Le discriminé imaginaire

Droit Social

Avant d’évoquer cette affaire peu commune tranchée par la Cour d’appel de Lyon au mois de juillet dernier, rappelons les grands principes qui gouvernent l’embauche, s’agissant de la lutte contre toute discrimination dans ce cadre.

En application des articles L 1132-1 à L 1132-3-3 du code du travail, cela semble évident, mais aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement pour les motifs suivants : origine, sexe, mœurs, orientation sexuelle, identité de genre, âge, situation de famille, grossesse, caractéristiques génétiques, particulière vulnérabilité résultant de la situation économique de l’intéressé, appartenance ou non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, opinions politiques, activités syndicales ou mutualistes, convictions religieuses, apparence physique, nom de famille, lieu de résidence, domiciliation bancaire, état de santé, perte d’autonomie, handicap, capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français.

Prenant quelque peu au pied de la lettre ces essentielles dispositions légales, un candidat – mâle, le détail a son importance – adresse à un potentiel employeur la lettre suivante (qu’on est droit de qualifier d’écrite sous substances) :

« Je vous adresse ma candidature pour occuper des postes de secrétaire juridique, assistant juridique […] ; ces fonctions étant principalement exercées par des femmes, je suis amené à vous prévenir qu’au cas où, malgré mes sérieuses compétences et expériences professionnelles et extra professionnelles, je ne serais pas recruté dans les trois mois qui suivent, j’engagerai un détective afin qu’il mène une enquête au sein de votre agence […] ; alors, je pourrai déterminer l’existence d’une discrimination à l’embauche en raison de mon sexe, ou de mes opinions politiques profondes résultant de mes nombreuses dizaines de procédures prud’homales […] »

Marquons ici une petite pause, et notons cette tournure aussi curieuse qu’un peu inquiétante, cet homme parle de « nombreuses dizaines ». S’agissant de procès intenté à des employeurs, il n’est pas certain que cet argument soit porteur dans le cadre d’une recherche d’emploi.

Mais poursuivons, car même s’il s’agit de menaces, c’est amusant : « si l’envie vous prenait de consulter vos fichiers informatique ou non automatisés pour savoir si des données à caractère personnel me concernant et compromettantes y figuraient, je vous poursuivrais en application de loi du 6 janvier 1978 […] ; je vous invite donc vivement à bien étudier ma candidature avant de l’écarter le cas échéant, après examen approfondi de mon curriculum vitae ».

Etonnamment n’est-ce pas, sa candidature n’a pas été retenue et prenant ses propres mots au pied de la lettre, le candidat déçu a saisi la juridiction prud’homale pour solliciter des dommages et intérêts pour discrimination à l’embauche.

Il a – et c’est rassurant – été débouté de sa demande par la Cour d’appel.

En effet, ce candidat « malheureux » n’avait apporté aux débats aucun élément laissant supposer que d’autres personnes de sexe féminin, ou ayant d’autres opinions politiques que les siennes (opinions qu’on ne connaît d’ailleurs pas, puisqu’il reste très évasif sur ce point), auraient présenté, en même temps que lui, leur candidature aux postes décrits dans sa lettre et auraient été embauchées par la société.

Deux autres arguments sont retenus par la Cour pour achever de l’envoyer paître : il n’établissait pas que les divers postes auxquels il demandait à être recruté étaient disponibles dans l’entreprise. En effet, ce délire paranoïaque ne faisait même pas suite à une annonce de recherche de candidats publiée par l’entreprise !

Last but not least, il lui a été refusé la possibilité d’invoquer le non-respect des dispositions de l’article 6 § 1 de la convention européenne des droits de l’Homme, au seul motif que la société lui a indiqué dans sa réponse qu’un contentieux les opposant était toujours en cours (et oui, il n’en était pas à son galop d’essai), puisque la procédure introduite par lui à l’encontre de son ancien employeur n’avait pas encore fait l’objet d’une décision de justice irrévocable.

Une fois n’est pas coutume, notons que cet agité du bocal a été condamné au paiement d’une amende civile en raison de son action en justice, qualifiée par la Cour de dilatoire et abusive. Non seulement il n’avait répondu à aucune offre d’emploi, mais encore les termes généraux et pour le moins menaçants dans lesquels il a exprimé sa candidature ne caractérisaient pas une véritable demande d’emploi, de sorte que l’action a été introduite par lui devant le conseil de prud’hommes de mauvaise foi, s’agissant d’invoquer une faute inexistante à l’encontre de l’entreprise (CA Lyon 17-7-2019 no 17/04383).

Sébastien Bourdon