Optimisme législatif et marasme judiciaire

Droit Social

Pas plus tard qu’hier matin, j’étais au Conseil de prud’hommes de Nanterre, patientant gentiment que vienne mon tour (trois heures d’attente quand même). Avec quelques Confrères, nous évoquions les derniers développements afférents à la prise d’acte de la rupture, sujet en pointe dans l’un des dossiers de la matinée, et ce d’autant que le législateur s’est penché sur les aspects procéduraux de cette question juste avant l’été.

Il vous a en effet peut-être échappé que dorénavant, en cas de prise d’acte de la rupture du contrat par un salarié, l’affaire sera directement portée devant le bureau de jugement qui statuera dans le délai d’un mois suivant sa saisine. Le Parlement a en effet définitivement adopté le 18 juin dernier la proposition de loi relative à la procédure applicable devant le conseil de prud’hommes dans le cadre d’une prise d’acte de la rupture du contrat de travail par le salarié. Est donc supprimée donc la phase dite de conciliation (comme en matière de requalification de CDD par exemple – article L 1245-2 du Code du travail), obligeant le juge prud’homal à statuer dans le mois suivant sa saisine. Ce texte entrera en vigueur au lendemain de sa publication au Journal officiel.

Pour mémoire, la prise d’acte de la rupture du contrat de travail est une construction jurisprudentielle issue des arrêts de la chambre sociale de la Cour de cassation du 25 juin 2003 (n° 01-42.335). Un salarié, considérant que son employeur est à l’origine de manquements sérieux dans l’exécution du contrat de travail justifiant que soit constatée sa rupture aux torts et griefs de la société, quitte l’entreprise et saisit le juge afin qu’il tranche. Si les manquements sont suffisamment graves pour empêcher la poursuite des relations contractuelles, la rupture produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse (avec les conséquences pécuniaires en découlant : préavis, congés payés sur préavis, indemnité de licenciement et dommages et intérêts) ; dans le cas contraire, elle produit les effets d’une démission (et le salarié se retrouve le bec dans l’eau, pouvant même être condamné le cas échéant à verser à l’employeur une indemnité pour non respect du préavis – Cass. Soc. 4 février 2009 n° 07-44.142).

Une telle procédure, à l’issue très incertaine, est à la fois périlleuse et longue. Durant cette période d’attente pendant laquelle le juge n’a pas tranché, entre la saisine du Conseil de prud’hommes et le Bureau de jugement, le salarié se trouve alors dans une situation précaire puisque ne bénéficiant d’aucune protection sociale. En effet, sauf exceptions, l’intéressé n’a en effet pas droit aux allocations de chômage, Pole emploi estimant, légitimement, qu’il existe un doute sur le caractère volontaire ou non de la rupture. Dans les gazettes spécialisées, on évoque une durée d’attente de jugement se situant entre dix et seize mois. Hier, à Nanterre, c’était trente-et-un mois pour tout le monde (sauf les licenciements économiques)…

Afin de sécuriser la situation du salarié, ou du moins de réduire son temps d’incertitude impécunieuse, le législateur a donc décidé de mettre en place une procédure accélérée du traitement contentieux des prises d’actes par le conseil de prud’hommes. Aux termes d’un nouvel article L 1451-1 inséré dans le Code du travail, lorsque le conseil de prud’hommes est saisi d’une demande de qualification de la rupture du contrat de travail à l’initiative du salarié en raison de faits que celui-ci reproche à son employeur, l’affaire est directement portée devant le bureau de jugement, qui statue au fond dans un délai d’un mois suivant sa saisine, sans phase de conciliation préalable.

Peut-être un peu plus au fait des réalités du terrain, les partenaires sociaux ont fait part de leur relatif pessimisme, rappelant ainsi une évidence première : fixer dans la loi un délai de jugement d’un mois ne garantit pas qu’il soit respecté. Et ce n’est pas votre serviteur, avec des dates de bureau de jugement fin mars 2017 qui va affirmer le contraire (d’autant que les délais précités ne tiennent évidemment pas compte d’une éventuelle et possible poursuite de la procédure en appel). Tous les habitués des Conseils de prud’hommes sont naturellement curieux de voir comment ces juridictions surchargées vont gérer de tels délais dans un agenda déjà surchargé.

L’enfer est pavé de bonnes intentions, le législateur s’est fait fort de nous le rappeler.

De l’art d’être jeune père et salarié

Droit Social

Prenant en compte les évolutions de la société, le législateur a récemment apporté quelques modifications au statut du jeune père salarié avec la loi 2014-873 du 4 août 2014 dite « pour l’égalité réelle entre les hommes et les femmes ».

Une fois n’est pas coutume, le législateur dans cette démarche, s’est attardé sur le cas du père salarié et notamment par le biais de deux dispositions détaillées ci-après.

Tout d’abord, le conjoint de la future mère pourra bénéficier de trois autorisations d’absence pendant la grossesse (article 11 de la loi précitée).

La loi modifie ainsi l’article L 1225-16 du Code du travail pour permettre au conjoint d’une future mère de se rendre à trois des examens médicaux obligatoires de suivi de la grossesse. On parle ici généralement d’échographies, pour ceux qui auraient des doutes.

Cette autorisation d’absence est accordée aux personnes mariées, mais également à celles liées par un pacte civil de solidarité ou vivant maritalement avec la future mère, quel que soit leur sexe. Une femme salariée peut donc en bénéficier.

L’autorisation d’absence étant accordée pour se rendre à des examens médicaux, la durée de l’absence devrait comprendre non seulement le temps de l’examen médical, mais également le temps du trajet aller et retour. Mais tout le monde sait qu’il ne vaut mieux habiter trop loin de la clinique…

L’employeur devrait pouvoir exiger du salarié qu’il justifie de son lien avec la future mère, mais également d’un certificat du médecin suivant la grossesse et attestant que l’absence est liée à un examen prénatal obligatoire.

Très logiquement, ces absences autorisées ne devront entraîner aucune diminution de la rémunération. Elles sont donc assimilées à une période de travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés ainsi que pour les droits légaux ou conventionnels acquis par le salarié au titre de son ancienneté dans l’entreprise.

Encore plus fort, si l’on peut dire, les jeunes pères sont même maintenant protégés pendant quatre semaines contre le licenciement (article 9 de la loi). Durant les quatre semaines qui suivent la naissance de son enfant, le jeune père ne peut être licencié que s’il commet une faute grave ou si le maintien de son contrat de travail est impossible (nouvel article L 1225-4-1 du Code du travail).

Cette protection est accordée pendant les quatre semaines qui suivent la naissance de l’enfant, que le salarié choisisse de s’absenter – dans le cadre du congé de naissance, du congé de paternité et d’accueil de l’enfant ou de congés payés – ou qu’il reste présent dans l’entreprise au cours de cette période.

L’objectif de cette mesure est d’empêcher que la situation de famille du salarié ou le fait qu’il prenne son congé de paternité devienne un motif, même inavoué, de licenciement. Les bouleversements liés à l’arrivée d’un enfant ne s’interrompant pas au bout de quatre semaines, d’aucuns pourront dire que c’est un peu court, quand d’autres trouveront que c’est déjà ça.

La protection accordée au jeune père n’interdit toutefois pas à l’employeur de le licencier s’il a commis une faute grave ou si le maintien du contrat de travail est impossible pour un motif étranger à l’arrivée de l’enfant, tournures que l’on rencontre déjà dans notre code du travail.

En effet, le dispositif est inspiré de la protection dite « relative » accordée aux mères pendant les quatre semaines qui suivent leur retour de congé de maternité. Les principes posés par la jurisprudence à propos des jeunes mères devraient donc logiquement être transposables aux pères.

Ainsi, la faute grave ne devrait pas pouvoir être retenue si elle est liée à la naissance de l’enfant : par exemple, une absence injustifiée liée à des problèmes de santé dont souffrirait le nouveau-né ne pourrait donc pas justifier la rupture du contrat de travail (pas encore de jurisprudence sur le fait que le délicieux bambin ne fasse toujours pas ses nuits).

S’agissant de l’impossibilité de maintenir le contrat de travail, on pense souvent aux difficultés économiques de l’entreprise, l’employeur serait tenu de justifier précisément le motif de la rupture, et de ne pas manquer de préciser en quoi le maintien du contrat de travail serait impossible.

La loi ne prévoit pas expressément les sanctions encourues par l’employeur qui licencierait un salarié dans les quatre semaines suivant la naissance de son enfant sans justifier d’une faute grave ou d’une impossibilité de maintenir le contrat de travail pour un motif étranger à l’arrivée de l’enfant.

Par analogie avec la protection accordée aux jeunes mères, on peut considérer qu’un tel licenciement serait nul. Le salarié pourrait donc se prévaloir d’un droit à réintégration dans l’entreprise assorti d’une indemnisation compensant les salaires perdus entre son licenciement et sa réintégration ou bien, à défaut de réintégration, de dommages et intérêts ainsi que des indemnités de rupture du contrat de travail.

Sur le plan pénal, l’article R 1227-5 du Code du travail sanctionne le non-respect des règles relatives à la protection de la grossesse et de la maternité par une amende de 1 500 Euros pour une personne physique et de 7 500 Euros pour une personne morale. Mais la loi pénale étant d’application stricte, ces dispositions ne sont pas transposables en l’état aux pères salariés.

On ne doute pas de ce que les employeurs s’adapteront à ces nouvelles règles, la question est plutôt de savoir si les bénéficiaires de ces dispositions se lèveront plus souvent la nuit pour s’occuper des enfants. Mais là n’est pas l’objet de cette chronique.

Une histoire sans fin

Droit Social

On a cru n’en jamais voir l’issue, mais voilà que cette affaire qui a agité le pays se termine enfin, du moins sur un plan local. Pour mémoire, la salariée dont il est question avait été licenciée pour avoir refusé d'ôter son voile, malgré la neutralité expressément exigée par le règlement intérieur de la crèche : en assemblée plénière, la Cour de cassation admet finalement cette clause comme étant valable et le licenciement justement fondé sur une faute grave (Cass. Ass. Plén. 25 juin 2014 n° 13-28.369, X c/ Association Baby-Loup).

Pour se remémorer les divers rebondissements de cette ténébreuse affaire, je me permets un renvoi à ma précédente chronique sur ce thème, faisant suite à la décision prise par la Cour d’appel de renvoi (http://bourdonavocats.fr/blog/bourdonnement.asp?id=11).

Dans l’arrêt du 25 juin 2014 dont il est ici question, l’assemblée plénière de la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la salariée contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris qui, statuant sur renvoi après cassation, avait jugé son licenciement fondé sur une faute grave (CA Paris 27 novembre 2013 n° 13/02891), alors que la chambre sociale de la Cour de cassation l’avait précédemment déclaré nul (Cass. soc. 19 mars 2013 n° 11-28.845).

La chambre sociale de la Cour de cassation avait rappelé dans cette affaire que le principe de laïcité ne s’applique pas aux salariés des employeurs de droit privé ne gérant pas un service public, pour lesquels toute restriction à la liberté religieuse doit être justifiée par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence essentielle et déterminante et être proportionnée au but recherché. C’est en partant de ce postulat qu’elle avait déclaré nul le licenciement intervenu, décision remise en question par la Cour d’appel de renvoi.

Sans remettre expressément en cause la mise à l’écart de l’application du principe de laïcité, la Haute Juridiction, cette fois réunie en assemblée plénière ne retient pas l’idée quelque peu novatrice de la Cour d’appel de renvoi d’une entreprise « de tendance laïque ».

En effet, alors que la Chambre sociale de la Cour l’avait jugée trop imprécise, l’assemblée plénière de la Cour de cassation admet la licéité de la clause du règlement intérieur prévoyant que « le principe de la liberté de conscience et de religion de chacun des membres du personnel ne peut faire obstacle au respect des principes de laïcité et de neutralité qui s’appliquent dans l’exercice de l’ensemble des activités développées, tant dans les locaux de la crèche ou ses annexes qu’en accompagnement extérieur des enfants confiés à la crèche ».

Elle décide en effet que la cour d’appel a pu déduire de cette rédaction le caractère suffisamment précis, justifié et proportionné d’une telle restriction dans l’entreprise concernée en appréciant concrètement les conditions de fonctionnement de l’association de dimension réduite, n’employant que dix-huit salariés qui étaient ou pouvaient être en contact avec les enfants ou leurs parents.

L’assemblée plénière, considérant peut-être que la Cour de cassation avait une interprétation par trop abstraite des clauses du règlement intérieur, fait ainsi une appréciation on ne peut plus concrète des conditions de travail dans la crèche : le fait de pouvoir se croiser tous les jours (salariés, parents, enfants) dans cette petite structure justifierait de la validité de cette clause du règlement intérieur. Il y a là indéniablement un message à l’attention des rédacteurs de règlement intérieur, devant impérativement de tenir compte des conditions réelles de travail et de la taille de l’entreprise concernée. On ne peut par ailleurs que se réjouir de cette tendance de la Cour de cassation à « mettre les mains dans le cambouis » pour déterminer les solutions à retenir.

Cette obligation de neutralité est également jugée justifiée par les tâches accomplies par les salariés, les activités en contact avec de jeunes enfants seraient donc de nature à légitimer une restriction de la liberté des salariés de manifester leurs convictions religieuses (difficile de ne pas considérer que le signe religieux dont il était ici objet, un voile pouvant plus ou moins dissimuler le physique de la salariée, n’ait pas pesé dans la décision rendue, s’agissant d’un lieu ayant surtout vocation à accueillir des enfants).

Toutefois, alors que la cour d’appel de Paris avait qualifié la crèche d’entreprise de conviction au sens de la jurisprudence européenne, la Cour de cassation rejette cette qualification dès lors que cette association a pour objet, non de défendre des convictions religieuses, politiques ou philosophiques, mais, aux termes de ses statuts, de développer une action orientée vers la petite enfance en milieu défavorisé et d’œuvrer pour l’insertion sociale et professionnelle des femmes, sans distinction d’opinion politique et confessionnelle.

Si la Haute Juridiction disqualifie cet argument des juges d’appels, elle considère en réalité qu’il est surtout inopérant sur la solution du litige.

Elle tranche en affirmant que le licenciement de la salariée a pu être jugé fondé sur une faute grave en raison de son refus d’accéder aux demandes licites de son employeur de s’abstenir de porter le voile et des actes d’insubordinations répétés et caractérisés dans la lettre de licenciement, rendant impossible la poursuite du contrat de travail.

Cette décision met donc fin au litige devant les juridictions nationales. Cependant, un recours devant la Cour européenne des droits de l’Homme reste possible et qui sait, probable.

Tout est dans le paramétrage

Droit Social

Il y a peu, j’évoquais les conséquences pour un salarié d’un abus de l’utilisation d’Internet durant les heures de travail, au détriment de ce pour quoi il est présent, c’est-à-dire l’accomplissement de ses tâches quotidiennes.

Récemment, la Cour d’appel de Lyon est venu se pencher sur une autre problématique, là encore on ne peut plus contemporaine, celle des propos tenus par les salariés sur les réseaux sociaux, plus ou moins directement afférents à l’entreprise (CA Lyon 24 mars 2014 n° 13-03463, ch. soc. A, SA Catesson c/ D).

On aurait légitimement tendance à croire que les propos que l’on publie sur Facebook relèvent de la sphère privée, ne pouvant en principe être lus que par nos « amis » (ou « friends » pour les anglo-saxons). Une conversation de salon en somme. La Cour d’appel de Lyon, faisant montre d’une connaissance des technologies de l’information dont d’aucuns auraient pu malicieusement douter affine quelque peu ce raisonnement.

Ainsi, à la question l’employeur peut-il sanctionner un salarié pour avoir tenu sur un réseau social des propos concernant l’entreprise ou ses membres qui dépasseraient selon lui les limites du droit à la liberté d’expression dont bénéficie tout salarié, la Cour répond par un examen sourcilleux de la technologie applicable sur lesdits réseaux sociaux.

Il était ici demandé à cette dernière de se prononcer sur la légitimité du licenciement pour faute grave d’un salarié, conducteur routier, auquel l’employeur reprochait d’avoir tenu sur Facebook des propos qu’il qualifiait de diffamatoires et insultants à l’égard des dirigeants et de l’entreprise, affirmant que de nombreux salariés et clients avaient eu accès, ce qui aurait nui à l’image de l’entreprise.

De manière un peu lapidaire, la Cour, estimant que l’employeur ne rapportait pas la preuve que des clients de l’entreprise avaient eu accès aux propos litigieux, écarte la faute grave, partant du principe que dans une entreprise occupant plus de cent-cinquante salariés, il était peu probable que les clients de celle-ci aient connaissance de l’identité des membres de son personnel. Le raisonnement peut paraître surprenant, la société semblant vue comme un vase clos, avec des salariés sans contacts avec la clientèle.

La Cour d’appel fait en revanche état de sa connaissance du fonctionnement réseau fondé par Mark Zuckerberg, en s’intéressant de très près aux paramètres du « mur » du salarié concerné. Pour accéder à celui-ci, il suffisait simplement de saisir sur ce réseau social les nom et prénom de l’intéressé. Partant de cette facilité d’accès, du fait de l’absence de verrouillage des critères de confidentialité par le salarié, la cour d’appel admet alors la cause réelle et sérieuse du licenciement.

En effet, pour les juges du fond, même si les propos tenus par le salarié s’apparentaient en l’espèce plus à l’expression d’un malaise qu’à une volonté de porter atteinte à l’image de l’entreprise, ils décrivaient néanmoins la société en des termes injurieux et peu flatteurs démontrant un abus par le salarié de sa liberté d’expression.

Pour la Cour d’appel, la facilité d’accès au mur du salarié, notamment par plusieurs de ses collègues de travail titulaires d’un compte Facebook, avait donné un caractère public aux propos tenus. C’est donc le salarié lui-même, précise la cour d’appel, qui avait pris le risque de donner de la publicité à des propos qu’il estimait privés (en tout cas, c’est ce qu’il affirmait après coup…).

Ce n’est pas la première fois que les juges du fond procèdent à une distinction selon que le salarié a ou non paramétré son compte de manière à garantir la confidentialité de ses propos sur Facebook (cf. CA Besançon 15 novembre 2011 n° 10-02642 : N-VIII-7522). Dans le même esprit, la première chambre civile de la Cour de cassation, a jugé que des propos concernant l’employeur tenus par un salarié sur son compte Facebook ne peuvent constituer le délit d’injure publique – et justifier une action en dommages-intérêts sur ce fondement – dès lors qu’ils ne sont accessibles qu’aux seules personnes agréées par l’intéressé, en nombre très restreint (Cass. 1e civ. 10 avril 2013 n° 11-19.530 : N-VIII-7532).

Ainsi, peu importe ce que l’on écrit, l’essentiel étant de savoir qui peut le lire !

L’heure c’est l’heure

Droit Social

En toute logique, la Cour de cassation poursuit la construction d’un édifice jurisprudentiel afférent aux conventions de forfait-jours (problématique déjà évoquée sur ces lignes et que l’on peut retrouver ici : http://bourdonavocats.fr/blog/bourdonnement.asp?id=8). L’exercice pour l’employeur est finalement périlleux : il faut prévoir de manière rigide un système en apparence souple.

Ainsi, le 12 mars dernier, la Cour de cassation a arrêté le principe suivant : toute convention de forfait en jours doit fixer exactement le nombre de jours travaillés. Par ailleurs, l’entretien annuel sur la charge de travail doit bénéficier à tous les salariés soumis au dispositif y compris ceux qui ont signé leur convention avant le 22 août 2008 (Soc. 12 mars 2014, FS-P+B, n° 12-29.141).

Pour mémoire, la chambre sociale a précisé que toute convention de forfait en jours devait être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires, et que lorsque l’employeur ne respecte pas ces stipulations, le salarié peut prétendre au paiement d’heures supplémentaires dont le juge doit vérifier l’existence et le nombre (nombre de jours devant être compatible avec les dispositions sur les durées maximales de travail – Soc. 29 juin 2011, n° 09-71.107).

Par ce nouvel arrêt, la Cour reste dans la même ligne, sans ambigüité. En l’espèce, un salarié avait saisi le Conseil des prud’hommes à la suite son licenciement pour faute grave. Ce dernier sollicitait notamment que soit constatée la nullité de sa convention de forfait-jours. Cette demande se justifiait selon lui à deux titres : le défaut de la mention du nombre exact de jours travaillés et l’absence d’entretien annuel relativement à la charge de travail, à l’organisation du travail dans l’entreprise et à l’articulation entre la vie professionnelle et la vie personnelle conformément aux dispositions de l’article L. 3121-46 du code du travail.

Sur l’absence du nombre exact de jours travaillés, la cour d’appel de Versailles a débouté le salarié de sa demande au motif que « la fourchette de 215 à 218 jours de travail indiquée dans la lettre d’embauchage et sur les bulletins de salaire ne fait que traduire l’impossibilité de déterminer de façon intangible le nombre maximum de jours travaillés chaque année du fait des variables liées au calendrier ; que cette marge d’incertitude infime et commune à tous les forfaits annuels ne remet pas en cause leur validité ». La Cour de cassation n’a naturellement pas retenu cette souplesse accordée à l’employeur par la cour d’appel et, au visa de l’article L. 3121-45 du code du travail, cassé en ces termes lapidaires : « une convention de forfait en jours doit fixer le nombre de jours travaillés ». Sur cet aspect contractuel comme sur d’autres, il appartient aux parties de préciser la nature de leurs obligations et donc de fixer précisément le nombre de jours compris dans la convention individuelle.

Sur le défaut d’organisation d’entretien annuel, les juges du fond ont condamné l’employeur au paiement d’une indemnité pour exécution déloyale de la convention de forfait en jours. En tout état de cause, en n’organisant pas cet entretien annuel, lequel relève manifestement des garanties apportées par le législateur en matière de santé et de repos, l’employeur s’expose à ce que la convention de forfait soit privée d’effet.

Cette décision est limpide quant à certaines des précautions à prendre par l’employeur pour se préserver de déconvenues prud’homales potentielles : ne pas manquer de préciser le nombre de jours travaillés dans la convention de forfait et ne pas oublier d’organiser au moins annuellement un entretien avec le salarié concerné sur les conditions d’exécution de son travail.

Trop de virtuel et c’est la porte

Droit Social

L’utilisation d’internet sous toutes ses formes et variantes est à même de fournir au praticien de droit du travail une jurisprudence abondante, et ce pour encore un moment.

Ainsi, récemment, la Cour de cassation a tranché l’épineuse question du sort d’un salarié qui « inondait ses collègues de vidéos humoristiques » (si j’osais j’écrirais : « LOL »). Sans trop de surprises, il s’est avéré que ce dernier, selon la Cour, par ce comportement, commettait une faute (Cass. soc. 18 décembre 2013 n° 12-17.832 (n° 2163 F-D), Sté REM c/ B).

La Cour de cassation a donc considéré que le fait pour un salarié de se connecter de manière répétée à Internet sur son temps de travail et d’envoyer par courriel à ses collègues des centaines de vidéos à caractère sexuel, humoristique, politique ou sportif constitue une faute.

En l’espèce, le facétieux travailleur a été licencié après qu’un de ses collègues ait fini par se plaindre d’être dérangé dans son travail par ses envois répétés de vidéos par courriel (on eût pu rétorquer qu’il n’était pas obligé de les ouvrir, mais ce point ne semble pas avoir été évoqué). A la suite de cette réclamation inhabituelle, l’employeur a mené une enquête et constaté que l’intéressé, pendant son temps de travail, s’était connecté à de nombreuses reprises à Internet et y avait téléchargé des vidéos à caractère sexuel, humoristique, politique et sportif. Il avait ensuite transféré ces vidéos à certains de ces collègues par message électronique. Un huissier de justice mandaté par l’employeur avait tout de même constaté l’envoi de pas moins de 178 courriels de ce type ( !).

Face à cette débauche virtuelle, l’employeur a licencié l’impétrant pour faute grave.

La Cour d’appel saisie du litige a pourtant jugé le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, l’employeur ne démontrant pas que les agissements du salarié aient été de nature à porter atteinte à l’image de la société ou à porter préjudice à son fonctionnement, ni que le temps passé par le salarié à l’envoi de ces messages ait été à l’origine d’une négligence dans les tâches qui lui incombaient (de manière curieuse, la Cour ne semble pas s’être intéressée aux conséquences du comportement du salarié sur le travail de ses collègues, sachant que la procédure avait été justement mise en branle à la suite d’une réclamation de l’un d’entre eux).

La Cour de cassation a censuré cette analyse et considéré que le licenciement avait été correctement motivé par l’employeur, qui reprochait au salarié un manquement aux dispositions du règlement intérieur de l’entreprise et à ses obligations contractuelles, l’intéressé étant censé consacrer son temps de travail à l’accomplissement de ses tâches et missions (de là à dire que c’est l’évidence même…). La Cour de cassation en a donc conclu que le salarié avait commis une faute, sans préciser son degré de gravité, renvoyant pour ce faire à une autre cour d’appel le soin de qualifier ces manquements : faute grave ou cause réelle et sérieuse de licenciement.

La Cour de cassation semble maintenant systématiquement considérer qu’un salarié qui néglige son travail pour se connecter à Internet de manière extraprofessionnelle manque à ses obligations et encourt un licenciement (Cass. soc. 18 mars 2009 n° 07-44.247 : NB-I-73280). Ainsi, l’abus est caractérisé et justifie un licenciement pour faute grave lorsque le salarié consacre l’essentiel de ses heures de travail à naviguer sur des sites dépourvus de tout lien avec son activité professionnelle : jugé à propos d’un salarié qui s’était connecté plus de 10 000 fois en un mois à des sites de voyage, de prêt-à-porter, de comparaison de prix et de réseaux sociaux (Cass. soc. 26 février 2013 n° 11-27.372 : NB-I-73290).

Cette jurisprudence n’est pas sans également évoquer l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Pau afférent à l’utilisation de Facebook sur le lieu de travail (CA Pau 13 juin 2013 n° 11/02759, ch. soc., Sté BPS Pays Basque c/ C).

Ladite Cour d’appel avait ici jugé qu’un salarié qui se connecte quotidiennement à des réseaux sociaux et à sa messagerie personnelle pendant les heures de travail commet une faute justifiant son licenciement.

Ces consultations s’étant faites au détriment de son travail, l’employeur a donc prononcé un licenciement pour faute grave. La cour d’appel a admis la validité du licenciement, mais a toutefois considéré que les manquements du salarié n’étaient pas suffisamment graves pour justifier la rupture immédiate du contrat de travail, requalifiant le licenciement en cause réelle et sérieuse.

De telles sanctions sont devenues d’autant plus faciles à prononcer qu’il est relativement aisé de contrôler l’activité du salarié. En effet, dans la mesure où elles sont présumées avoir un caractère professionnel, les connexions internet établies par le salarié durant son temps de travail au moyen de son ordinateur professionnel peuvent être librement contrôlées par l’employeur (Cass. soc. 9 juillet 2008 n° 06-45.800 ; Cass. soc. 9 février 2010 n° 08-45.253: RJS 5/10 n° 399 : N-VIII-7440 s.). Un salarié ne peut donc pas contester devant le juge prud’homal la légitimité d’un tel contrôle au motif qu’il y a été procédé hors de sa présence.

Mais il arrive qu’il conteste être l’auteur des connexions internet litigieuses, et c’est ce qui s’était produit en l’espèce, du moins pour les connexions de l’intéressé à des réseaux sociaux et à sa messagerie personnelle Hotmail. Non sans un certain aplomb, le salarié faisait ici valoir que les ordinateurs de l’entreprise étant accessibles à l’ensemble du personnel, et les codes d’accès connus de tous, il n’était pas possible de lui imputer lesdites connexions.

Certes, l’employeur doit sécuriser l’accès aux ordinateurs professionnels des salariés. Il commet même un manquement à la loi « informatique et libertés » en permettant un tel accès au moyen de mots de passe faciles à deviner et pas assez souvent renouvelés (Délibération Cnil 2013-139 du 30-5-2013). Et il risque également dans ce cas d’avoir plus de mal à imputer des connexions internet abusives à un salarié en particulier. L’argument soulevé en l’espèce par le salarié n’était donc pas incohérent. Mais la Cour d’appel a estimé qu’il n’y avait aucun doute sur ce dernier point : les connexions, sur le compte Facebook et la messagerie personnelle du salarié, exigeaient des mots de passe qu’il pouvait seul utiliser, de sorte qu’il ne pouvait nier en être l’auteur.

Notre salarié précédemment évoqué, amateurs de vidéos « comiques » et soucieux de les partager, ne semble quant à lui pas avoir fait valoir un tel argument, ne niant donc pas être à l’origine de ce flots de vidéos téléchargées.

De l’affichage du religieux sur le lieu de travail épisode 2

Droit Social

Comme le disait joliment le Professeur Jean-Emmanuel Ray lors d’un congrès, « la jurisprudence progresse à coups d’arrêts », force est de constater que l’actualité récente se fait le juste écho d’un tel propos.

Dans un arrêt de la Cour de cassation du 19 mars dernier (Cass. Soc. 19 mars 2013 n° 11-28.845), il était affirmé que les principes de laïcité et de neutralité ne pouvaient pas être invoqués pour restreindre la liberté de religion des salariés employés dans une entreprise n’assurant pas la gestion d’un service public (arrêt déjà évoqué sur ces lignes, que vous pouvez maintenant retrouver en ligne à cette adresse : http://bourdonavocats.fr/blog/bourdonnement.asp?id=1).

Le sujet semblait ainsi clos ou presque, et l’on attendait pas forcément autre chose qu’un acquiescement à l’édiction de ce principe par la Cour d’appel de renvoi. Il n’en fut rien, cette dernière relançant ainsi le débat par sa décision : une personne morale de droit privé, qui assure une mission d’intérêt général peut, dans certaines circonstances, constituer une entreprise de conviction au sens de la jurisprudence de la Cour Européenne des droits de l’homme et se doter de statuts et d’un règlement intérieur prévoyant une obligation de neutralité du personnel justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché (Cour d’appel de Paris, 27 novembre 2013, n° 13/02981).

En l’espèce et pour mémoire, la question de cette restriction à la liberté religieuse par une obligation de neutralité était posée s’agissant d’une crèche associative (Baby-Loup) se revendiquant comme « laïque ».

Ce nouveau rebondissement obligera vraisemblablement cette fois l’Assemblée plénière à se positionner sur le fond : est-ce qu’une entreprise « laïque » peut-être considérée comme une « entreprise de conviction » justifiant à son égard l’applicabilité de règles et restrictions relevant en principe du secteur public ? Dans ce cadre, quel rôle le règlement intérieur de l’entreprise doit-il jouer dans l’encadrement et la restriction des libertés individuelles dans l’entreprise ?

La cour d’appel revient en effet fortement sur la notion d’entreprise « de conviction » comme pouvant justifier une obligation de neutralité imposée aux salariés. Par ailleurs, la Cour d’appel persiste à rappeler que Baby-Loup, crèche associative privée, a des missions d’intérêt général « fréquemment assurées par des services publics et d’être en l’occurrence financée […] par des subventions de l’État ».

La Cour suit ici une logique difficilement contestable : les crèches sont souvent assumées par l’État comme relevant d’une mission de service public, et on ne peut reprocher à des parents, faute de places en crèche publique (phénomène fréquent…), de vouloir une prise en charge similaire pour leur enfant dans le cadre d’une crèche privée, notamment concernant l’obligation de neutralité du personnel éducatif. Ainsi, la crèche privée qui répondrait à cette attente de neutralité, qui en ferait la promotion et l’inscrirait dans ses statuts, devrait alors pouvoir être considérée comme une « entreprise de tendance laïque ».

La reconnaissance juridique d’une entreprise définie ainsi serait lourde de conséquences puisqu’elle permettrait à l’employeur d’apporter des restrictions « aux droits et libertés des salariés au nom des valeurs défendues » par l’entreprise.

Dans son arrêt du 27 novembre dernier, la Cour d’appel de Paris fait référence à la notion d’entreprise de conviction « au sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ». Ladite jurisprudence reconnaît effectivement la possibilité à l’employeur d’imposer des obligations de loyauté spécifique au regard de son éthique, mais elle s’attache évidemment à contrôler rigoureusement la proportionnalité des atteintes aux libertés individuelles et surtout à examiner ce qui justifie de telles atteintes aux libertés.

Ce contrôle pourrait donc être fait sur les motivations de l’employeur lors du licenciement, au regard des motifs de la lettre de licenciement qui, comme le veut le principe, « fixe les termes du litige ». Mais, cet arrêt montre aussi toute l’importance qu’il faut attacher au règlement intérieur et à ses dispositions.

La question qui se pose donc toujours est donc de savoir si dans une crèche privée, il est justifié et proportionné de restreindre les manifestations d’appartenance religieuse et d’exiger ainsi une stricte neutralité de la part de l’ensemble du personnel.

Pour qu’une telle interdiction puisse être admissible au regard du droit européen, encore faut-il que le règlement intérieur édictant cette interdiction soit d’une précision sans faille et explicite les raisons qui ont conduit à cette restriction des libertés du salarié. Or, ce n’était pas le cas dans l’affaire Baby-Loup, le règlement intérieur de la crèche, comme l’a relevé l’arrêt de cassation du 19 mars 2013, instaurant « une restriction générale et imprécise, [qui] ne [répond] pas aux exigences de l’article L. 1321-3 du code du travail ».

L’Assemblée plénière devra donc finalement trancher et décider s’il est possible pour une entreprise de se voir reconnaître le statut d’entreprise de tendance « laïque » justifiant la mise en place d’interdits jusque là uniquement envisageables au sein de structures assurant la gestion d’un service public, mais également quel y sera le rôle particulier du règlement intérieur dans la restriction des libertés individuelles…

Ce matin même sur France Inter, le défenseur des Droits, Dominique Baudis, à propos de la laïcité , évoquait le fait que ce dont le citoyen avait aujourd’hui surtout besoin, ce n’était pas de plus de législation, mais de plus de clarté. On ne saurait mieux dire….

Boire ou travailler

Droit Social

Bientôt les fêtes de fin d’année, le moment est donc idéal pour rappeler les règles de base fixées par le Code du travail et la jurisprudence quant à la consommation de produits dit « festifs » sur le lieu de travail.

Tout d’abord, un principe essentiel doit être rappelé : de l’eau potable et fraîche doit être mise à la disposition des salariés. Ce n’est certes pas très festif, mais c’est la loi.

Une boisson non alcoolisée doit également être distribuée gratuitement dans le cas où les salariés sont soumis à des conditions de travail les amenant à se désaltérer fréquemment (la liste des postes concernés par cette mesure est établie par l’employeur, après avis du médecin du travail et du CHSCT ou, à défaut, des DP).

Par ailleurs, les conventions ou accords collectifs de travail, ou les contrats de travail, ne peuvent prévoir l’attribution de boissons alcoolisées au titre d’avantages en nature, sauf s’il s’agit de boissons servies à l’occasion de repas constituant déjà un tel avantage (C. trav. art. R 3231-16).

A la question du contrôle du salarié, la jurisprudence a apporté les réponses suivantes : la soumission à l’éthylotest du salarié par l’employeur se justifie si les modalités de ce contrôle en permettent la contestation et si, en raison de ses fonctions, l’état d’ébriété du salarié est de nature à exposer les personnes ou les biens à un danger (Cass. soc. 22-5-2002 n° 99-45.878 : RJS 11/02 n° 1233 ; 24-2-2004 n° 01-47.000 : RJS 5/04 n° 535).

Ainsi, pas plus que sur l’autoroute, l’employeur ne doit laisser entrer ou séjourner dans l’établissement des personnes en état d’ivresse.

Une fois posé ce principe, on note toutefois que le vin, la bière, le cidre et le poiré sont autorisés sur le lieu de travail, boissons qui sont pourtant à même de permettre à tout un chacun de se trouver justement en « état d’ivresse ».

L’introduction de certaines boissons alcoolisées dans l’entreprise est donc possible, le règlement intérieur pouvant toutefois en limiter la consommation, mais seulement si des impératifs de sécurité le justifient. Il ne peut ainsi, exceptionnellement, prévoir une interdiction générale que si elle est fondée par l’existence d’une situation particulière de danger ou de risque (CE 12-11-2012 n° 349365 : RJS 2/13 n° 118 – j’imagine que l’on pense plus ici aux centrales nucléaires qu’aux employés de bureau).

Il existe donc dans le droit positif une relative tolérance, que l’on pourrait presque qualifier de bienveillance, vis-à-vis des boissons alcoolisées (la culture locale y étant sans doute pour beaucoup, et je n’ai pas parlé de lobbying), en revanche, force est de constater que la règle est beaucoup moins souple s’agissant des stupéfiants.

Ainsi, dans un arrêt récent, la Cour d’appel d’Aix en Provence (qui n’est toutefois quand même pas la Cour de cassation) a considéré que le fait de consommer des substances stupéfiantes sur le lieu de travail, en violation du règlement intérieur de l’entreprise et des dispositions du Code pénal, est d’une gravité telle qu’il justifie un licenciement immédiat (CA Aix-en-Provence 10 mai 2013 n° 11/16117, 9e ch. c., Sté Optical center c/ C.).

En l’espèce, un salarié s’était absenté de la boutique dans laquelle il travaillait et s’était isolé dans l’atelier adjacent pour fumer du cannabis. Alerté par l’odeur, qui éveillait au surplus la curiosité des clients, un de ses collègues le surprend et témoigne des faits auprès de son employeur. Le salarié fumeur, mis à pied à titre conservatoire puis licencié pour faute grave, a contesté la légitimité de ce licenciement (si j’ose dire, il ne manque pas d’air).

La question qui était posée ici ne concernait pas la matérialité des faits (le salarié ne contestait pas avoir fumé du cannabis), mais leur qualification : quel était le degré de gravité de la faute commise ?

Les juges commencent par rappeler l’évidence : le fait de consommer des stupéfiants constitue une infraction au Code pénal. Il est donc pour le moins cohérent de la part d’un employeur que de ne pas tolérer au sein de l’entreprise qu’un salarié adopte un comportement pénalement répréhensible.

Au surplus, en l’espèce, l’employeur pouvait se prévaloir des dispositions du règlement intérieur de son entreprise, qui à la fois prohibait l’introduction de stupéfiants dans l’enceinte de l’entreprise mais également interdisait de fumer dans les locaux.

En violant ces interdictions légitimes et proportionnées, le salarié avait objectivement commis une faute grave justifiant son licenciement immédiat. C’est en tout ce qu’a décidé la cour d’appel d’Aix-en-Provence, rejoignant ainsi à la position de la Cour de cassation (Cass. soc.1er juillet 2008 n° 07-40.053).

Cette possible immixtion de l’employeur dans les comportements à risque de ses employés connaît une limite. Si les juges admettent la légitimité d’un licenciement disciplinaire prononcé à l’encontre d’un salarié qui consomme de la drogue pendant le temps et au lieu du travail, il n’en va pas de même lorsque les faits relèvent de la vie privée du salarié. Ainsi, un salarié qui fume du cannabis en dehors du temps et du lieu de travail ne manque pas aux obligations découlant de son contrat de travail, et ne peut pas être licencié pour cela (CA Paris 11 septembre 2012 n° 10/09919).

Joies du droit et de son étude, je ne saurais toutefois clôturer cette note sans faire état d’une exception à ce dernier principe : même si la drogue est consommée dans le cadre de la vie privée, le salarié commet une faute s’il travaille ensuite sous l’influence de produits stupéfiants et met ainsi sa sécurité ou celle de tiers en danger (Cass. soc. 27 mars 2012 n° 10-19.915).

De la valeur de l’e-mail comme mode de preuve

Droit Social

On l’ignore peut-être, mais nombreuses sont maintenant les juridictions à solliciter des avocats qu’ils allègent leurs dossiers, à commencer par les chambres sociales des cours d’appel. Las, pauvre de nous en robes noires devant faire face à cette exigence quand, de l’autre côté le moindre licenciement pour insuffisance professionnelle contesté judiciairement voit la production nécessaire de dizaines d’e-mails échangés entre les parties au cours des années précédant la rupture.

Autrefois, l’on justifiait une rupture par quelques avertissements écrits, des réclamations écrites de clients, des attestations de salariés, tout le reste du litige s’étant souvent noué par de plus ou moins vigoureux échanges oraux, qui comme toute parole, se sont enfuis sans laisser de traces.

Le développement des NTIC à l’origine de nombreux bouleversements dans le monde du travail a donc également généré une impressionnante quantité de papier à produire devant les juridictions prud’homales afin de justifier l’une ou l’autre des positions défendues. Déjà d’une lecture souvent inconfortable, voilà que ces missives électroniques viennent grossir nos dossiers de plaidoirie, au risque de fâcher le magistrat. Mais là n’est toutefois pas l’essentiel, il est nécessaire de s’interroger sur la valeur de ces écrits et d’autant plus devant une juridiction où l’on pratique « l’oralité de la procédure », principe qui, à tort ou à raison, laisse souvent à croire à une grande souplesse dans l’appréciation de la validité des pièces versées par les parties.

L’occasion de revenir sur ces questions nous a récemment été donnée par la Cour
de cassation (Soc. 25 sept. 2013, F-P+B, n° 11-25.884). Tout d’abord, il convient
de rappeler que le développement accéléré des nouvelles technologies de l’information
et de la communication (NTIC) avait nécessité de légiférer sur ce sujet, s’agissant notamment de la délicate question du mode de preuve (quoi de plus facile en effet
à modifier qu’un e-mail ?). Les articles 287, 1316-1 et 1316-4 du Code de procédure civile ont ainsi été adaptés par la loi n° 2000-230 du 13 mars 2000.

Le courrier électronique doit remplir certaines conditions pour être recevable comme mode de preuve dans le cadre d’un procès. L’on doit pouvoir « identifier la personne
dont il émane » et il doit être « établi et conservé dans des conditions de nature
à en garantir l’intégrité ». La signature électronique doit, quant à elle, relever d’un « procédé fiable d’identification garantissant son lien avec l’acte auquel elle s’attache.
La fiabilité de ce procédé est présumée, jusqu’à preuve contraire ». Dans l’espèce dont
il est ici question, une salariée avait contesté son licenciement pour faute grave motivé, selon la lettre de licenciement, parce qu’elle ne serait pas revenue travailler dans l’entreprise à la suite d’un arrêt de travail. Pour justifier ladite absence, elle avait produit devant la juridiction prud’homale un courrier électronique émanant de son employeur dans lequel ce dernier lui interdisait de revenir travailler (ce qui équivalait
à un licenciement oral, ce dernier étant d’ailleurs admis, bien qu’interdisant évidemment à l’employeur de le justifier a posteriori, faute de lettre de rupture motivée).

Les juges de première instance avaient débouté la salariée de sa demande, mais
la cour d’appel de Bordeaux, dans un arrêt du 1er septembre 2011, a considéré
le licenciement sans cause réelle et sérieuse au motif que l’employeur ne « rapportait
pas la preuve que l’adresse de l’expéditeur mentionnée sur le courriel soit erronée ou
que la boîte d’expédition de la messagerie de l’entreprise ait été détournée » et qu’en
tout état de cause, un tel détournement ne saurait être imputé à la demanderesse. L’employeur s’est ensuite pourvu en cassation et a contesté la recevabilité de cette preuve au moyen que ce courrier (ou plutôt ce « courriel »), dont il niait être l’auteur
(ce qui n’est pas anodin en l’espèce), ne satisfaisait pas aux conditions de validité
des courriers et signatures électroniques telles que prévues par les articles 287 du
Code de procédure civile et les articles 1316-1 et1316-4 du Code civil.

Pour trancher le litige, la Cour suprême n’avait donc d’autre choix que de se prononcer sur les conditions de validité du courrier électronique utilisé comme moyen de défense. Par son arrêt du 2 octobre 2013, la Cour de cassation a considéré que les articles précités n’étaient tout simplement pas applicables car le « courrier électronique a été produit pour faire la preuve d’un fait, dont l’existence peut être établie par tous moyens
de preuve ». En d’autres termes, la preuve de l’existence d’un fait, en l’espèce un licenciement verbal, pouvant être établie par tous moyens, y compris par courrier électronique, il n’est pas nécessaire de vérifier si les conditions de validité de la signature électronique sont satisfaites. Il s’agit là en fait du rappel d’un principe de droit commun, et la Cour, à l’instar des autres juridictions concernées, confirme la validité
et la recevabilité de données résultant de l’utilisation des NTIC. Le juge a ainsi pu valider la production de SMS (Soc. 23 mai 2007, n° 06-43.209), de messages téléphoniques vocaux (Soc. 6 févr. 2013, n° 11-23.738) et même de conversations sur Facebook (Bordeaux, ch. soc., sect. B, 12 janv. 2012).

En définitive, il est laissé aux juges du fond (pour peu qu’ils lisent les pièces…)
la possibilité d’apprécier souverainement si les éléments de preuve rapportés par le salarié suffisent à emporter leur conviction, peu importe leur forme. En l’espèce, la cour d’appel de Bordeaux avait estimé « que la version de la salariée selon laquelle l’employeur lui a refusé l’accès aux locaux de l’entreprise à compter du 6 août est fondée et que, dès lors, le contrat de travail a été rompu à cette date sans motifs valables, la procédure de licenciement engagée postérieurement étant, de ce fait, privée de cause réelle
et sérieuse ». La cour d’appel, confirmée en l’espèce par la Cour de cassation, a donc
fait une simple application de la jurisprudence relative à l’absence de cause réelle
et sérieuse d’un licenciement verbal (Soc. 23 juin 1998, RJS 1998. 621, n° 971 ;
9 févr. 1999, RJS 1999. 302, n° 489 ; 11 janvier 2011, n° 09-67.676).

Quel sort faire aux contraventions du salarié

Droit Social

La logique comme la bienséance pourraient laisser à penser qu’un salarié à qui l’on confie un véhicule de fonction, ou pour l’exercice de ses fonctions, soit seul responsable des contraventions que cette conduite pourrait générer. Pourtant, les joies du droit du travail, cela n’est pas aussi simple.

En effet, même s’il semble indiscutable à l’employeur que le salarié soit responsable de la contravention routière reçue par l’entreprise, il n’en demeure pas moins qu’il ne saurait se faire justice lui-même face à un salarié récalcitrant dans le fait d’assumer ses errements automobiles. Ainsi, la retenue sur salaire pour le remboursement des contraventions afférentes à un véhicule professionnel mis au service du salarié est illégale, y compris et même lorsqu’elle est prévue par le contrat de travail (Cass. soc. 11-1-2006 n° 03-43.587 RJS 3/06 n° 347). L’employeur doit, pour récupérer le montant des amendes auprès du salarié, engager une action devant le juge.

Dans un arrêt récent (17 avril 2013, n° 11-27.550), la Cour de Cassation a confirmé que l’employeur ne peut pas non plus espérer obtenir devant le juge prud’homal une condamnation du salarié à lui rembourser le montant de ses amendes. Dans cette affaire, contrairement au cas exposé ci-dessus, l’employeur n’avait pas opéré de lui-même une compensation entre le montant des contraventions et le salaire de l’intéressé, il avait simplement présenté au juge prud’homal, dans le cadre du litige né de la contestation par le salarié de la légitimité de son licenciement, une demande reconventionnelle tendant au remboursement par ce dernier du montant de plusieurs contraventions pour stationnement irrégulier et excès de vitesse.

La Cour de cassation rejette néanmoins son pourvoi en rappelant que, conformément à une jurisprudence constante, un salarié n’engage sa responsabilité civile envers son employeur que s’il a commis une faute lourde, ce dont l’employeur ne se prévalait pas en l’espèce. Or, sauf cas particulier, l’intention de nuire du salarié caractéristique de la faute lourde paraît devoir être écartée dans une telle hypothèse, même si, qui sait, l’on pourrait imaginer un salarié accumulant les contraventions dans le seul but de nuire à son employeur…

Cela étant, le paiement par l’employeur des amendes pour les infractions routières commises par le salarié dans l’exercice de ses fonctions avec un véhicule appartenant à l’entreprise n’est pas une fatalité.

En effet, le Code de la route désigne certes le titulaire du certificat d’immatriculation d’un véhicule ou le représentant de la personne morale lorsque ce certificat est établi au nom de celle-ci, comme pécuniairement responsables des amendes encourues au titre de certaines infractions (excès de vitesse, non-respect des règles de stationnement ou des distances de sécurité…). Mais, il permet à l’employeur de s’affranchir de cette responsabilité pécuniaire en établissant n’être pas l’auteur véritable de l’infraction (C. route art. L 121-2 et L 121-3).

A réception de l’avis d’amende, l’employeur peut donc, s’il le souhaite, former une requête en exonération de paiement dans laquelle il doit préciser l’identité, l’adresse et la référence du permis de la personne présumée conduire le véhicule lors de la constatation de la contravention (CPP art. 529-10). Le salarié auteur de l’infraction devra alors s’acquitter de l’amende. Il se verra aussi retirer sur son permis les points correspondants à cette infraction.

Le salarié ayant été le cas échéant désigné par l’employeur comme étant l’auteur d’une infraction au Code de la route peut évidemment lui-même soulever une contestation. Si à la suite de cette dernière, l’identification du véritable auteur s’avère impossible, le paiement de l’amende incombera alors nécessairement à l’employeur, en tant que titulaire du certificat d’immatriculation du véhicule ou en tant que représentant légal de l’entreprise titulaire dudit certificat.

Voilà une configuration où l’on ne peut donc qu’espérer que les parties en cause soient dans les meilleurs dispositions possibles si l’on souhaite s’épargner des procédures éventuellement longues et peu palpitantes.