémoire, les e-mails échangés par un salarié à l’aide de l’outil informatique mis à sa disposition par l’employeur pour les besoins de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel. L’employeur peut donc librement les contrôler, dès lors qu’ils n’ont pas été expressément identifiés comme personnels, à moins que le règlement intérieur de l’entreprise n’en dispose autrement (Cass. soc. 26-6-2012 n° 11-15.310 : RJS 10/12 n° 761). En revanche, s’ils ont été identifiés comme tels, l’employeur ne peut les ouvrir qu’en présence de l’intéressé ou celui-ci dûment appelé à cette fin (Cass. soc. 15-12-2010 n° 08-42.486 : RJS 2/11 n° 92 ; Cass. soc. 16-5-2013 n° 12-11.866 : RJS 7/13 n° 503).

En réalité, cette jurisprudence, pour précise qu’elle soit, ne couvrait qu’imparfaitement la problématique des correspondances du salarié et plus particulièrement celles échangées par le biais de la messagerie professionnelle de l’entreprise (l’évolution même du travail et l’interpénétration des sphères privées et professionnelles ne pouvant qu’amener à l’utilisation personnelle d’outils destinés au travail).

Il convient de préciser que dans la décision dont il est ici question, le salarié, s’il utilisait son ordinateur professionnel, utilisait une messagerie strictement personnelle et n’avait pas enregistré sur le disque dur de l’ordinateur les correspondances dont l’employeur a tenté de se prévaloir ensuite.

Rappelons en effet que la jurisprudence de la Cour de cassation confère un caractère présumé professionnel aux fichiers informatiques enregistrés sur le disque dur d’un ordinateur de l’entreprise. La chambre sociale a ainsi jugé que les courriels intégrés dans le disque dur de l’ordinateur de travail d’un salarié, ne sont pas identifiés comme personnels du seul fait qu’ils émanent initialement de la messagerie électronique personnelle de l’intéressé, et peuvent donc être consultés librement par l’employeur (Cass. soc. 19-6-2013 nos 12-12.138 et 12-12.139 : RJS 10/13 n° 650).

C’est donc très logiquement que la Cour de cassation a précisé que des messages électroniques provenant de la messagerie personnelle du salarié, distincte de la messagerie professionnelle dont il dispose pour les besoins de son activité, devaient nécessairement être écartés des débats, leur production en justice portant atteinte au secret des correspondances. Une solution identique avait déjà été retenue par la chambre commerciale de la Cour de cassation (Cass. com. 16-4-2013 n° 12-15.657 : RJS 7/13 n° 538).

Seul reste donc admis un contrôle de sa messagerie professionnelle, dans les conditions précédemment rappelées.

Ne pas respecter cette interdiction, outre qu’elle rend irrecevable devant le juge les messages provenant de la messagerie personnelle du salarié, expose l’employeur à des poursuites pénales sur le fondement de l’article 226-15 du Code pénal réprimant le délit d’atteinte au secret des correspondances (actuellement passible d’un an d’emprisonnement et d’une amende pouvant aller jusqu’à 45 000 € pour les personnes physiques). Et l’employeur engager également sa responsabilité civile et être condamné à réparer le préjudice subi par le salarié.

Bref, un appel général à la prudence s’impose…

Loyauté, sécurité, impunité ?

Droit Social

Qui n’a pas bondi à la lecture de cet arrêt de Cassation du 4 juillet 2000 (ce n’est pas si vieux, c’est le 21ème siècle) au terme duquel la Cour avait considéré que l'employeur ne pouvait pas appliquer de sanction à un salarié trésorier de comité d'entreprise coupable de malversations financières au détriment de cette – noble - institution (Cass. soc. 4-7-2000 n° 97-44.846) ? Cette jurisprudence surprenait d’autant plus que le Conseil d'Etat a ensuite pour sa part admis la légitimité du licenciement disciplinaire (CE 17-10-2003 n° 247701).

Partant d’un principe de quasi impunité, la Cour de cassation considère que les faits commis par le représentant du personnel dans l’exercice de son mandat et non liés à l’exécution de son contrat ne sont pas fautifs. Le Conseil d’Etat a, quant à lui, longtemps admis que de tels faits pouvaient légitimer un licenciement disciplinaire, s’ils avaient des répercussions sur le fonctionnement de l’entreprise.

Problème, en 2005, le Conseil d’Etat a finalement semblé rejoindre la position de la Cour Suprême en distinguant les agissements rattachables à l’exécution du contrat de travail – susceptibles de justifier une sanction disciplinaire – et les comportements liés à l’exercice du mandat, non fautifs (CE 4-7-2005 n° 272193).

S’agissant par ailleurs des faits commis par le salarié dans le cadre de sa vie privée, le Conseil d’Etat et la Cour de cassation appliquent les mêmes principes (un fait commis par le salarié dans le cadre de sa vie privée ne peut justifier son licenciement pour faute, sauf s’il traduit un manquement à ses obligations contractuelles – CE 5-12-2011 n° 337359 : RJS 2/12 n° 170). Mais les faits commis dans l’exécution des fonctions représentatives donnaient jusqu’alors lieu à des interprétations différentes.

Dans deux arrêts du 27 mars 2015, le Conseil d’Etat est finalement venu éclaircir sa jurisprudence en se prononçant sur le licenciement de salariés protégés ayant commis une faute dans le cadre de leurs fonctions représentatives.

Dans la première espèce, un représentant syndical avait, au cours d’une suspension de séance du comité d’entreprise, asséné un violent coup de tête (geste souvent qualifié plus vulgairement de « coup de boule », et pas forcément recommandée dans le cadre des réunions d’IRP) à l’un de ses collègues, lui causant une fracture du visage. Dans la seconde, le salarié, titulaire de plusieurs mandats, avait exercé une activité pour le compte d’une société concurrente pendant ses heures de délégation.

Dans les deux cas, l’employeur avait mis en œuvre une procédure de licenciement pour faute, sur autorisation administrative. Les salariés, s’appuyant sur la jurisprudence précitée, avaient saisi le juge administratif d’un recours, en faisant valoir que les faits qui leur étaient reprochés n’étaient pas liés à leur travail et ne pouvaient donc pas justifier un licenciement disciplinaire.

S’agissant de faits commis par le salarié protégé dans le cadre de sa vie privée, le Conseil d’Etat s’est déjà prononcé sur la qualification de tels agissements : de tels faits, commis en dehors de l’exécution du contrat de travail, ne peuvent pas motiver un licenciement pour faute (par exemple, à propos d’un retrait de permis de conduire : CE 15-12-2010 n° 316856).

Mais il a posé une exception à ce principe : l’employeur retrouve son pouvoir de sanction si les faits commis par l’intéressé traduisent une méconnaissance des obligations découlant du contrat de travail.

Dans les deux arrêts du 27 mars 2015 dont il est ici question, le juge administratif transpose ce principe à des faits commis par les salariés protégés dans le cadre de leurs fonctions représentatives.

En commettant un acte de violence (le « coup de boule » donc), le premier salarié avait ainsi indéniablement manqué à son obligation de ne pas porter atteinte à la sécurité d’autres membres du personnel (on ne saurait mieux dire !).

Quant au second salarié, en utilisant ses heures de délégation pour travailler chez un concurrent, il avait manqué à son obligation de loyauté envers l’employeur (là encore, on a l’impression de prêcher l’évidence). Ce dernier pouvait donc légitiment faire usage de son pouvoir disciplinaire.

Les deux arrêts du 27 mars 2015 clarifient donc la position du Conseil d’Etat. Si les faits commis ne caractérisent pas un manquement aux obligations découlant du contrat de travail, ils ne peuvent pas être sanctionnés, mais s’ils causent un trouble objectif au bon fonctionnement de l’entreprise, ils peuvent justifier un licenciement fondé, non pas sur ces faits, mais sur le trouble qui en résulte.

On se sent tout de même en droit de dire que les subtilités en la matière ne sont pas minimes.

Chose promise, chose due

Droit Social

Il est assez fréquent, et pas seulement chez les commerciaux, que l’employeur s’engage, le plus souvent à l’embauche, à fixer des objectifs personnels à un salarié, ces derniers, une fois atteints étant rémunérés en conséquence, selon des calculs plus ou moins subtils et compliqués.

L’évidence de l’intérêt réciproque des parties dans un tel schéma est criante, il n’y a donc en principe pas de raison de se priver.

Il convient toutefois de prendre garde à ne pas s’engager à la légère, la Cour de cassation l’ayant ainsi récemment rappelé.

En effet, par un arrêt du 19 novembre 2014 (Cass. soc. 19-11-2014 n° 13-22.686 n° 2062 F-D ), Sté Eni Gas et Power France c/ F.), la Cour de cassation a considéré que l’inexécution par l’employeur de son obligation de fixer en accord avec le salarié les objectifs dont dépend la part variable de la rémunération peut constituer un manquement empêchant la poursuite du contrat de travail, justifiant sa résiliation aux torts de l’employeur.

Cet arrêt vient compléter le corpus prétorien déjà conséquent afférent à ce qui justifie ou pas la résiliation judiciaire (ou la prise d’acte de la rupture) aux torts et griefs de l’employeur.

En l’espèce, un employeur s’était expressément engagé, dans le contrat de travail, à mener chaque année des négociations avec son salarié en vue de fixer d’un commun accord les objectifs dont dépendrait la partie variable de sa rémunération.

Le fait d’avoir failli à cet engagement contractuel rend tout d’abord l’employeur débiteur de cette partie variable pour les années où il n’établit pas avoir satisfait à cette obligation. En l’absence d’accord sur le montant, il appartient au juge saisi de le fixer.

Ensuite, comme le précise la Cour, l’inexécution par l’employeur de son obligation de fixer d’un commun accord avec le salarié les objectifs dont dépend la partie variable de la rémunération, est susceptible de constituer, en raison de l’importance des sommes en jeu, un manquement empêchant la poursuite du contrat de travail et justifiant sa résiliation aux torts de l’employeur.

La Cour de cassation rappelle également que lorsque le contrat de travail d’un salarié prévoit une rémunération comportant une partie variable dont les modalités de calcul sont fixées par les parties chaque année, le mode de calcul de la partie variable de la rémunération, objet de l’accord des parties, ne doit pas être confondu avec le droit du salarié à cette partie variable, acquis en vertu du contrat de travail (Cass. soc. 22 -5- 1995 n° 91-41.584).

La nature du contrôle exercé par la Cour de cassation sur la cause de la prise d’acte ou de la résiliation judiciaire du contrat de travail est précisé : le manquement justifiant la prise d’acte ou, comme ici, la résiliation du contrat de travail aux torts de l’employeur, doit être de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail, ce qu’il appartient aux juges du fond de faire ressortir (Cass. soc. 26 -3- 2014 n° 12-23.634, 12.35.040, 12-21.372 ; Cass. soc. 12 -6- 2014 nos 12-29.063 et 13-11.448).

Cette position tranche quelque peu puisqu’auparavant la seule constatation du défaut de fixation des objectifs dont dépendait la rémunération variable du salarié constituait une cause automatique d’imputabilité de la rupture (Cass. soc. 29 -6- 2011 n° 09 65.710).

La Haute Juridiction n’entend ainsi pas s’encombrer d’un contrôle par trop scrupuleux, laissant aux juges du fond une grande latitude dans l’appréciation des faits soumis et leurs conséquences sur la relation contractuelle (cela ressort notamment des tournures employées dans l’arrêt : la Cour d’appel « ayant ensuite souligné l’importance des sommes en litige »).

Secrets d’alcôve

Droit Social

Les hasards judiciaires de la vie trépidante de notre petite structure nous ont récemment amenés à nous confronter aux principes gouvernant la confidentialité des propos tenus lors d’une audience devant le bureau de conciliation d’un Conseil de prud’hommes. Dans un cas, nous nous trouvâmes en position d’accusé, dans l’autre d’accusateur. Et ce n’est pas faire excès de modestie que d’indiquer tout de suite que, dans les deux cas, nous fûmes victorieux, quand bien même les textes gouvernant la matière ne seraient pas forcément limpides.

Tout d’abord, rappelons que sauf exception, la conciliation constitue un préliminaire obligatoire dont l’absence entraîne une nullité d’ordre public de la procédure. Les séances du bureau de conciliation  ne sont pas publiques, sauf lorsqu’il ordonne des mesures provisoires. Dans ce cadre, qu’est-ce qui peut être dit ou répété ultérieurement de ce qui s’est passé lors de cette première audience, en gardant à l’esprit que le but avoué de cette audience est de faire parvenir les parties à un accord amiable, évitant la poursuite de la procédure en Bureau de jugement. Il est dans ce cadre évident que la discrétion sur les pourparlers s’impose aux parties, ne serait-ce que pour garantir les bonnes conditions de la négociation où le secret et la discrétion s’imposent d’évidence.

Dans la première espèce dont il est ici question, il s’agissait de la contestation d’une rupture conventionnelle quelque peu forcée, car reposant en réalité sur des motifs économiques. Lors de l’audience de conciliation, l’employeur s’était exprimé en affirmant  que la rupture du contrat de travail de la salariée se justifiait par l’acquisition d’un logiciel de comptabilité (propos d’ailleurs notés par un des conseillers présents, vraisemblablement dans le but d’apporter des éclaircissements lors de l’audience de plaidoirie, comme cela en est l’usage).

Nous avions évidemment repris cet aveu dans nos écritures, comme confirmant la tentative de fraude ayant entaché la procédure de rupture du contrat de travail par la voie conventionnelle plutôt que par celle du licenciement, au détriment des intérêts de la salariée concernée.

 

Dans ses écritures en réponse, arguant de ce passage de nos écritures, la société défenderesse venait affirmer que le fait d’évoquer ces propos justifierait la nullité de la procédure intentée, s’appuyant ainsi sur les dispositions cumulées des articles L 1411-1, R 1454-8 et R 1454-10 du Code du travail et 433 et 446 du Code de procédure civile.

Pour justifier sa position, la société défenderesse faisait état d’une décision émanant du Conseil de prud’hommes de Caen du 22 février 2013 dont une lecture attentive permettait de constater que ce qui était reproché à la demanderesse dans cette affaire, et qui avait justifié la nullité de la procédure, était d’avoir « fait expressément état des propositions » qui lui avaient été faites lors de l’audience de conciliation.

Cette jurisprudence précise donc en réalité bien ce qui ou ne peut pas se dire de ce qui s’est tenu lors de l’audience de conciliation, interdisant seulement l’évocation des échanges afférents à une issue transactionnelle. Ainsi, et en tout état de cause, cette décision ne s’appliquait pas aux faits de l’espèce, les propos évoqués dans nos écritures en demande étaient sans lien aucun avec d’éventuels pourparlers entre les parties en présence.

Cette position est d’ailleurs confirmée par les juridictions d’appel. Dans une décision du 12 septembre 2013, la Cour d’appel de Chambéry, en réponse à un moyen identique soulevé par la société intimée, statuait en ces termes sur l’exception de nullité soulevée (pièce n° 12) :

« Attendu que les éléments et propos invoqués par Monsieur Marc X… et qui auraient été tenus par la société C A D’A devant le bureau de conciliation ne concernent pas une ébauche de conciliation ou de proposition transactionnelle, mais sont seulement des moyens invoqués par l’employeur pour refuser toute conciliation, qu’il n’existe donc pas au cas d’espèce de violation du principe de confidentialité ».

Dans sa décision du 3 mars 2014, suivant ce raisonnement, le Conseil de prud’hommes de Poissy a donc écarté la demande de nullité en ces termes :

« Vu l’article 114 du Code de procédure civile : « aucun acte de procédure ne  peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n’est pas expressément prévue par la loi… »

Bien que l’article R 1454-8 du Code du travail dispose que les séances du bureau de conciliation ne sont pas publiques, aucun texte ne prévoit que les propos qui y sont échangés sont confidentiels. A défaut de conciliation, les prétentions qui restent contestées et les déclarations faites par les parties sur ces prétentions sont notés au dossier ou au procès-verbal, de telle sorte qu’elles peuvent être considérées comme faisant partie de la mise en état de l’affaire.

En conséquence, dit mal fondée cette demande de nullité. »

Il n’échappera pas à la sagacité des lecteurs que le Conseil de prud’hommes ne semble ici retenir aucun propos tenu lors de la conciliation sous le sceau de la confidentialité, même d’éventuels échanges afférents à une solution amiable, et ce en contradiction avec les décisions précitées qui font expressément cette distinction.

Dans une autre espèce, c’est le cas inverse qui nous était soumis, le défenseur syndical de deux salariés ayant pris l’initiative singulière de révéler dans ses conclusions en demande des échanges afférents à des offres transactionnelles ayant pu être faites lors de l’audience de conciliation par l’employeur ou son représentant. Nous avons donc légitimement soulevé la nullité de la procédure intentée.

Le Conseil de prud’hommes de Saint-Dié des Vosges a tranché en ces termes le 26 janvier 2015 :

« Qu’en l’espèce Messieurs B et G ont fait expressément état des propositions qui leur on été faites par la défenderesse, lors de l’audience de Conciliation (…) ;

Que la demande de nullité soulevée in limine litis est recevable ; 

Que l’inobservation des règles de la procédure, dans la présente instance, constitue une irrégularité de fond et doit entraîner sa nullité ; 

En conséquence, le Conseil de prud’hommes constate que Messieurs B et G n’ont pas observé les règles de la procédure ; qu’en conséquence la procédure est nulle. »

Ces décisions sont susceptibles d’appel, mais elles permettent tout de même de se faire une idée un peu plus précise de ce que l’on peut ou non rapporter de la teneur d’une audience de conciliation dans le cadre du bureau de jugement.

Surtout et en tout état de cause, au regard de la gravité de la sanction (nullité de la procédure), l’idée de faire état des pourparlers, quand bien même les parties ou leurs représentants ne seraient pas tenus par le secret professionnel, est évidemment à proscrire absolument.

Après la période d’essai, ce n’est plus la période d’essai (justement)

Droit Social

Les hasards judiciaires de la vie trépidante de notre petite structure nous ont récemment amenés à nous confronter aux principes gouvernant la confidentialité des propos tenus lors d’une audience devant le bureau de conciliation d’un Conseil de prud’hommes. Dans un cas, nous nous trouvâmes en position d’accusé, dans l’autre d’accusateur. Et ce n’est pas faire excès de modestie que d’indiquer tout de suite que, dans les deux cas, nous fûmes victorieux, quand bien même les textes gouvernant la matière ne seraient pas forcément limpides.

Le préavis en cas de rupture de période d’essai a, de tous temps, constitué un véritable casse-tête, la durée de ce dernier pouvant déborder la date de rupture, prolongeant en quelque sorte une période d’essai en réalité… achevée. L’imprécision des textes en la matière n’arrangeant il faut bien dire pas grand-chose.

Pour mémoire, l’article L 1221-25 du Code du travail prévoit le respect d’un délai de prévenance en cas de rupture d’une période d’essai. La durée de ce délai varie en fonction de la durée de présence du salarié dans l’entreprise et de la personne qui prend l’initiative de la rupture.

Ce texte précise par ailleurs que la période d’essai, renouvellement inclus, ne peut être prolongée du fait de la durée du délai de prévenance.

Que déduire alors d’une exécution dudit préavis. Du fait du respect du délai de prévenance, si ce dernier était travaillé, le risque existe de voir un salarié dont la période d’essai est rompue être présent dans l’entreprise au-delà de ladite période.

La Cour tranche en quelque sorte la question en des termes finalement assez clairs : en cas de rupture de la période d’essai, la poursuite du contrat de travail au-delà du terme de cette période pour respecter le délai de prévenance fait naître un nouveau CDI ne pouvant être rompu par l’employeur que par un licenciement (Cass. soc. 5 novembre 2014 n° 13-18.114 (n° 1932 FS-PB).

Ainsi, tout va bien, sauf si l’on a l’idée saugrenue de demander au salarié de travailler alors que l’on ne veut plus de lui et qu’on le lui a déjà notifié.

En l’espèce, le salarié était soumis à une période d’essai de trois mois devant se terminer le 16 avril. Le 8 avril, l’employeur l’avait informé de la fin de son contrat à compter du 22 du même mois. S’estimant licencié, le salarié réclamait des dommages-intérêts. La cour d’appel l’avait débouté jugeant qu’il avait bien bénéficié du préavis de deux semaines auquel il pouvait prétendre.

 

La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel. Elle juge qu’en cas de rupture de la période d’essai, le contrat de travail prend fin au terme du délai de prévenance s’il est exécuté, et au plus tard à l’expiration de la période d’essai. La poursuite de la relation de travail à l’expiration de cette période donne naissance à un nouveau contrat à durée indéterminée qui ne peut être rompu à l’initiative de l’employeur que par un licenciement.

A défaut de notifier le licenciement dans les conditions légales requises, donc sans informer le salarié des motifs de la rupture, le licenciement est abusif. Le salarié ainsi licencié peut alors prétendre, en application de l’article L 1235-5 du Code du travail, à la réparation du préjudice nécessairement subi (Cass. soc. 24 janvier 2006 n° 04-41.341) et dont l’étendue est souverainement appréciée par les juges du fond (Cass. soc. 25 septembre 1991 n° 88-41.251 ; 14 mai 1998 n° 96-42.104).

L’employeur a donc intérêt à rompre la relation de travail au plus tard au terme de la période d’essai même si le préavis ne peut plus être exécuté. Ce manquement ne rend pas le contrat définitif et la rupture ne s’analyse pas en un licenciement (Cass. soc. 23-1-2013 n° 11-23.428). De manière plus générale, il est donc recommandé, en cas de rupture de période d’essai d’un salarié ne donnant pas satisfaction, de ne surtout pas lui faire effectuer un préavis qui perdurerait au-delà de la durée de ladite période.

Pour mémoire, sauf s’il a commis une faute grave, le salarié dont la période d’essai est rompue a droit à une indemnité compensatrice égale au montant des salaires et avantages qu’il aurait perçus s’il avait accompli son travail jusqu’à l’expiration du délai de préavis, conformément à l’article L 1221-25 du Code du travail tel que complété par l’ordonnance 2014-699 du 26 juin 2014 (ordonnance venue préciser des textes pour le moins abscons comme l’avait justement relevé la Cour de cassation dans son rapport annuel de 2012).

Sébastien Bourdon

On ne badine (toujours) pas avec la rémunération

Droit Social

Il y a quelques mois déjà, certains médias, brillant par leur sens de l’analyse et de la précision affirmaient, sur la foi de décisions rendues par la Cour de cassation, que : « un salarié ne peut plus refuser toute modification de son contrat de travail décidée unilatéralement par son patron ».

En réalité, cette erreur d’analyse de décisions rendues le 12 juin dernier venait d’une transcription quelque peu hâtive d’une dépêche AFP. Erreur fréquente que certains ont corrigé, mais sans toutefois pouvoir en empêcher la diffusion préalable, sur les réseaux sociaux notamment.

Qu’a en réalité dit la Cour de cassation, tel est le propos à suivre.

Ces deux décisions du 12 juin 2014 s’inscrivent dans le sillage de trois arrêts du 26 mars 2014, rendus en formation plénière, par lesquels la chambre sociale de la Cour de cassation a précisé que la notion de manquement grave pouvant justifier la prise d’acte par le salarié de la rupture de son contrat de travail ou sa résiliation judiciaire aux torts de l’employeur s’entend d’un manquement empêchant la poursuite du contrat de travail (Cass. soc. 26-3-2014 n° 12-23.634, 12.35.040, 12-21.372 : FRS 10/14 inf. 8 p. 7 ou FR 24/14 inf. 9 p. 22).

La perturbation que le manquement de l’employeur apporte au bon déroulement de la relation contractuelle est, en effet, également prise en compte ici pour débouter les salariés de leur demande de résiliation judiciaire du contrat de travail fondée sur la modification unilatérale de leur rémunération contractuelle. Le raisonnement de la Cour paraît également pouvoir être retenu s’agissant de la prise d’acte de la rupture du contrat.

En réalité, la Cour de cassation affirme que la simple modification du mode de rémunération du salarié ne justifie pas nécessairement la rupture dudit contrat, il n’y a aucun caractère d’automaticité.

Il est vrai que les interrogations des praticiens étaient légitimes dans la mesure où des arrêts antérieurs de la chambre sociale de la Cour de cassation avaient laissé entendre que le mode de rémunération contractuel d’un salarié constituant un élément du contrat de travail, il ne pouvait être modifié sans son accord même pour un système plus avantageux. Dans ces conditions, une modification du contrat portant sur cet élément justifiait systématiquement sa résiliation à l’initiative du salarié (notamment Cass. soc. 22-2-2006 n° 03-47.639 et Cass. soc. 10-10-2007 n° 04-46.468 : sur une demande de résiliation judiciaire ; Cass. soc. 5-5-2010 n° 07-45.409 : sur une prise d’acte de la rupture). Il n’en va donc plus de même aujourd’hui.

La première affaire concernait un attaché commercial embauché sur la base d’un contrat de travail prévoyant le versement d’une rémunération fixe complétée par des commissions calculées à des taux variables. En mars 2008, un avenant prévoyant une modification du mode de rémunération à effet rétroactif au 1er janvier précédent, était proposé au salarié, ce dernier refusant de le signer.

Cette modification lui ayant été néanmoins appliquée, le salarié, dénonçant ce qu’il qualifiait de « modification unilatérale de son contrat de travail », a saisi la juridiction prud’homale d’une demande en résiliation judiciaire du contrat aux torts exclusifs de l’employeur. Les juges du fond, après avoir constaté que, malgré l’application de taux de commissionnements fréquemment moins avantageux, le montant cumulé des éléments variables de rémunération calculés chaque mois et des primes allouées était supérieur au montant qui serait résulté de la simple application de la grille de commissionnements dont le salarié avait bénéficié en 2007, avaient débouté l’intéressé. A leurs yeux, les manquements de l’employeur aux règles contractuelles n’ayant pas été préjudiciables au salarié ne pouvaient être considérés comme suffisamment graves pour justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail, ce qu’a confirmé la Cour de cassation.

La deuxième espèce concernait un VRP auquel son employeur avait, en 2005, notifié une baisse de son taux de commissionnement de 33 % à 25 % sur la vente de certains matériels dont il avait la charge, alors qu’il avait antérieurement refusé de signer l’avenant contractuel correspondant. La Cour de cassation approuve là encore les juges du fond d’avoir débouté le salarié au motif, cette fois, que la modification unilatérale du contrat de travail ne représentait qu’une faible partie de la rémunération.

Evidemment, une lecture rapide de ces décisions pourrait laisser penser que la Cour, dans un élan inattendu, aurait soudainement décidé de laisser totalement la main à l’employeur s’agissant de la modification de la rémunération du salarié, réalisant ainsi les rêves les plus fous de Pierre Gattaz.

Il n’en est naturellement rien et il ne faut pas déduire de ces arrêts (ou des dépêches de l’AFP) que l’employeur pourrait dorénavant à sa convenance imposer une modification du contrat de travail au salarié. Une modification de la rémunération, dans son montant ou dans sa structure, ne peut toujours pas être imposée unilatéralement au salarié, et ce quelle que soit son importance.

Par ailleurs, le silence conservé par le salarié et la poursuite du contrat de travail aux nouvelles conditions imposées par l’employeur, même pendant une longue période, ne permet pas de déduire une acceptation tacite (notamment : Cass. soc. 17-9-2008, n° 07-42.366). Et il reste possible au salarié d’exiger la poursuite du contrat aux conditions antérieures (Cass. soc. 26-6-2001 n° 99-42.489).

Le changement opéré par les arrêts du 12 juin concerne uniquement l’issue de la prise d’acte de la rupture de son contrat par le salarié ou de sa demande de résiliation judiciaire : la rupture ne sera prononcée aux torts et griefs de l’employeur que si son manquement empêche la poursuite de l’exécution du contrat.

Il convient donc désormais de distinguer le manquement incontestable que commet l’employeur en modifiant unilatéralement le contrat, de ses conséquences sur la poursuite de la relation contractuelle. Ces dernières dépendent en effet de l’appréciation de la gravité du manquement commis, gravité appréciée par les juges du fond au regard des circonstances de fait exposées par les parties.

Dans un contexte où a été facilité et accéléré la phase judiciaire de la prise d’acte de rupture (http://bourdonavocats.fr/blog/bourdonnement.asp?id=18), la mise en place de tels freins jurisprudentiels ne peut qu’être saluée.