Time flies

Droit Social

« On ne peut pas être et avoir été », dit un dicton populaire. « Pourquoi ? On peut très bien avoir été un imbécile et l'être encore » comme le rétorquait Pierre Dac.

Cette question du temps qui passe et de ses effets sur la personne du salarié (ou de l’employeur) se pose parfois en droit du travail.

Ainsi, la position de l’avocat d’employeur se révèle souvent assez délicate lorsqu’il s’agit de défendre judiciairement une mesure de licenciement motivée par des insuffisances professionnelles ou des manquements plus ou moins graves commis par un salarié à l’ancienneté antédiluvienne.

Alors que le désintérêt, la lassitude, la paresse, la perte de motivation sont des phénomènes que l’on rencontre tous les jours, ils paraissent parfois incongrus devant la juridiction prud’homale.

Ces phénomènes n’en demeurent pas moins réels et l’ancienneté importante d’un salarié ne saurait excuser ou minimiser des manquements récents et avérés. C’est ce qu’est venue rappeler la Cour de cassation le 13 janvier dernier (n° 14-18.145).

La jurisprudence s’était jusqu’alors illustrée par l’énonciation du principe selon lequel l’ancienneté d’un salarié peut être retenue comme circonstance atténuant la gravité de la faute commise (Cass. soc. 17-4-2013 n° 11-20.157 concernant la falsification de documents par un salarié comptant 20 ans d’ancienneté ; ou Cass. soc. 7-3-2006 n° 04-43.782 pour une absence injustifiée d’une semaine d’un salarié ayant vint-cinq ans de carrière).

Le tempérament à ce principe retenu récemment par la Cour de cassation repose sur la nature de la faute et des répercussions que celle-ci peut avoir sur l’entreprise et son activité.

L’espèce concernait un pilote de ligne (un métier où la rigueur ne doit pas attendre le nombre des années, ni diminuer avec celles-ci !!). Celui-ci avait justement commis cinq manquements graves d’ordre technique de nature à compromettre la sécurité des passagers, s’étant notamment trompé de piste de décollage au moment du départ (l’histoire ne dit pas s’il avait confondu avec une piste d’atterrissage).

Cette omission avait conduit le commandant de bord du vol retour à revenir à deux reprises à son point de départ pour finalement annuler le vol.

La cour d’appel, tenant expressément compte des onze années d’ancienneté du salarié, en ne contestant pas la matérialité des faits, avait néanmoins requalifié la faute grave en faute simple.

La Cour de cassation n’a quant à elle pas retenu cette excuse de l’ancienneté et a considéré que les faits rendaient impossible la poursuite du contrat de travail et constituaient bien une faute grave.

Il est, sur cette seule décision, difficile d’affirmer que nous sommes face à un retournement de jurisprudence, la nature du métier concerné et les risques encourus en cas de manquements n’étant ici pas mineurs. Toutefois, l’on peut se réjouir que ne soit pas, au moins ponctuellement, retenue comme excuse absolutoire la grande ancienneté d’un salarié.

La preuve prud’homale face aux notions de vol et de confidentialité

Droit Social

Dans le cadre du procès prud’homal, il appartient aux parties en présence d’apporter les éléments à même d’éclairer le juge et, si possible, de le convaincre du bien fondé de son propos.

S’agissant du salarié, le plus souvent demandeur à l’instance, la jurisprudence lui semblait dans ce cadre globalement favorable, s’agissant des moyens utilisés et admis pour se fournir des pièces. Au plan pénal, le fait pour le salarié de s’approprier ou de reproduire des documents ne constitue en effet pas un vol dès lors que ces derniers étaient nécessaires pour assurer sa défense (Cass. crim. 11-5-2004 n° 03-85.521 :  RJS 8-9/04 n° 887) dans le procès prud’homal l’opposant à son employeur (Cass. crim. 9-6-2009 n° 08-86.843 :  RJS 1/10 n° 9) ou qu’il entend engager peu après la rupture de son contrat (Cass. crim. 16-6-2011 n° 10-85.079 :  RJS 8-9/11 n° 658).

Plus précisément, le salarié qui, sans autorisation de l’employeur, s’approprie ou reproduit des documents de l’entreprise, ne commet pas de vol lorsqu’il en a eu connaissance à l’occasion de ses fonctions et que leur production est strictement nécessaire à l’exercice de sa défense dans le litige l’opposant à l’employeur (Cass. crim. 11 mai 2004 : RJS 8-9/04 n° 887, Bull. crim. n° 117), à condition toutefois qu’il s’agisse d’un litige prud’homal (Cass. crim. 9 juin 2009 : RJS 1/10 n° 9, Bull. crim. n° 119).

Jusqu’à présent, la position de la chambre criminelle de la Cour de cassation était en harmonie avec celle de la chambre sociale, cette dernière admettant que les pièces ainsi obtenues puissent être produites en justice (Cass. soc. 30 juin 2004 : RJS 10/04 n° 1009, Bull. civ. V n° 187).

Il semble toutefois que cette jurisprudence commune ne puisse plus aussi aisément être invoquée. En effet, dans un arrêt récent, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation a considéré que reposait sur une cause réelle et sérieuse le licenciement d’un salarié qui s’était emparé de bulletins de paie appartenant à l’entreprise et le concernant, mais dont il n’avait plus les originaux, pour en faire des copies destinées à être produites en justice (Cass. soc. 8-12-2015 no 14-17.759).

Un salarié avait en effet photocopié sans autorisation de son employeur plusieurs de ses bulletins de paie, dont il n’avait plus les originaux, afin de se constituer des preuves dans un litige en cours. Il conteste ensuite son licenciement, prononcé pour ce motif.

Les juges du fond, approuvés ensuite par la Cour de cassation, désapprouvent son comportement. Même si ces documents le concernaient, ou s’il avait égaré ceux dont il aurait du disposer, le salarié a, par son geste, porté atteinte au droit de propriété de l’entreprise (« du fait de cette atteinte au droit de propriété, son licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse »).

Les juges du fond avaient notamment mis en exergue que l’intéressé aurait pu les obtenir par des démarches amiables ou judiciaires. De ce fait, qu’importe les documents concernés, c’est la déloyauté du procédé utilisé par le salarié qui justifie la rupture du contrat de travail.

Cette décision, particulièrement sévère, surprend quand même quelque peu, et la lecture in extenso de l’arrêt ne permet d’en apprendre plus sur les faits de l’espèce, et notamment sur les évènements qui ont entouré cette photocopie litigieuse et qui pourraient peut-être amener à mieux comprendre la position extrêmement tranchée et peu orthodoxe des juges. Tout au plus peut-on en conclure que les salariés devront maintenant être un peu plus prudents quant aux méthodes employées pour se défendre, l’employeur pouvant les utiliser à leur détriment dans le cadre du litige prud’homal.

Toutefois et à l’inverse, l’employeur devra également se montrer prudent quant aux éléments qu’il entendra utiliser au soutien de son argumentation. En effet, semblant prendre le contrepied de la jurisprudence récente, la Cour de cassation a finalement décidé que les mails du salarié issus de sa messagerie personnelle sont un mode de preuve illicite et ce même si la consultation de ces derniers s’est faite sur son ordinateur de travail (Cass. soc. 26-1-2016 n° 14-15.360).

Pour mémoire, les e-mails échangés par un salarié à l’aide de l’outil informatique mis à sa disposition par l’employeur pour les besoins de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel. L’employeur peut donc librement les contrôler, dès lors qu’ils n’ont pas été expressément identifiés comme personnels, à moins que le règlement intérieur de l’entreprise n’en dispose autrement (Cass. soc. 26-6-2012 n° 11-15.310 : RJS 10/12 n° 761). En revanche, s’ils ont été identifiés comme tels, l’employeur ne peut les ouvrir qu’en présence de l’intéressé ou celui-ci dûment appelé à cette fin (Cass. soc. 15-12-2010 n° 08-42.486 : RJS 2/11 n° 92 ; Cass. soc. 16-5-2013 n° 12-11.866 : RJS 7/13 n° 503).

En réalité, cette jurisprudence, pour précise qu’elle soit, ne couvrait qu’imparfaitement la problématique des correspondances du salarié et plus particulièrement celles échangées par le biais de la messagerie professionnelle de l’entreprise (l’évolution même du travail et l’interpénétration des sphères privées et professionnelles ne pouvant qu’amener à l’utilisation personnelle d’outils destinés au travail).

Il convient de préciser que dans la décision dont il est ici question, le salarié, s’il utilisait son ordinateur professionnel, utilisait une messagerie strictement personnelle et n’avait pas enregistré sur le disque dur de l’ordinateur les correspondances dont l’employeur a tenté de se prévaloir ensuite.

Rappelons en effet que la jurisprudence de la Cour de cassation confère un caractère présumé professionnel aux fichiers informatiques enregistrés sur le disque dur d’un ordinateur de l’entreprise. La chambre sociale a ainsi jugé que les courriels intégrés dans le disque dur de l’ordinateur de travail d’un salarié, ne sont pas identifiés comme personnels du seul fait qu’ils émanent initialement de la messagerie électronique personnelle de l’intéressé, et peuvent donc être consultés librement par l’employeur (Cass. soc. 19-6-2013 nos 12-12.138 et 12-12.139 : RJS 10/13 n° 650).

C’est donc très logiquement que la Cour de cassation a précisé que des messages électroniques provenant de la messagerie personnelle du salarié, distincte de la messagerie professionnelle dont il dispose pour les besoins de son activité, devaient nécessairement être écartés des débats, leur production en justice portant atteinte au secret des correspondances. Une solution identique avait déjà été retenue par la chambre commerciale de la Cour de cassation (Cass. com. 16-4-2013 n° 12-15.657 : RJS 7/13 n° 538).

Seul reste donc admis un contrôle de sa messagerie professionnelle, dans les conditions précédemment rappelées.

Ne pas respecter cette interdiction, outre qu’elle rend irrecevable devant le juge les messages provenant de la messagerie personnelle du salarié, expose l’employeur à des poursuites pénales sur le fondement de l’article 226-15 du Code pénal réprimant le délit d’atteinte au secret des correspondances (actuellement passible d’un an d’emprisonnement et d’une amende pouvant aller jusqu’à 45 000 € pour les personnes physiques). Et l’employeur engager également sa responsabilité civile et être condamné à réparer le préjudice subi par le salarié.

Bref, un appel général à la prudence s’impose…

Loyauté, sécurité, impunité ?

Droit Social

Qui n’a pas bondi à la lecture de cet arrêt de Cassation du 4 juillet 2000 (ce n’est pas si vieux, c’est le 21ème siècle) au terme duquel la Cour avait considéré que l'employeur ne pouvait pas appliquer de sanction à un salarié trésorier de comité d'entreprise coupable de malversations financières au détriment de cette – noble - institution (Cass. soc. 4-7-2000 n° 97-44.846) ? Cette jurisprudence surprenait d’autant plus que le Conseil d'Etat a ensuite pour sa part admis la légitimité du licenciement disciplinaire (CE 17-10-2003 n° 247701).

Partant d’un principe de quasi impunité, la Cour de cassation considère que les faits commis par le représentant du personnel dans l’exercice de son mandat et non liés à l’exécution de son contrat ne sont pas fautifs. Le Conseil d’Etat a, quant à lui, longtemps admis que de tels faits pouvaient légitimer un licenciement disciplinaire, s’ils avaient des répercussions sur le fonctionnement de l’entreprise.

Problème, en 2005, le Conseil d’Etat a finalement semblé rejoindre la position de la Cour Suprême en distinguant les agissements rattachables à l’exécution du contrat de travail – susceptibles de justifier une sanction disciplinaire – et les comportements liés à l’exercice du mandat, non fautifs (CE 4-7-2005 n° 272193).

S’agissant par ailleurs des faits commis par le salarié dans le cadre de sa vie privée, le Conseil d’Etat et la Cour de cassation appliquent les mêmes principes (un fait commis par le salarié dans le cadre de sa vie privée ne peut justifier son licenciement pour faute, sauf s’il traduit un manquement à ses obligations contractuelles – CE 5-12-2011 n° 337359 : RJS 2/12 n° 170). Mais les faits commis dans l’exécution des fonctions représentatives donnaient jusqu’alors lieu à des interprétations différentes.

Dans deux arrêts du 27 mars 2015, le Conseil d’Etat est finalement venu éclaircir sa jurisprudence en se prononçant sur le licenciement de salariés protégés ayant commis une faute dans le cadre de leurs fonctions représentatives.

Dans la première espèce, un représentant syndical avait, au cours d’une suspension de séance du comité d’entreprise, asséné un violent coup de tête (geste souvent qualifié plus vulgairement de « coup de boule », et pas forcément recommandée dans le cadre des réunions d’IRP) à l’un de ses collègues, lui causant une fracture du visage. Dans la seconde, le salarié, titulaire de plusieurs mandats, avait exercé une activité pour le compte d’une société concurrente pendant ses heures de délégation.

Dans les deux cas, l’employeur avait mis en œuvre une procédure de licenciement pour faute, sur autorisation administrative. Les salariés, s’appuyant sur la jurisprudence précitée, avaient saisi le juge administratif d’un recours, en faisant valoir que les faits qui leur étaient reprochés n’étaient pas liés à leur travail et ne pouvaient donc pas justifier un licenciement disciplinaire.

S’agissant de faits commis par le salarié protégé dans le cadre de sa vie privée, le Conseil d’Etat s’est déjà prononcé sur la qualification de tels agissements : de tels faits, commis en dehors de l’exécution du contrat de travail, ne peuvent pas motiver un licenciement pour faute (par exemple, à propos d’un retrait de permis de conduire : CE 15-12-2010 n° 316856).

Mais il a posé une exception à ce principe : l’employeur retrouve son pouvoir de sanction si les faits commis par l’intéressé traduisent une méconnaissance des obligations découlant du contrat de travail.

Dans les deux arrêts du 27 mars 2015 dont il est ici question, le juge administratif transpose ce principe à des faits commis par les salariés protégés dans le cadre de leurs fonctions représentatives.

En commettant un acte de violence (le « coup de boule » donc), le premier salarié avait ainsi indéniablement manqué à son obligation de ne pas porter atteinte à la sécurité d’autres membres du personnel (on ne saurait mieux dire !).

Quant au second salarié, en utilisant ses heures de délégation pour travailler chez un concurrent, il avait manqué à son obligation de loyauté envers l’employeur (là encore, on a l’impression de prêcher l’évidence). Ce dernier pouvait donc légitiment faire usage de son pouvoir disciplinaire.

Les deux arrêts du 27 mars 2015 clarifient donc la position du Conseil d’Etat. Si les faits commis ne caractérisent pas un manquement aux obligations découlant du contrat de travail, ils ne peuvent pas être sanctionnés, mais s’ils causent un trouble objectif au bon fonctionnement de l’entreprise, ils peuvent justifier un licenciement fondé, non pas sur ces faits, mais sur le trouble qui en résulte.

On se sent tout de même en droit de dire que les subtilités en la matière ne sont pas minimes.

Chose promise, chose due

Droit Social

Il est assez fréquent, et pas seulement chez les commerciaux, que l’employeur s’engage, le plus souvent à l’embauche, à fixer des objectifs personnels à un salarié, ces derniers, une fois atteints étant rémunérés en conséquence, selon des calculs plus ou moins subtils et compliqués.

L’évidence de l’intérêt réciproque des parties dans un tel schéma est criante, il n’y a donc en principe pas de raison de se priver.

Il convient toutefois de prendre garde à ne pas s’engager à la légère, la Cour de cassation l’ayant ainsi récemment rappelé.

En effet, par un arrêt du 19 novembre 2014 (Cass. soc. 19-11-2014 n° 13-22.686 n° 2062 F-D ), Sté Eni Gas et Power France c/ F.), la Cour de cassation a considéré que l’inexécution par l’employeur de son obligation de fixer en accord avec le salarié les objectifs dont dépend la part variable de la rémunération peut constituer un manquement empêchant la poursuite du contrat de travail, justifiant sa résiliation aux torts de l’employeur.

Cet arrêt vient compléter le corpus prétorien déjà conséquent afférent à ce qui justifie ou pas la résiliation judiciaire (ou la prise d’acte de la rupture) aux torts et griefs de l’employeur.

En l’espèce, un employeur s’était expressément engagé, dans le contrat de travail, à mener chaque année des négociations avec son salarié en vue de fixer d’un commun accord les objectifs dont dépendrait la partie variable de sa rémunération.

Le fait d’avoir failli à cet engagement contractuel rend tout d’abord l’employeur débiteur de cette partie variable pour les années où il n’établit pas avoir satisfait à cette obligation. En l’absence d’accord sur le montant, il appartient au juge saisi de le fixer.

Ensuite, comme le précise la Cour, l’inexécution par l’employeur de son obligation de fixer d’un commun accord avec le salarié les objectifs dont dépend la partie variable de la rémunération, est susceptible de constituer, en raison de l’importance des sommes en jeu, un manquement empêchant la poursuite du contrat de travail et justifiant sa résiliation aux torts de l’employeur.

La Cour de cassation rappelle également que lorsque le contrat de travail d’un salarié prévoit une rémunération comportant une partie variable dont les modalités de calcul sont fixées par les parties chaque année, le mode de calcul de la partie variable de la rémunération, objet de l’accord des parties, ne doit pas être confondu avec le droit du salarié à cette partie variable, acquis en vertu du contrat de travail (Cass. soc. 22 -5- 1995 n° 91-41.584).

La nature du contrôle exercé par la Cour de cassation sur la cause de la prise d’acte ou de la résiliation judiciaire du contrat de travail est précisé : le manquement justifiant la prise d’acte ou, comme ici, la résiliation du contrat de travail aux torts de l’employeur, doit être de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail, ce qu’il appartient aux juges du fond de faire ressortir (Cass. soc. 26 -3- 2014 n° 12-23.634, 12.35.040, 12-21.372 ; Cass. soc. 12 -6- 2014 nos 12-29.063 et 13-11.448).

Cette position tranche quelque peu puisqu’auparavant la seule constatation du défaut de fixation des objectifs dont dépendait la rémunération variable du salarié constituait une cause automatique d’imputabilité de la rupture (Cass. soc. 29 -6- 2011 n° 09 65.710).

La Haute Juridiction n’entend ainsi pas s’encombrer d’un contrôle par trop scrupuleux, laissant aux juges du fond une grande latitude dans l’appréciation des faits soumis et leurs conséquences sur la relation contractuelle (cela ressort notamment des tournures employées dans l’arrêt : la Cour d’appel « ayant ensuite souligné l’importance des sommes en litige »).

Secrets d’alcôve

Droit Social

Les hasards judiciaires de la vie trépidante de notre petite structure nous ont récemment amenés à nous confronter aux principes gouvernant la confidentialité des propos tenus lors d’une audience devant le bureau de conciliation d’un Conseil de prud’hommes. Dans un cas, nous nous trouvâmes en position d’accusé, dans l’autre d’accusateur. Et ce n’est pas faire excès de modestie que d’indiquer tout de suite que, dans les deux cas, nous fûmes victorieux, quand bien même les textes gouvernant la matière ne seraient pas forcément limpides.

Tout d’abord, rappelons que sauf exception, la conciliation constitue un préliminaire obligatoire dont l’absence entraîne une nullité d’ordre public de la procédure. Les séances du bureau de conciliation  ne sont pas publiques, sauf lorsqu’il ordonne des mesures provisoires. Dans ce cadre, qu’est-ce qui peut être dit ou répété ultérieurement de ce qui s’est passé lors de cette première audience, en gardant à l’esprit que le but avoué de cette audience est de faire parvenir les parties à un accord amiable, évitant la poursuite de la procédure en Bureau de jugement. Il est dans ce cadre évident que la discrétion sur les pourparlers s’impose aux parties, ne serait-ce que pour garantir les bonnes conditions de la négociation où le secret et la discrétion s’imposent d’évidence.

Dans la première espèce dont il est ici question, il s’agissait de la contestation d’une rupture conventionnelle quelque peu forcée, car reposant en réalité sur des motifs économiques. Lors de l’audience de conciliation, l’employeur s’était exprimé en affirmant  que la rupture du contrat de travail de la salariée se justifiait par l’acquisition d’un logiciel de comptabilité (propos d’ailleurs notés par un des conseillers présents, vraisemblablement dans le but d’apporter des éclaircissements lors de l’audience de plaidoirie, comme cela en est l’usage).

Nous avions évidemment repris cet aveu dans nos écritures, comme confirmant la tentative de fraude ayant entaché la procédure de rupture du contrat de travail par la voie conventionnelle plutôt que par celle du licenciement, au détriment des intérêts de la salariée concernée.

 

Dans ses écritures en réponse, arguant de ce passage de nos écritures, la société défenderesse venait affirmer que le fait d’évoquer ces propos justifierait la nullité de la procédure intentée, s’appuyant ainsi sur les dispositions cumulées des articles L 1411-1, R 1454-8 et R 1454-10 du Code du travail et 433 et 446 du Code de procédure civile.

Pour justifier sa position, la société défenderesse faisait état d’une décision émanant du Conseil de prud’hommes de Caen du 22 février 2013 dont une lecture attentive permettait de constater que ce qui était reproché à la demanderesse dans cette affaire, et qui avait justifié la nullité de la procédure, était d’avoir « fait expressément état des propositions » qui lui avaient été faites lors de l’audience de conciliation.

Cette jurisprudence précise donc en réalité bien ce qui ou ne peut pas se dire de ce qui s’est tenu lors de l’audience de conciliation, interdisant seulement l’évocation des échanges afférents à une issue transactionnelle. Ainsi, et en tout état de cause, cette décision ne s’appliquait pas aux faits de l’espèce, les propos évoqués dans nos écritures en demande étaient sans lien aucun avec d’éventuels pourparlers entre les parties en présence.

Cette position est d’ailleurs confirmée par les juridictions d’appel. Dans une décision du 12 septembre 2013, la Cour d’appel de Chambéry, en réponse à un moyen identique soulevé par la société intimée, statuait en ces termes sur l’exception de nullité soulevée (pièce n° 12) :

« Attendu que les éléments et propos invoqués par Monsieur Marc X… et qui auraient été tenus par la société C A D’A devant le bureau de conciliation ne concernent pas une ébauche de conciliation ou de proposition transactionnelle, mais sont seulement des moyens invoqués par l’employeur pour refuser toute conciliation, qu’il n’existe donc pas au cas d’espèce de violation du principe de confidentialité ».

Dans sa décision du 3 mars 2014, suivant ce raisonnement, le Conseil de prud’hommes de Poissy a donc écarté la demande de nullité en ces termes :

« Vu l’article 114 du Code de procédure civile : « aucun acte de procédure ne  peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n’est pas expressément prévue par la loi… »

Bien que l’article R 1454-8 du Code du travail dispose que les séances du bureau de conciliation ne sont pas publiques, aucun texte ne prévoit que les propos qui y sont échangés sont confidentiels. A défaut de conciliation, les prétentions qui restent contestées et les déclarations faites par les parties sur ces prétentions sont notés au dossier ou au procès-verbal, de telle sorte qu’elles peuvent être considérées comme faisant partie de la mise en état de l’affaire.

En conséquence, dit mal fondée cette demande de nullité. »

Il n’échappera pas à la sagacité des lecteurs que le Conseil de prud’hommes ne semble ici retenir aucun propos tenu lors de la conciliation sous le sceau de la confidentialité, même d’éventuels échanges afférents à une solution amiable, et ce en contradiction avec les décisions précitées qui font expressément cette distinction.

Dans une autre espèce, c’est le cas inverse qui nous était soumis, le défenseur syndical de deux salariés ayant pris l’initiative singulière de révéler dans ses conclusions en demande des échanges afférents à des offres transactionnelles ayant pu être faites lors de l’audience de conciliation par l’employeur ou son représentant. Nous avons donc légitimement soulevé la nullité de la procédure intentée.

Le Conseil de prud’hommes de Saint-Dié des Vosges a tranché en ces termes le 26 janvier 2015 :

« Qu’en l’espèce Messieurs B et G ont fait expressément état des propositions qui leur on été faites par la défenderesse, lors de l’audience de Conciliation (…) ;

Que la demande de nullité soulevée in limine litis est recevable ; 

Que l’inobservation des règles de la procédure, dans la présente instance, constitue une irrégularité de fond et doit entraîner sa nullité ; 

En conséquence, le Conseil de prud’hommes constate que Messieurs B et G n’ont pas observé les règles de la procédure ; qu’en conséquence la procédure est nulle. »

Ces décisions sont susceptibles d’appel, mais elles permettent tout de même de se faire une idée un peu plus précise de ce que l’on peut ou non rapporter de la teneur d’une audience de conciliation dans le cadre du bureau de jugement.

Surtout et en tout état de cause, au regard de la gravité de la sanction (nullité de la procédure), l’idée de faire état des pourparlers, quand bien même les parties ou leurs représentants ne seraient pas tenus par le secret professionnel, est évidemment à proscrire absolument.

Après la période d’essai, ce n’est plus la période d’essai (justement)

Droit Social

Les hasards judiciaires de la vie trépidante de notre petite structure nous ont récemment amenés à nous confronter aux principes gouvernant la confidentialité des propos tenus lors d’une audience devant le bureau de conciliation d’un Conseil de prud’hommes. Dans un cas, nous nous trouvâmes en position d’accusé, dans l’autre d’accusateur. Et ce n’est pas faire excès de modestie que d’indiquer tout de suite que, dans les deux cas, nous fûmes victorieux, quand bien même les textes gouvernant la matière ne seraient pas forcément limpides.

Le préavis en cas de rupture de période d’essai a, de tous temps, constitué un véritable casse-tête, la durée de ce dernier pouvant déborder la date de rupture, prolongeant en quelque sorte une période d’essai en réalité… achevée. L’imprécision des textes en la matière n’arrangeant il faut bien dire pas grand-chose.

Pour mémoire, l’article L 1221-25 du Code du travail prévoit le respect d’un délai de prévenance en cas de rupture d’une période d’essai. La durée de ce délai varie en fonction de la durée de présence du salarié dans l’entreprise et de la personne qui prend l’initiative de la rupture.

Ce texte précise par ailleurs que la période d’essai, renouvellement inclus, ne peut être prolongée du fait de la durée du délai de prévenance.

Que déduire alors d’une exécution dudit préavis. Du fait du respect du délai de prévenance, si ce dernier était travaillé, le risque existe de voir un salarié dont la période d’essai est rompue être présent dans l’entreprise au-delà de ladite période.

La Cour tranche en quelque sorte la question en des termes finalement assez clairs : en cas de rupture de la période d’essai, la poursuite du contrat de travail au-delà du terme de cette période pour respecter le délai de prévenance fait naître un nouveau CDI ne pouvant être rompu par l’employeur que par un licenciement (Cass. soc. 5 novembre 2014 n° 13-18.114 (n° 1932 FS-PB).

Ainsi, tout va bien, sauf si l’on a l’idée saugrenue de demander au salarié de travailler alors que l’on ne veut plus de lui et qu’on le lui a déjà notifié.

En l’espèce, le salarié était soumis à une période d’essai de trois mois devant se terminer le 16 avril. Le 8 avril, l’employeur l’avait informé de la fin de son contrat à compter du 22 du même mois. S’estimant licencié, le salarié réclamait des dommages-intérêts. La cour d’appel l’avait débouté jugeant qu’il avait bien bénéficié du préavis de deux semaines auquel il pouvait prétendre.

 

La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel. Elle juge qu’en cas de rupture de la période d’essai, le contrat de travail prend fin au terme du délai de prévenance s’il est exécuté, et au plus tard à l’expiration de la période d’essai. La poursuite de la relation de travail à l’expiration de cette période donne naissance à un nouveau contrat à durée indéterminée qui ne peut être rompu à l’initiative de l’employeur que par un licenciement.

A défaut de notifier le licenciement dans les conditions légales requises, donc sans informer le salarié des motifs de la rupture, le licenciement est abusif. Le salarié ainsi licencié peut alors prétendre, en application de l’article L 1235-5 du Code du travail, à la réparation du préjudice nécessairement subi (Cass. soc. 24 janvier 2006 n° 04-41.341) et dont l’étendue est souverainement appréciée par les juges du fond (Cass. soc. 25 septembre 1991 n° 88-41.251 ; 14 mai 1998 n° 96-42.104).

L’employeur a donc intérêt à rompre la relation de travail au plus tard au terme de la période d’essai même si le préavis ne peut plus être exécuté. Ce manquement ne rend pas le contrat définitif et la rupture ne s’analyse pas en un licenciement (Cass. soc. 23-1-2013 n° 11-23.428). De manière plus générale, il est donc recommandé, en cas de rupture de période d’essai d’un salarié ne donnant pas satisfaction, de ne surtout pas lui faire effectuer un préavis qui perdurerait au-delà de la durée de ladite période.

Pour mémoire, sauf s’il a commis une faute grave, le salarié dont la période d’essai est rompue a droit à une indemnité compensatrice égale au montant des salaires et avantages qu’il aurait perçus s’il avait accompli son travail jusqu’à l’expiration du délai de préavis, conformément à l’article L 1221-25 du Code du travail tel que complété par l’ordonnance 2014-699 du 26 juin 2014 (ordonnance venue préciser des textes pour le moins abscons comme l’avait justement relevé la Cour de cassation dans son rapport annuel de 2012).

Sébastien Bourdon

On ne badine (toujours) pas avec la rémunération

Droit Social

Il y a quelques mois déjà, certains médias, brillant par leur sens de l’analyse et de la précision affirmaient, sur la foi de décisions rendues par la Cour de cassation, que : « un salarié ne peut plus refuser toute modification de son contrat de travail décidée unilatéralement par son patron ».

En réalité, cette erreur d’analyse de décisions rendues le 12 juin dernier venait d’une transcription quelque peu hâtive d’une dépêche AFP. Erreur fréquente que certains ont corrigé, mais sans toutefois pouvoir en empêcher la diffusion préalable, sur les réseaux sociaux notamment.

Qu’a en réalité dit la Cour de cassation, tel est le propos à suivre.

Ces deux décisions du 12 juin 2014 s’inscrivent dans le sillage de trois arrêts du 26 mars 2014, rendus en formation plénière, par lesquels la chambre sociale de la Cour de cassation a précisé que la notion de manquement grave pouvant justifier la prise d’acte par le salarié de la rupture de son contrat de travail ou sa résiliation judiciaire aux torts de l’employeur s’entend d’un manquement empêchant la poursuite du contrat de travail (Cass. soc. 26-3-2014 n° 12-23.634, 12.35.040, 12-21.372 : FRS 10/14 inf. 8 p. 7 ou FR 24/14 inf. 9 p. 22).

La perturbation que le manquement de l’employeur apporte au bon déroulement de la relation contractuelle est, en effet, également prise en compte ici pour débouter les salariés de leur demande de résiliation judiciaire du contrat de travail fondée sur la modification unilatérale de leur rémunération contractuelle. Le raisonnement de la Cour paraît également pouvoir être retenu s’agissant de la prise d’acte de la rupture du contrat.

En réalité, la Cour de cassation affirme que la simple modification du mode de rémunération du salarié ne justifie pas nécessairement la rupture dudit contrat, il n’y a aucun caractère d’automaticité.

Il est vrai que les interrogations des praticiens étaient légitimes dans la mesure où des arrêts antérieurs de la chambre sociale de la Cour de cassation avaient laissé entendre que le mode de rémunération contractuel d’un salarié constituant un élément du contrat de travail, il ne pouvait être modifié sans son accord même pour un système plus avantageux. Dans ces conditions, une modification du contrat portant sur cet élément justifiait systématiquement sa résiliation à l’initiative du salarié (notamment Cass. soc. 22-2-2006 n° 03-47.639 et Cass. soc. 10-10-2007 n° 04-46.468 : sur une demande de résiliation judiciaire ; Cass. soc. 5-5-2010 n° 07-45.409 : sur une prise d’acte de la rupture). Il n’en va donc plus de même aujourd’hui.

La première affaire concernait un attaché commercial embauché sur la base d’un contrat de travail prévoyant le versement d’une rémunération fixe complétée par des commissions calculées à des taux variables. En mars 2008, un avenant prévoyant une modification du mode de rémunération à effet rétroactif au 1er janvier précédent, était proposé au salarié, ce dernier refusant de le signer.

Cette modification lui ayant été néanmoins appliquée, le salarié, dénonçant ce qu’il qualifiait de « modification unilatérale de son contrat de travail », a saisi la juridiction prud’homale d’une demande en résiliation judiciaire du contrat aux torts exclusifs de l’employeur. Les juges du fond, après avoir constaté que, malgré l’application de taux de commissionnements fréquemment moins avantageux, le montant cumulé des éléments variables de rémunération calculés chaque mois et des primes allouées était supérieur au montant qui serait résulté de la simple application de la grille de commissionnements dont le salarié avait bénéficié en 2007, avaient débouté l’intéressé. A leurs yeux, les manquements de l’employeur aux règles contractuelles n’ayant pas été préjudiciables au salarié ne pouvaient être considérés comme suffisamment graves pour justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail, ce qu’a confirmé la Cour de cassation.

La deuxième espèce concernait un VRP auquel son employeur avait, en 2005, notifié une baisse de son taux de commissionnement de 33 % à 25 % sur la vente de certains matériels dont il avait la charge, alors qu’il avait antérieurement refusé de signer l’avenant contractuel correspondant. La Cour de cassation approuve là encore les juges du fond d’avoir débouté le salarié au motif, cette fois, que la modification unilatérale du contrat de travail ne représentait qu’une faible partie de la rémunération.

Evidemment, une lecture rapide de ces décisions pourrait laisser penser que la Cour, dans un élan inattendu, aurait soudainement décidé de laisser totalement la main à l’employeur s’agissant de la modification de la rémunération du salarié, réalisant ainsi les rêves les plus fous de Pierre Gattaz.

Il n’en est naturellement rien et il ne faut pas déduire de ces arrêts (ou des dépêches de l’AFP) que l’employeur pourrait dorénavant à sa convenance imposer une modification du contrat de travail au salarié. Une modification de la rémunération, dans son montant ou dans sa structure, ne peut toujours pas être imposée unilatéralement au salarié, et ce quelle que soit son importance.

Par ailleurs, le silence conservé par le salarié et la poursuite du contrat de travail aux nouvelles conditions imposées par l’employeur, même pendant une longue période, ne permet pas de déduire une acceptation tacite (notamment : Cass. soc. 17-9-2008, n° 07-42.366). Et il reste possible au salarié d’exiger la poursuite du contrat aux conditions antérieures (Cass. soc. 26-6-2001 n° 99-42.489).

Le changement opéré par les arrêts du 12 juin concerne uniquement l’issue de la prise d’acte de la rupture de son contrat par le salarié ou de sa demande de résiliation judiciaire : la rupture ne sera prononcée aux torts et griefs de l’employeur que si son manquement empêche la poursuite de l’exécution du contrat.

Il convient donc désormais de distinguer le manquement incontestable que commet l’employeur en modifiant unilatéralement le contrat, de ses conséquences sur la poursuite de la relation contractuelle. Ces dernières dépendent en effet de l’appréciation de la gravité du manquement commis, gravité appréciée par les juges du fond au regard des circonstances de fait exposées par les parties.

Dans un contexte où a été facilité et accéléré la phase judiciaire de la prise d’acte de rupture (http://bourdonavocats.fr/blog/bourdonnement.asp?id=18), la mise en place de tels freins jurisprudentiels ne peut qu’être saluée.

Optimisme législatif et marasme judiciaire

Droit Social

Pas plus tard qu’hier matin, j’étais au Conseil de prud’hommes de Nanterre, patientant gentiment que vienne mon tour (trois heures d’attente quand même). Avec quelques Confrères, nous évoquions les derniers développements afférents à la prise d’acte de la rupture, sujet en pointe dans l’un des dossiers de la matinée, et ce d’autant que le législateur s’est penché sur les aspects procéduraux de cette question juste avant l’été.

Il vous a en effet peut-être échappé que dorénavant, en cas de prise d’acte de la rupture du contrat par un salarié, l’affaire sera directement portée devant le bureau de jugement qui statuera dans le délai d’un mois suivant sa saisine. Le Parlement a en effet définitivement adopté le 18 juin dernier la proposition de loi relative à la procédure applicable devant le conseil de prud’hommes dans le cadre d’une prise d’acte de la rupture du contrat de travail par le salarié. Est donc supprimée donc la phase dite de conciliation (comme en matière de requalification de CDD par exemple – article L 1245-2 du Code du travail), obligeant le juge prud’homal à statuer dans le mois suivant sa saisine. Ce texte entrera en vigueur au lendemain de sa publication au Journal officiel.

Pour mémoire, la prise d’acte de la rupture du contrat de travail est une construction jurisprudentielle issue des arrêts de la chambre sociale de la Cour de cassation du 25 juin 2003 (n° 01-42.335). Un salarié, considérant que son employeur est à l’origine de manquements sérieux dans l’exécution du contrat de travail justifiant que soit constatée sa rupture aux torts et griefs de la société, quitte l’entreprise et saisit le juge afin qu’il tranche. Si les manquements sont suffisamment graves pour empêcher la poursuite des relations contractuelles, la rupture produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse (avec les conséquences pécuniaires en découlant : préavis, congés payés sur préavis, indemnité de licenciement et dommages et intérêts) ; dans le cas contraire, elle produit les effets d’une démission (et le salarié se retrouve le bec dans l’eau, pouvant même être condamné le cas échéant à verser à l’employeur une indemnité pour non respect du préavis – Cass. Soc. 4 février 2009 n° 07-44.142).

Une telle procédure, à l’issue très incertaine, est à la fois périlleuse et longue. Durant cette période d’attente pendant laquelle le juge n’a pas tranché, entre la saisine du Conseil de prud’hommes et le Bureau de jugement, le salarié se trouve alors dans une situation précaire puisque ne bénéficiant d’aucune protection sociale. En effet, sauf exceptions, l’intéressé n’a en effet pas droit aux allocations de chômage, Pole emploi estimant, légitimement, qu’il existe un doute sur le caractère volontaire ou non de la rupture. Dans les gazettes spécialisées, on évoque une durée d’attente de jugement se situant entre dix et seize mois. Hier, à Nanterre, c’était trente-et-un mois pour tout le monde (sauf les licenciements économiques)…

Afin de sécuriser la situation du salarié, ou du moins de réduire son temps d’incertitude impécunieuse, le législateur a donc décidé de mettre en place une procédure accélérée du traitement contentieux des prises d’actes par le conseil de prud’hommes. Aux termes d’un nouvel article L 1451-1 inséré dans le Code du travail, lorsque le conseil de prud’hommes est saisi d’une demande de qualification de la rupture du contrat de travail à l’initiative du salarié en raison de faits que celui-ci reproche à son employeur, l’affaire est directement portée devant le bureau de jugement, qui statue au fond dans un délai d’un mois suivant sa saisine, sans phase de conciliation préalable.

Peut-être un peu plus au fait des réalités du terrain, les partenaires sociaux ont fait part de leur relatif pessimisme, rappelant ainsi une évidence première : fixer dans la loi un délai de jugement d’un mois ne garantit pas qu’il soit respecté. Et ce n’est pas votre serviteur, avec des dates de bureau de jugement fin mars 2017 qui va affirmer le contraire (d’autant que les délais précités ne tiennent évidemment pas compte d’une éventuelle et possible poursuite de la procédure en appel). Tous les habitués des Conseils de prud’hommes sont naturellement curieux de voir comment ces juridictions surchargées vont gérer de tels délais dans un agenda déjà surchargé.

L’enfer est pavé de bonnes intentions, le législateur s’est fait fort de nous le rappeler.

De l’art d’être jeune père et salarié

Droit Social

Prenant en compte les évolutions de la société, le législateur a récemment apporté quelques modifications au statut du jeune père salarié avec la loi 2014-873 du 4 août 2014 dite « pour l’égalité réelle entre les hommes et les femmes ».

Une fois n’est pas coutume, le législateur dans cette démarche, s’est attardé sur le cas du père salarié et notamment par le biais de deux dispositions détaillées ci-après.

Tout d’abord, le conjoint de la future mère pourra bénéficier de trois autorisations d’absence pendant la grossesse (article 11 de la loi précitée).

La loi modifie ainsi l’article L 1225-16 du Code du travail pour permettre au conjoint d’une future mère de se rendre à trois des examens médicaux obligatoires de suivi de la grossesse. On parle ici généralement d’échographies, pour ceux qui auraient des doutes.

Cette autorisation d’absence est accordée aux personnes mariées, mais également à celles liées par un pacte civil de solidarité ou vivant maritalement avec la future mère, quel que soit leur sexe. Une femme salariée peut donc en bénéficier.

L’autorisation d’absence étant accordée pour se rendre à des examens médicaux, la durée de l’absence devrait comprendre non seulement le temps de l’examen médical, mais également le temps du trajet aller et retour. Mais tout le monde sait qu’il ne vaut mieux habiter trop loin de la clinique…

L’employeur devrait pouvoir exiger du salarié qu’il justifie de son lien avec la future mère, mais également d’un certificat du médecin suivant la grossesse et attestant que l’absence est liée à un examen prénatal obligatoire.

Très logiquement, ces absences autorisées ne devront entraîner aucune diminution de la rémunération. Elles sont donc assimilées à une période de travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés ainsi que pour les droits légaux ou conventionnels acquis par le salarié au titre de son ancienneté dans l’entreprise.

Encore plus fort, si l’on peut dire, les jeunes pères sont même maintenant protégés pendant quatre semaines contre le licenciement (article 9 de la loi). Durant les quatre semaines qui suivent la naissance de son enfant, le jeune père ne peut être licencié que s’il commet une faute grave ou si le maintien de son contrat de travail est impossible (nouvel article L 1225-4-1 du Code du travail).

Cette protection est accordée pendant les quatre semaines qui suivent la naissance de l’enfant, que le salarié choisisse de s’absenter – dans le cadre du congé de naissance, du congé de paternité et d’accueil de l’enfant ou de congés payés – ou qu’il reste présent dans l’entreprise au cours de cette période.

L’objectif de cette mesure est d’empêcher que la situation de famille du salarié ou le fait qu’il prenne son congé de paternité devienne un motif, même inavoué, de licenciement. Les bouleversements liés à l’arrivée d’un enfant ne s’interrompant pas au bout de quatre semaines, d’aucuns pourront dire que c’est un peu court, quand d’autres trouveront que c’est déjà ça.

La protection accordée au jeune père n’interdit toutefois pas à l’employeur de le licencier s’il a commis une faute grave ou si le maintien du contrat de travail est impossible pour un motif étranger à l’arrivée de l’enfant, tournures que l’on rencontre déjà dans notre code du travail.

En effet, le dispositif est inspiré de la protection dite « relative » accordée aux mères pendant les quatre semaines qui suivent leur retour de congé de maternité. Les principes posés par la jurisprudence à propos des jeunes mères devraient donc logiquement être transposables aux pères.

Ainsi, la faute grave ne devrait pas pouvoir être retenue si elle est liée à la naissance de l’enfant : par exemple, une absence injustifiée liée à des problèmes de santé dont souffrirait le nouveau-né ne pourrait donc pas justifier la rupture du contrat de travail (pas encore de jurisprudence sur le fait que le délicieux bambin ne fasse toujours pas ses nuits).

S’agissant de l’impossibilité de maintenir le contrat de travail, on pense souvent aux difficultés économiques de l’entreprise, l’employeur serait tenu de justifier précisément le motif de la rupture, et de ne pas manquer de préciser en quoi le maintien du contrat de travail serait impossible.

La loi ne prévoit pas expressément les sanctions encourues par l’employeur qui licencierait un salarié dans les quatre semaines suivant la naissance de son enfant sans justifier d’une faute grave ou d’une impossibilité de maintenir le contrat de travail pour un motif étranger à l’arrivée de l’enfant.

Par analogie avec la protection accordée aux jeunes mères, on peut considérer qu’un tel licenciement serait nul. Le salarié pourrait donc se prévaloir d’un droit à réintégration dans l’entreprise assorti d’une indemnisation compensant les salaires perdus entre son licenciement et sa réintégration ou bien, à défaut de réintégration, de dommages et intérêts ainsi que des indemnités de rupture du contrat de travail.

Sur le plan pénal, l’article R 1227-5 du Code du travail sanctionne le non-respect des règles relatives à la protection de la grossesse et de la maternité par une amende de 1 500 Euros pour une personne physique et de 7 500 Euros pour une personne morale. Mais la loi pénale étant d’application stricte, ces dispositions ne sont pas transposables en l’état aux pères salariés.

On ne doute pas de ce que les employeurs s’adapteront à ces nouvelles règles, la question est plutôt de savoir si les bénéficiaires de ces dispositions se lèveront plus souvent la nuit pour s’occuper des enfants. Mais là n’est pas l’objet de cette chronique.

Une histoire sans fin

Droit Social

On a cru n’en jamais voir l’issue, mais voilà que cette affaire qui a agité le pays se termine enfin, du moins sur un plan local. Pour mémoire, la salariée dont il est question avait été licenciée pour avoir refusé d'ôter son voile, malgré la neutralité expressément exigée par le règlement intérieur de la crèche : en assemblée plénière, la Cour de cassation admet finalement cette clause comme étant valable et le licenciement justement fondé sur une faute grave (Cass. Ass. Plén. 25 juin 2014 n° 13-28.369, X c/ Association Baby-Loup).

Pour se remémorer les divers rebondissements de cette ténébreuse affaire, je me permets un renvoi à ma précédente chronique sur ce thème, faisant suite à la décision prise par la Cour d’appel de renvoi (http://bourdonavocats.fr/blog/bourdonnement.asp?id=11).

Dans l’arrêt du 25 juin 2014 dont il est ici question, l’assemblée plénière de la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la salariée contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris qui, statuant sur renvoi après cassation, avait jugé son licenciement fondé sur une faute grave (CA Paris 27 novembre 2013 n° 13/02891), alors que la chambre sociale de la Cour de cassation l’avait précédemment déclaré nul (Cass. soc. 19 mars 2013 n° 11-28.845).

La chambre sociale de la Cour de cassation avait rappelé dans cette affaire que le principe de laïcité ne s’applique pas aux salariés des employeurs de droit privé ne gérant pas un service public, pour lesquels toute restriction à la liberté religieuse doit être justifiée par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence essentielle et déterminante et être proportionnée au but recherché. C’est en partant de ce postulat qu’elle avait déclaré nul le licenciement intervenu, décision remise en question par la Cour d’appel de renvoi.

Sans remettre expressément en cause la mise à l’écart de l’application du principe de laïcité, la Haute Juridiction, cette fois réunie en assemblée plénière ne retient pas l’idée quelque peu novatrice de la Cour d’appel de renvoi d’une entreprise « de tendance laïque ».

En effet, alors que la Chambre sociale de la Cour l’avait jugée trop imprécise, l’assemblée plénière de la Cour de cassation admet la licéité de la clause du règlement intérieur prévoyant que « le principe de la liberté de conscience et de religion de chacun des membres du personnel ne peut faire obstacle au respect des principes de laïcité et de neutralité qui s’appliquent dans l’exercice de l’ensemble des activités développées, tant dans les locaux de la crèche ou ses annexes qu’en accompagnement extérieur des enfants confiés à la crèche ».

Elle décide en effet que la cour d’appel a pu déduire de cette rédaction le caractère suffisamment précis, justifié et proportionné d’une telle restriction dans l’entreprise concernée en appréciant concrètement les conditions de fonctionnement de l’association de dimension réduite, n’employant que dix-huit salariés qui étaient ou pouvaient être en contact avec les enfants ou leurs parents.

L’assemblée plénière, considérant peut-être que la Cour de cassation avait une interprétation par trop abstraite des clauses du règlement intérieur, fait ainsi une appréciation on ne peut plus concrète des conditions de travail dans la crèche : le fait de pouvoir se croiser tous les jours (salariés, parents, enfants) dans cette petite structure justifierait de la validité de cette clause du règlement intérieur. Il y a là indéniablement un message à l’attention des rédacteurs de règlement intérieur, devant impérativement de tenir compte des conditions réelles de travail et de la taille de l’entreprise concernée. On ne peut par ailleurs que se réjouir de cette tendance de la Cour de cassation à « mettre les mains dans le cambouis » pour déterminer les solutions à retenir.

Cette obligation de neutralité est également jugée justifiée par les tâches accomplies par les salariés, les activités en contact avec de jeunes enfants seraient donc de nature à légitimer une restriction de la liberté des salariés de manifester leurs convictions religieuses (difficile de ne pas considérer que le signe religieux dont il était ici objet, un voile pouvant plus ou moins dissimuler le physique de la salariée, n’ait pas pesé dans la décision rendue, s’agissant d’un lieu ayant surtout vocation à accueillir des enfants).

Toutefois, alors que la cour d’appel de Paris avait qualifié la crèche d’entreprise de conviction au sens de la jurisprudence européenne, la Cour de cassation rejette cette qualification dès lors que cette association a pour objet, non de défendre des convictions religieuses, politiques ou philosophiques, mais, aux termes de ses statuts, de développer une action orientée vers la petite enfance en milieu défavorisé et d’œuvrer pour l’insertion sociale et professionnelle des femmes, sans distinction d’opinion politique et confessionnelle.

Si la Haute Juridiction disqualifie cet argument des juges d’appels, elle considère en réalité qu’il est surtout inopérant sur la solution du litige.

Elle tranche en affirmant que le licenciement de la salariée a pu être jugé fondé sur une faute grave en raison de son refus d’accéder aux demandes licites de son employeur de s’abstenir de porter le voile et des actes d’insubordinations répétés et caractérisés dans la lettre de licenciement, rendant impossible la poursuite du contrat de travail.

Cette décision met donc fin au litige devant les juridictions nationales. Cependant, un recours devant la Cour européenne des droits de l’Homme reste possible et qui sait, probable.