Tout est dans le paramétrage

Droit Social

Il y a peu, j’évoquais les conséquences pour un salarié d’un abus de l’utilisation d’Internet durant les heures de travail, au détriment de ce pour quoi il est présent, c’est-à-dire l’accomplissement de ses tâches quotidiennes.

Récemment, la Cour d’appel de Lyon est venu se pencher sur une autre problématique, là encore on ne peut plus contemporaine, celle des propos tenus par les salariés sur les réseaux sociaux, plus ou moins directement afférents à l’entreprise (CA Lyon 24 mars 2014 n° 13-03463, ch. soc. A, SA Catesson c/ D).

On aurait légitimement tendance à croire que les propos que l’on publie sur Facebook relèvent de la sphère privée, ne pouvant en principe être lus que par nos « amis » (ou « friends » pour les anglo-saxons). Une conversation de salon en somme. La Cour d’appel de Lyon, faisant montre d’une connaissance des technologies de l’information dont d’aucuns auraient pu malicieusement douter affine quelque peu ce raisonnement.

Ainsi, à la question l’employeur peut-il sanctionner un salarié pour avoir tenu sur un réseau social des propos concernant l’entreprise ou ses membres qui dépasseraient selon lui les limites du droit à la liberté d’expression dont bénéficie tout salarié, la Cour répond par un examen sourcilleux de la technologie applicable sur lesdits réseaux sociaux.

Il était ici demandé à cette dernière de se prononcer sur la légitimité du licenciement pour faute grave d’un salarié, conducteur routier, auquel l’employeur reprochait d’avoir tenu sur Facebook des propos qu’il qualifiait de diffamatoires et insultants à l’égard des dirigeants et de l’entreprise, affirmant que de nombreux salariés et clients avaient eu accès, ce qui aurait nui à l’image de l’entreprise.

De manière un peu lapidaire, la Cour, estimant que l’employeur ne rapportait pas la preuve que des clients de l’entreprise avaient eu accès aux propos litigieux, écarte la faute grave, partant du principe que dans une entreprise occupant plus de cent-cinquante salariés, il était peu probable que les clients de celle-ci aient connaissance de l’identité des membres de son personnel. Le raisonnement peut paraître surprenant, la société semblant vue comme un vase clos, avec des salariés sans contacts avec la clientèle.

La Cour d’appel fait en revanche état de sa connaissance du fonctionnement réseau fondé par Mark Zuckerberg, en s’intéressant de très près aux paramètres du « mur » du salarié concerné. Pour accéder à celui-ci, il suffisait simplement de saisir sur ce réseau social les nom et prénom de l’intéressé. Partant de cette facilité d’accès, du fait de l’absence de verrouillage des critères de confidentialité par le salarié, la cour d’appel admet alors la cause réelle et sérieuse du licenciement.

En effet, pour les juges du fond, même si les propos tenus par le salarié s’apparentaient en l’espèce plus à l’expression d’un malaise qu’à une volonté de porter atteinte à l’image de l’entreprise, ils décrivaient néanmoins la société en des termes injurieux et peu flatteurs démontrant un abus par le salarié de sa liberté d’expression.

Pour la Cour d’appel, la facilité d’accès au mur du salarié, notamment par plusieurs de ses collègues de travail titulaires d’un compte Facebook, avait donné un caractère public aux propos tenus. C’est donc le salarié lui-même, précise la cour d’appel, qui avait pris le risque de donner de la publicité à des propos qu’il estimait privés (en tout cas, c’est ce qu’il affirmait après coup…).

Ce n’est pas la première fois que les juges du fond procèdent à une distinction selon que le salarié a ou non paramétré son compte de manière à garantir la confidentialité de ses propos sur Facebook (cf. CA Besançon 15 novembre 2011 n° 10-02642 : N-VIII-7522). Dans le même esprit, la première chambre civile de la Cour de cassation, a jugé que des propos concernant l’employeur tenus par un salarié sur son compte Facebook ne peuvent constituer le délit d’injure publique – et justifier une action en dommages-intérêts sur ce fondement – dès lors qu’ils ne sont accessibles qu’aux seules personnes agréées par l’intéressé, en nombre très restreint (Cass. 1e civ. 10 avril 2013 n° 11-19.530 : N-VIII-7532).

Ainsi, peu importe ce que l’on écrit, l’essentiel étant de savoir qui peut le lire !

L’heure c’est l’heure

Droit Social

En toute logique, la Cour de cassation poursuit la construction d’un édifice jurisprudentiel afférent aux conventions de forfait-jours (problématique déjà évoquée sur ces lignes et que l’on peut retrouver ici : http://bourdonavocats.fr/blog/bourdonnement.asp?id=8). L’exercice pour l’employeur est finalement périlleux : il faut prévoir de manière rigide un système en apparence souple.

Ainsi, le 12 mars dernier, la Cour de cassation a arrêté le principe suivant : toute convention de forfait en jours doit fixer exactement le nombre de jours travaillés. Par ailleurs, l’entretien annuel sur la charge de travail doit bénéficier à tous les salariés soumis au dispositif y compris ceux qui ont signé leur convention avant le 22 août 2008 (Soc. 12 mars 2014, FS-P+B, n° 12-29.141).

Pour mémoire, la chambre sociale a précisé que toute convention de forfait en jours devait être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires, et que lorsque l’employeur ne respecte pas ces stipulations, le salarié peut prétendre au paiement d’heures supplémentaires dont le juge doit vérifier l’existence et le nombre (nombre de jours devant être compatible avec les dispositions sur les durées maximales de travail – Soc. 29 juin 2011, n° 09-71.107).

Par ce nouvel arrêt, la Cour reste dans la même ligne, sans ambigüité. En l’espèce, un salarié avait saisi le Conseil des prud’hommes à la suite son licenciement pour faute grave. Ce dernier sollicitait notamment que soit constatée la nullité de sa convention de forfait-jours. Cette demande se justifiait selon lui à deux titres : le défaut de la mention du nombre exact de jours travaillés et l’absence d’entretien annuel relativement à la charge de travail, à l’organisation du travail dans l’entreprise et à l’articulation entre la vie professionnelle et la vie personnelle conformément aux dispositions de l’article L. 3121-46 du code du travail.

Sur l’absence du nombre exact de jours travaillés, la cour d’appel de Versailles a débouté le salarié de sa demande au motif que « la fourchette de 215 à 218 jours de travail indiquée dans la lettre d’embauchage et sur les bulletins de salaire ne fait que traduire l’impossibilité de déterminer de façon intangible le nombre maximum de jours travaillés chaque année du fait des variables liées au calendrier ; que cette marge d’incertitude infime et commune à tous les forfaits annuels ne remet pas en cause leur validité ». La Cour de cassation n’a naturellement pas retenu cette souplesse accordée à l’employeur par la cour d’appel et, au visa de l’article L. 3121-45 du code du travail, cassé en ces termes lapidaires : « une convention de forfait en jours doit fixer le nombre de jours travaillés ». Sur cet aspect contractuel comme sur d’autres, il appartient aux parties de préciser la nature de leurs obligations et donc de fixer précisément le nombre de jours compris dans la convention individuelle.

Sur le défaut d’organisation d’entretien annuel, les juges du fond ont condamné l’employeur au paiement d’une indemnité pour exécution déloyale de la convention de forfait en jours. En tout état de cause, en n’organisant pas cet entretien annuel, lequel relève manifestement des garanties apportées par le législateur en matière de santé et de repos, l’employeur s’expose à ce que la convention de forfait soit privée d’effet.

Cette décision est limpide quant à certaines des précautions à prendre par l’employeur pour se préserver de déconvenues prud’homales potentielles : ne pas manquer de préciser le nombre de jours travaillés dans la convention de forfait et ne pas oublier d’organiser au moins annuellement un entretien avec le salarié concerné sur les conditions d’exécution de son travail.

Trop de virtuel et c’est la porte

Droit Social

L’utilisation d’internet sous toutes ses formes et variantes est à même de fournir au praticien de droit du travail une jurisprudence abondante, et ce pour encore un moment.

Ainsi, récemment, la Cour de cassation a tranché l’épineuse question du sort d’un salarié qui « inondait ses collègues de vidéos humoristiques » (si j’osais j’écrirais : « LOL »). Sans trop de surprises, il s’est avéré que ce dernier, selon la Cour, par ce comportement, commettait une faute (Cass. soc. 18 décembre 2013 n° 12-17.832 (n° 2163 F-D), Sté REM c/ B).

La Cour de cassation a donc considéré que le fait pour un salarié de se connecter de manière répétée à Internet sur son temps de travail et d’envoyer par courriel à ses collègues des centaines de vidéos à caractère sexuel, humoristique, politique ou sportif constitue une faute.

En l’espèce, le facétieux travailleur a été licencié après qu’un de ses collègues ait fini par se plaindre d’être dérangé dans son travail par ses envois répétés de vidéos par courriel (on eût pu rétorquer qu’il n’était pas obligé de les ouvrir, mais ce point ne semble pas avoir été évoqué). A la suite de cette réclamation inhabituelle, l’employeur a mené une enquête et constaté que l’intéressé, pendant son temps de travail, s’était connecté à de nombreuses reprises à Internet et y avait téléchargé des vidéos à caractère sexuel, humoristique, politique et sportif. Il avait ensuite transféré ces vidéos à certains de ces collègues par message électronique. Un huissier de justice mandaté par l’employeur avait tout de même constaté l’envoi de pas moins de 178 courriels de ce type ( !).

Face à cette débauche virtuelle, l’employeur a licencié l’impétrant pour faute grave.

La Cour d’appel saisie du litige a pourtant jugé le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, l’employeur ne démontrant pas que les agissements du salarié aient été de nature à porter atteinte à l’image de la société ou à porter préjudice à son fonctionnement, ni que le temps passé par le salarié à l’envoi de ces messages ait été à l’origine d’une négligence dans les tâches qui lui incombaient (de manière curieuse, la Cour ne semble pas s’être intéressée aux conséquences du comportement du salarié sur le travail de ses collègues, sachant que la procédure avait été justement mise en branle à la suite d’une réclamation de l’un d’entre eux).

La Cour de cassation a censuré cette analyse et considéré que le licenciement avait été correctement motivé par l’employeur, qui reprochait au salarié un manquement aux dispositions du règlement intérieur de l’entreprise et à ses obligations contractuelles, l’intéressé étant censé consacrer son temps de travail à l’accomplissement de ses tâches et missions (de là à dire que c’est l’évidence même…). La Cour de cassation en a donc conclu que le salarié avait commis une faute, sans préciser son degré de gravité, renvoyant pour ce faire à une autre cour d’appel le soin de qualifier ces manquements : faute grave ou cause réelle et sérieuse de licenciement.

La Cour de cassation semble maintenant systématiquement considérer qu’un salarié qui néglige son travail pour se connecter à Internet de manière extraprofessionnelle manque à ses obligations et encourt un licenciement (Cass. soc. 18 mars 2009 n° 07-44.247 : NB-I-73280). Ainsi, l’abus est caractérisé et justifie un licenciement pour faute grave lorsque le salarié consacre l’essentiel de ses heures de travail à naviguer sur des sites dépourvus de tout lien avec son activité professionnelle : jugé à propos d’un salarié qui s’était connecté plus de 10 000 fois en un mois à des sites de voyage, de prêt-à-porter, de comparaison de prix et de réseaux sociaux (Cass. soc. 26 février 2013 n° 11-27.372 : NB-I-73290).

Cette jurisprudence n’est pas sans également évoquer l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Pau afférent à l’utilisation de Facebook sur le lieu de travail (CA Pau 13 juin 2013 n° 11/02759, ch. soc., Sté BPS Pays Basque c/ C).

Ladite Cour d’appel avait ici jugé qu’un salarié qui se connecte quotidiennement à des réseaux sociaux et à sa messagerie personnelle pendant les heures de travail commet une faute justifiant son licenciement.

Ces consultations s’étant faites au détriment de son travail, l’employeur a donc prononcé un licenciement pour faute grave. La cour d’appel a admis la validité du licenciement, mais a toutefois considéré que les manquements du salarié n’étaient pas suffisamment graves pour justifier la rupture immédiate du contrat de travail, requalifiant le licenciement en cause réelle et sérieuse.

De telles sanctions sont devenues d’autant plus faciles à prononcer qu’il est relativement aisé de contrôler l’activité du salarié. En effet, dans la mesure où elles sont présumées avoir un caractère professionnel, les connexions internet établies par le salarié durant son temps de travail au moyen de son ordinateur professionnel peuvent être librement contrôlées par l’employeur (Cass. soc. 9 juillet 2008 n° 06-45.800 ; Cass. soc. 9 février 2010 n° 08-45.253: RJS 5/10 n° 399 : N-VIII-7440 s.). Un salarié ne peut donc pas contester devant le juge prud’homal la légitimité d’un tel contrôle au motif qu’il y a été procédé hors de sa présence.

Mais il arrive qu’il conteste être l’auteur des connexions internet litigieuses, et c’est ce qui s’était produit en l’espèce, du moins pour les connexions de l’intéressé à des réseaux sociaux et à sa messagerie personnelle Hotmail. Non sans un certain aplomb, le salarié faisait ici valoir que les ordinateurs de l’entreprise étant accessibles à l’ensemble du personnel, et les codes d’accès connus de tous, il n’était pas possible de lui imputer lesdites connexions.

Certes, l’employeur doit sécuriser l’accès aux ordinateurs professionnels des salariés. Il commet même un manquement à la loi « informatique et libertés » en permettant un tel accès au moyen de mots de passe faciles à deviner et pas assez souvent renouvelés (Délibération Cnil 2013-139 du 30-5-2013). Et il risque également dans ce cas d’avoir plus de mal à imputer des connexions internet abusives à un salarié en particulier. L’argument soulevé en l’espèce par le salarié n’était donc pas incohérent. Mais la Cour d’appel a estimé qu’il n’y avait aucun doute sur ce dernier point : les connexions, sur le compte Facebook et la messagerie personnelle du salarié, exigeaient des mots de passe qu’il pouvait seul utiliser, de sorte qu’il ne pouvait nier en être l’auteur.

Notre salarié précédemment évoqué, amateurs de vidéos « comiques » et soucieux de les partager, ne semble quant à lui pas avoir fait valoir un tel argument, ne niant donc pas être à l’origine de ce flots de vidéos téléchargées.

De l’affichage du religieux sur le lieu de travail épisode 2

Droit Social

Comme le disait joliment le Professeur Jean-Emmanuel Ray lors d’un congrès, « la jurisprudence progresse à coups d’arrêts », force est de constater que l’actualité récente se fait le juste écho d’un tel propos.

Dans un arrêt de la Cour de cassation du 19 mars dernier (Cass. Soc. 19 mars 2013 n° 11-28.845), il était affirmé que les principes de laïcité et de neutralité ne pouvaient pas être invoqués pour restreindre la liberté de religion des salariés employés dans une entreprise n’assurant pas la gestion d’un service public (arrêt déjà évoqué sur ces lignes, que vous pouvez maintenant retrouver en ligne à cette adresse : http://bourdonavocats.fr/blog/bourdonnement.asp?id=1).

Le sujet semblait ainsi clos ou presque, et l’on attendait pas forcément autre chose qu’un acquiescement à l’édiction de ce principe par la Cour d’appel de renvoi. Il n’en fut rien, cette dernière relançant ainsi le débat par sa décision : une personne morale de droit privé, qui assure une mission d’intérêt général peut, dans certaines circonstances, constituer une entreprise de conviction au sens de la jurisprudence de la Cour Européenne des droits de l’homme et se doter de statuts et d’un règlement intérieur prévoyant une obligation de neutralité du personnel justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché (Cour d’appel de Paris, 27 novembre 2013, n° 13/02981).

En l’espèce et pour mémoire, la question de cette restriction à la liberté religieuse par une obligation de neutralité était posée s’agissant d’une crèche associative (Baby-Loup) se revendiquant comme « laïque ».

Ce nouveau rebondissement obligera vraisemblablement cette fois l’Assemblée plénière à se positionner sur le fond : est-ce qu’une entreprise « laïque » peut-être considérée comme une « entreprise de conviction » justifiant à son égard l’applicabilité de règles et restrictions relevant en principe du secteur public ? Dans ce cadre, quel rôle le règlement intérieur de l’entreprise doit-il jouer dans l’encadrement et la restriction des libertés individuelles dans l’entreprise ?

La cour d’appel revient en effet fortement sur la notion d’entreprise « de conviction » comme pouvant justifier une obligation de neutralité imposée aux salariés. Par ailleurs, la Cour d’appel persiste à rappeler que Baby-Loup, crèche associative privée, a des missions d’intérêt général « fréquemment assurées par des services publics et d’être en l’occurrence financée […] par des subventions de l’État ».

La Cour suit ici une logique difficilement contestable : les crèches sont souvent assumées par l’État comme relevant d’une mission de service public, et on ne peut reprocher à des parents, faute de places en crèche publique (phénomène fréquent…), de vouloir une prise en charge similaire pour leur enfant dans le cadre d’une crèche privée, notamment concernant l’obligation de neutralité du personnel éducatif. Ainsi, la crèche privée qui répondrait à cette attente de neutralité, qui en ferait la promotion et l’inscrirait dans ses statuts, devrait alors pouvoir être considérée comme une « entreprise de tendance laïque ».

La reconnaissance juridique d’une entreprise définie ainsi serait lourde de conséquences puisqu’elle permettrait à l’employeur d’apporter des restrictions « aux droits et libertés des salariés au nom des valeurs défendues » par l’entreprise.

Dans son arrêt du 27 novembre dernier, la Cour d’appel de Paris fait référence à la notion d’entreprise de conviction « au sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ». Ladite jurisprudence reconnaît effectivement la possibilité à l’employeur d’imposer des obligations de loyauté spécifique au regard de son éthique, mais elle s’attache évidemment à contrôler rigoureusement la proportionnalité des atteintes aux libertés individuelles et surtout à examiner ce qui justifie de telles atteintes aux libertés.

Ce contrôle pourrait donc être fait sur les motivations de l’employeur lors du licenciement, au regard des motifs de la lettre de licenciement qui, comme le veut le principe, « fixe les termes du litige ». Mais, cet arrêt montre aussi toute l’importance qu’il faut attacher au règlement intérieur et à ses dispositions.

La question qui se pose donc toujours est donc de savoir si dans une crèche privée, il est justifié et proportionné de restreindre les manifestations d’appartenance religieuse et d’exiger ainsi une stricte neutralité de la part de l’ensemble du personnel.

Pour qu’une telle interdiction puisse être admissible au regard du droit européen, encore faut-il que le règlement intérieur édictant cette interdiction soit d’une précision sans faille et explicite les raisons qui ont conduit à cette restriction des libertés du salarié. Or, ce n’était pas le cas dans l’affaire Baby-Loup, le règlement intérieur de la crèche, comme l’a relevé l’arrêt de cassation du 19 mars 2013, instaurant « une restriction générale et imprécise, [qui] ne [répond] pas aux exigences de l’article L. 1321-3 du code du travail ».

L’Assemblée plénière devra donc finalement trancher et décider s’il est possible pour une entreprise de se voir reconnaître le statut d’entreprise de tendance « laïque » justifiant la mise en place d’interdits jusque là uniquement envisageables au sein de structures assurant la gestion d’un service public, mais également quel y sera le rôle particulier du règlement intérieur dans la restriction des libertés individuelles…

Ce matin même sur France Inter, le défenseur des Droits, Dominique Baudis, à propos de la laïcité , évoquait le fait que ce dont le citoyen avait aujourd’hui surtout besoin, ce n’était pas de plus de législation, mais de plus de clarté. On ne saurait mieux dire….

Boire ou travailler

Droit Social

Bientôt les fêtes de fin d’année, le moment est donc idéal pour rappeler les règles de base fixées par le Code du travail et la jurisprudence quant à la consommation de produits dit « festifs » sur le lieu de travail.

Tout d’abord, un principe essentiel doit être rappelé : de l’eau potable et fraîche doit être mise à la disposition des salariés. Ce n’est certes pas très festif, mais c’est la loi.

Une boisson non alcoolisée doit également être distribuée gratuitement dans le cas où les salariés sont soumis à des conditions de travail les amenant à se désaltérer fréquemment (la liste des postes concernés par cette mesure est établie par l’employeur, après avis du médecin du travail et du CHSCT ou, à défaut, des DP).

Par ailleurs, les conventions ou accords collectifs de travail, ou les contrats de travail, ne peuvent prévoir l’attribution de boissons alcoolisées au titre d’avantages en nature, sauf s’il s’agit de boissons servies à l’occasion de repas constituant déjà un tel avantage (C. trav. art. R 3231-16).

A la question du contrôle du salarié, la jurisprudence a apporté les réponses suivantes : la soumission à l’éthylotest du salarié par l’employeur se justifie si les modalités de ce contrôle en permettent la contestation et si, en raison de ses fonctions, l’état d’ébriété du salarié est de nature à exposer les personnes ou les biens à un danger (Cass. soc. 22-5-2002 n° 99-45.878 : RJS 11/02 n° 1233 ; 24-2-2004 n° 01-47.000 : RJS 5/04 n° 535).

Ainsi, pas plus que sur l’autoroute, l’employeur ne doit laisser entrer ou séjourner dans l’établissement des personnes en état d’ivresse.

Une fois posé ce principe, on note toutefois que le vin, la bière, le cidre et le poiré sont autorisés sur le lieu de travail, boissons qui sont pourtant à même de permettre à tout un chacun de se trouver justement en « état d’ivresse ».

L’introduction de certaines boissons alcoolisées dans l’entreprise est donc possible, le règlement intérieur pouvant toutefois en limiter la consommation, mais seulement si des impératifs de sécurité le justifient. Il ne peut ainsi, exceptionnellement, prévoir une interdiction générale que si elle est fondée par l’existence d’une situation particulière de danger ou de risque (CE 12-11-2012 n° 349365 : RJS 2/13 n° 118 – j’imagine que l’on pense plus ici aux centrales nucléaires qu’aux employés de bureau).

Il existe donc dans le droit positif une relative tolérance, que l’on pourrait presque qualifier de bienveillance, vis-à-vis des boissons alcoolisées (la culture locale y étant sans doute pour beaucoup, et je n’ai pas parlé de lobbying), en revanche, force est de constater que la règle est beaucoup moins souple s’agissant des stupéfiants.

Ainsi, dans un arrêt récent, la Cour d’appel d’Aix en Provence (qui n’est toutefois quand même pas la Cour de cassation) a considéré que le fait de consommer des substances stupéfiantes sur le lieu de travail, en violation du règlement intérieur de l’entreprise et des dispositions du Code pénal, est d’une gravité telle qu’il justifie un licenciement immédiat (CA Aix-en-Provence 10 mai 2013 n° 11/16117, 9e ch. c., Sté Optical center c/ C.).

En l’espèce, un salarié s’était absenté de la boutique dans laquelle il travaillait et s’était isolé dans l’atelier adjacent pour fumer du cannabis. Alerté par l’odeur, qui éveillait au surplus la curiosité des clients, un de ses collègues le surprend et témoigne des faits auprès de son employeur. Le salarié fumeur, mis à pied à titre conservatoire puis licencié pour faute grave, a contesté la légitimité de ce licenciement (si j’ose dire, il ne manque pas d’air).

La question qui était posée ici ne concernait pas la matérialité des faits (le salarié ne contestait pas avoir fumé du cannabis), mais leur qualification : quel était le degré de gravité de la faute commise ?

Les juges commencent par rappeler l’évidence : le fait de consommer des stupéfiants constitue une infraction au Code pénal. Il est donc pour le moins cohérent de la part d’un employeur que de ne pas tolérer au sein de l’entreprise qu’un salarié adopte un comportement pénalement répréhensible.

Au surplus, en l’espèce, l’employeur pouvait se prévaloir des dispositions du règlement intérieur de son entreprise, qui à la fois prohibait l’introduction de stupéfiants dans l’enceinte de l’entreprise mais également interdisait de fumer dans les locaux.

En violant ces interdictions légitimes et proportionnées, le salarié avait objectivement commis une faute grave justifiant son licenciement immédiat. C’est en tout ce qu’a décidé la cour d’appel d’Aix-en-Provence, rejoignant ainsi à la position de la Cour de cassation (Cass. soc.1er juillet 2008 n° 07-40.053).

Cette possible immixtion de l’employeur dans les comportements à risque de ses employés connaît une limite. Si les juges admettent la légitimité d’un licenciement disciplinaire prononcé à l’encontre d’un salarié qui consomme de la drogue pendant le temps et au lieu du travail, il n’en va pas de même lorsque les faits relèvent de la vie privée du salarié. Ainsi, un salarié qui fume du cannabis en dehors du temps et du lieu de travail ne manque pas aux obligations découlant de son contrat de travail, et ne peut pas être licencié pour cela (CA Paris 11 septembre 2012 n° 10/09919).

Joies du droit et de son étude, je ne saurais toutefois clôturer cette note sans faire état d’une exception à ce dernier principe : même si la drogue est consommée dans le cadre de la vie privée, le salarié commet une faute s’il travaille ensuite sous l’influence de produits stupéfiants et met ainsi sa sécurité ou celle de tiers en danger (Cass. soc. 27 mars 2012 n° 10-19.915).

De la valeur de l’e-mail comme mode de preuve

Droit Social

On l’ignore peut-être, mais nombreuses sont maintenant les juridictions à solliciter des avocats qu’ils allègent leurs dossiers, à commencer par les chambres sociales des cours d’appel. Las, pauvre de nous en robes noires devant faire face à cette exigence quand, de l’autre côté le moindre licenciement pour insuffisance professionnelle contesté judiciairement voit la production nécessaire de dizaines d’e-mails échangés entre les parties au cours des années précédant la rupture.

Autrefois, l’on justifiait une rupture par quelques avertissements écrits, des réclamations écrites de clients, des attestations de salariés, tout le reste du litige s’étant souvent noué par de plus ou moins vigoureux échanges oraux, qui comme toute parole, se sont enfuis sans laisser de traces.

Le développement des NTIC à l’origine de nombreux bouleversements dans le monde du travail a donc également généré une impressionnante quantité de papier à produire devant les juridictions prud’homales afin de justifier l’une ou l’autre des positions défendues. Déjà d’une lecture souvent inconfortable, voilà que ces missives électroniques viennent grossir nos dossiers de plaidoirie, au risque de fâcher le magistrat. Mais là n’est toutefois pas l’essentiel, il est nécessaire de s’interroger sur la valeur de ces écrits et d’autant plus devant une juridiction où l’on pratique « l’oralité de la procédure », principe qui, à tort ou à raison, laisse souvent à croire à une grande souplesse dans l’appréciation de la validité des pièces versées par les parties.

L’occasion de revenir sur ces questions nous a récemment été donnée par la Cour
de cassation (Soc. 25 sept. 2013, F-P+B, n° 11-25.884). Tout d’abord, il convient
de rappeler que le développement accéléré des nouvelles technologies de l’information
et de la communication (NTIC) avait nécessité de légiférer sur ce sujet, s’agissant notamment de la délicate question du mode de preuve (quoi de plus facile en effet
à modifier qu’un e-mail ?). Les articles 287, 1316-1 et 1316-4 du Code de procédure civile ont ainsi été adaptés par la loi n° 2000-230 du 13 mars 2000.

Le courrier électronique doit remplir certaines conditions pour être recevable comme mode de preuve dans le cadre d’un procès. L’on doit pouvoir « identifier la personne
dont il émane » et il doit être « établi et conservé dans des conditions de nature
à en garantir l’intégrité ». La signature électronique doit, quant à elle, relever d’un « procédé fiable d’identification garantissant son lien avec l’acte auquel elle s’attache.
La fiabilité de ce procédé est présumée, jusqu’à preuve contraire ». Dans l’espèce dont
il est ici question, une salariée avait contesté son licenciement pour faute grave motivé, selon la lettre de licenciement, parce qu’elle ne serait pas revenue travailler dans l’entreprise à la suite d’un arrêt de travail. Pour justifier ladite absence, elle avait produit devant la juridiction prud’homale un courrier électronique émanant de son employeur dans lequel ce dernier lui interdisait de revenir travailler (ce qui équivalait
à un licenciement oral, ce dernier étant d’ailleurs admis, bien qu’interdisant évidemment à l’employeur de le justifier a posteriori, faute de lettre de rupture motivée).

Les juges de première instance avaient débouté la salariée de sa demande, mais
la cour d’appel de Bordeaux, dans un arrêt du 1er septembre 2011, a considéré
le licenciement sans cause réelle et sérieuse au motif que l’employeur ne « rapportait
pas la preuve que l’adresse de l’expéditeur mentionnée sur le courriel soit erronée ou
que la boîte d’expédition de la messagerie de l’entreprise ait été détournée » et qu’en
tout état de cause, un tel détournement ne saurait être imputé à la demanderesse. L’employeur s’est ensuite pourvu en cassation et a contesté la recevabilité de cette preuve au moyen que ce courrier (ou plutôt ce « courriel »), dont il niait être l’auteur
(ce qui n’est pas anodin en l’espèce), ne satisfaisait pas aux conditions de validité
des courriers et signatures électroniques telles que prévues par les articles 287 du
Code de procédure civile et les articles 1316-1 et1316-4 du Code civil.

Pour trancher le litige, la Cour suprême n’avait donc d’autre choix que de se prononcer sur les conditions de validité du courrier électronique utilisé comme moyen de défense. Par son arrêt du 2 octobre 2013, la Cour de cassation a considéré que les articles précités n’étaient tout simplement pas applicables car le « courrier électronique a été produit pour faire la preuve d’un fait, dont l’existence peut être établie par tous moyens
de preuve ». En d’autres termes, la preuve de l’existence d’un fait, en l’espèce un licenciement verbal, pouvant être établie par tous moyens, y compris par courrier électronique, il n’est pas nécessaire de vérifier si les conditions de validité de la signature électronique sont satisfaites. Il s’agit là en fait du rappel d’un principe de droit commun, et la Cour, à l’instar des autres juridictions concernées, confirme la validité
et la recevabilité de données résultant de l’utilisation des NTIC. Le juge a ainsi pu valider la production de SMS (Soc. 23 mai 2007, n° 06-43.209), de messages téléphoniques vocaux (Soc. 6 févr. 2013, n° 11-23.738) et même de conversations sur Facebook (Bordeaux, ch. soc., sect. B, 12 janv. 2012).

En définitive, il est laissé aux juges du fond (pour peu qu’ils lisent les pièces…)
la possibilité d’apprécier souverainement si les éléments de preuve rapportés par le salarié suffisent à emporter leur conviction, peu importe leur forme. En l’espèce, la cour d’appel de Bordeaux avait estimé « que la version de la salariée selon laquelle l’employeur lui a refusé l’accès aux locaux de l’entreprise à compter du 6 août est fondée et que, dès lors, le contrat de travail a été rompu à cette date sans motifs valables, la procédure de licenciement engagée postérieurement étant, de ce fait, privée de cause réelle
et sérieuse ». La cour d’appel, confirmée en l’espèce par la Cour de cassation, a donc
fait une simple application de la jurisprudence relative à l’absence de cause réelle
et sérieuse d’un licenciement verbal (Soc. 23 juin 1998, RJS 1998. 621, n° 971 ;
9 févr. 1999, RJS 1999. 302, n° 489 ; 11 janvier 2011, n° 09-67.676).

Quel sort faire aux contraventions du salarié

Droit Social

La logique comme la bienséance pourraient laisser à penser qu’un salarié à qui l’on confie un véhicule de fonction, ou pour l’exercice de ses fonctions, soit seul responsable des contraventions que cette conduite pourrait générer. Pourtant, les joies du droit du travail, cela n’est pas aussi simple.

En effet, même s’il semble indiscutable à l’employeur que le salarié soit responsable de la contravention routière reçue par l’entreprise, il n’en demeure pas moins qu’il ne saurait se faire justice lui-même face à un salarié récalcitrant dans le fait d’assumer ses errements automobiles. Ainsi, la retenue sur salaire pour le remboursement des contraventions afférentes à un véhicule professionnel mis au service du salarié est illégale, y compris et même lorsqu’elle est prévue par le contrat de travail (Cass. soc. 11-1-2006 n° 03-43.587 RJS 3/06 n° 347). L’employeur doit, pour récupérer le montant des amendes auprès du salarié, engager une action devant le juge.

Dans un arrêt récent (17 avril 2013, n° 11-27.550), la Cour de Cassation a confirmé que l’employeur ne peut pas non plus espérer obtenir devant le juge prud’homal une condamnation du salarié à lui rembourser le montant de ses amendes. Dans cette affaire, contrairement au cas exposé ci-dessus, l’employeur n’avait pas opéré de lui-même une compensation entre le montant des contraventions et le salaire de l’intéressé, il avait simplement présenté au juge prud’homal, dans le cadre du litige né de la contestation par le salarié de la légitimité de son licenciement, une demande reconventionnelle tendant au remboursement par ce dernier du montant de plusieurs contraventions pour stationnement irrégulier et excès de vitesse.

La Cour de cassation rejette néanmoins son pourvoi en rappelant que, conformément à une jurisprudence constante, un salarié n’engage sa responsabilité civile envers son employeur que s’il a commis une faute lourde, ce dont l’employeur ne se prévalait pas en l’espèce. Or, sauf cas particulier, l’intention de nuire du salarié caractéristique de la faute lourde paraît devoir être écartée dans une telle hypothèse, même si, qui sait, l’on pourrait imaginer un salarié accumulant les contraventions dans le seul but de nuire à son employeur…

Cela étant, le paiement par l’employeur des amendes pour les infractions routières commises par le salarié dans l’exercice de ses fonctions avec un véhicule appartenant à l’entreprise n’est pas une fatalité.

En effet, le Code de la route désigne certes le titulaire du certificat d’immatriculation d’un véhicule ou le représentant de la personne morale lorsque ce certificat est établi au nom de celle-ci, comme pécuniairement responsables des amendes encourues au titre de certaines infractions (excès de vitesse, non-respect des règles de stationnement ou des distances de sécurité…). Mais, il permet à l’employeur de s’affranchir de cette responsabilité pécuniaire en établissant n’être pas l’auteur véritable de l’infraction (C. route art. L 121-2 et L 121-3).

A réception de l’avis d’amende, l’employeur peut donc, s’il le souhaite, former une requête en exonération de paiement dans laquelle il doit préciser l’identité, l’adresse et la référence du permis de la personne présumée conduire le véhicule lors de la constatation de la contravention (CPP art. 529-10). Le salarié auteur de l’infraction devra alors s’acquitter de l’amende. Il se verra aussi retirer sur son permis les points correspondants à cette infraction.

Le salarié ayant été le cas échéant désigné par l’employeur comme étant l’auteur d’une infraction au Code de la route peut évidemment lui-même soulever une contestation. Si à la suite de cette dernière, l’identification du véritable auteur s’avère impossible, le paiement de l’amende incombera alors nécessairement à l’employeur, en tant que titulaire du certificat d’immatriculation du véhicule ou en tant que représentant légal de l’entreprise titulaire dudit certificat.

Voilà une configuration où l’on ne peut donc qu’espérer que les parties en cause soient dans les meilleurs dispositions possibles si l’on souhaite s’épargner des procédures éventuellement longues et peu palpitantes.

On ne transige plus sur la rupture

Droit Social

Faisant suite à des développements déjà évoqués sur ces lignes l’an passé, la Cour de cassation est venue récemment préciser les possibilités de conclure un accord transactionnel à la suite d’une rupture conventionnelle (Cass soc 26 mars 2014 n° 12-21.136 (n° 660 FP-PBR), M c/ Institut Polytechnique Lasalle Beauvais).

Sans grande surprise, la Cour de cassation répond par l’affirmative à la possibilité d’une transaction dans le cadre décrit, mais elle impose des conditions assez draconiennes.

Tout d’abord, s’agissant de la date de signature, elle rappelle que, pour être valable, la transaction doit nécessairement  intervenir postérieurement à l’homologation de la rupture conventionnelle par l’administration ou, s’agissant des salariés protégés, après la notification de son autorisation par l’inspecteur du travail. Les deux opérations doivent donc être dûment séparées et se suivre (à l’instar de ce qui se fait en matière de transaction après un licenciement, cette dernière ne pouvant se produire qu’une fois la notification de la rupture dûment effectuée par la voie recommandée).

Ensuite et surtout, et c’est là que les choses se corsent un peu plus, la transaction signée postérieurement à une rupture conventionnelle ne saurait pas avoir pour objet de régler un différend relatif à la rupture du contrat de travail. De ce fait, la transaction qui interviendrait postérieurement à la validation d’une rupture conventionnelle ne pourrait porter que sur un litige en lien avec l’exécution du contrat de travail et tout autre réclamation, afférente, sans lien avec la convention de rupture elle-même (une transaction ne pourrait ainsi couvrir un vice du consentement).

La Cour de cassation semble par là vouloir mettre fin à l’impossibilité de contester une rupture conventionnelle, même prudemment complétée par une transaction postérieure. Il est vrai qu’un tel raisonnement est cohérent : la rupture conventionnelle suppose par principe l’absence de différend entre le salarié et l’employeur, contrairement à la transaction qui vient justement à mettre fin à un litige ouvert entre les parties.

Cette solution s’inscrit dans la droite ligne de celle dégagée par la Cour en juin 2013 par la Cour de cassation, selon laquelle les parties à la convention de rupture ne peuvent pas renoncer, par avance, à leur droit de contester la rupture, une telle clause étant réputée non écrite sans affecter pour autant la validité de la convention (Cass. soc. 26 juin 2013 n° 12-15.208 (n° 1212 FS-PBR)).

En limitant la possibilité aux parties de transiger sur les seuls conflits relatifs à l’exécution du contrat de travail et à la condition que la transaction ne porte sur un élément déjà réglé par la convention de rupture, la Cour de cassation restreint considérablement en pratique les possibilités de conclure une transaction à la suite d’une rupture conventionnelle. En effet, la transaction est plus que fréquemment utilisée pour régler les conflits afférents à la rupture de la relation de travail (bien-fondé, conséquences pécuniaires…).

Le succès indiscutable rencontré par ce mode alternatif de rupture allait nécessairement engendrer un encadrement jurisprudentiel strict de sa pratique, c’est la voie logique suivie par la Cour de cassation, sans doute soucieuse d’éviter un dévoiement des textes applicables…

Des nouvelles de la rupture conventionnelle

Droit Social

Avant de se noyer dans la torpeur de l’été, quelques informations pour le moins essentielles à l’usage de la rupture conventionnelle nous étaient parvenues de la Cour de cassation, il serait regrettable de les ignorer encore à l’approche de la rentrée.

Longtemps, l’on a pu s’inquiéter de la signature d’un tel processus de sortie de l’entreprise d’un salarié lorsqu’un conflit plus ou moins larvé, ou plus ou moins ouvert, existait entre l’employeur et le futur partant. Il pouvait effectivement sembler que le législateur avait voulu ici créer un processus totalement pacifique de sortie, et certainement pas un mode alternatif de règlement des conflits. La Cour de cassation, sans trahir l’intention du législateur, et s’inscrivant même dans la volonté exprimée par les partenaires sociaux dans l’accord interprofessionnel du 11 janvier 2008, a tranché cette question dans un arrêt du 23 mai 2013 en permettant le recours à une rupture conventionnelle en cas de litige entre les parties (Cass. Soc. 23 mai 2013 n° 12-13.865).

En effet, les partenaires sociaux avaient assigné pour objectif à ce qui allait devenir la rupture conventionnelle la possibilité pour l’employeur et le salarié de se séparer dans le cadre d’un processus négocié, sans passer par la procédure de licenciement, y compris lorsque cette rupture pouvait résulter d’un désaccord compromettant la poursuite du contrat de travail entre les parties.

Le processus de rupture conventionnelle étant encadré par diverses règles procédurales (entretiens, homologation, délai de rétractation, délai de contestation…), l’on peut légitimement considérer que les garanties nécessaires à un consentement éclairé sont données aux parties, permettant une rupture conventionnelle, même en cas de litige ouvert. Comme dans toute convention, le consentement doit simplement être donné librement, entraînant à défaut la nullité de la rupture. La rupture conventionnelle peut alors être requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse (mais n’entraîne pas sa nullité). Cette possibilité de rupture conventionnelle en cas de conflit a entraîné un relatif emballement chez certains qui allaient jusqu’à imaginer que signer un formulaire CERFA permettait de mettre fin à tout conflit, présent ou futur, assurant une tranquillité éternelle postérieurement au départ du salarié. Las, c’était confondre convention de rupture et protocole transactionnel. Là aussi, dans la droite ligne de la jurisprudence précitée, la cour, confirmant la validité d’une convention de rupture en présence d’un différend, est venue rappeler cette évidence, il ne s’agit en revanche pas d’une transaction au sens des articles 2044 et suivants du Code civil. Ainsi, une clause de renonciation à tout recours insérée dans une convention de rupture doit être réputée non écrite, comme contraire à l’article L 1237-14 du Code du travail (Cass. Soc. 26 juin 2013 n° 12-15.208). En effet, une transaction n’est valable que si elle est conclue postérieurement à la rupture définitive du contrat de travail, et ce quel que soit le mode de rupture (Cass. soc. 29 mai 1996 n° 92-45.115).

Il eût été intéressant d’obtenir également de la Cour de cassation à cette occasion une position claire sur la possibilité de conclure une transaction après une rupture conventionnelle homologuée. Cette pratique est fréquente et rien ne paraît l’interdire, une confirmation serait toutefois éventuellement bienvenue.

Le forfait jour ne serait donc pas all-inclusive

Droit Social

Avant d’évoquer les derniers développements de la Cour de cassation sur ce sujet, rappelons brièvement ce qu’est une convention « forfait-jours ». Il s’agit d’une de ces conventions apparemment extrêmement souple et avantageuse, permettant de dégager les salariés concernés des dispositions afférentes à la durée légale hebdomadaire du travail et des durées maximales journalière et hebdomadaire du travail. Seules survivent les dispositions afférentes aux repos quotidien et hebdomadaires.

La durée de travail du salarié est décomptée chaque année par récapitulation du nombre de journées ou demi journées travaillées (dans la limite de 218 jours).

Pour mémoire, la mise en place de conventions individuelles de forfait, en heures ou en jours, sur l’année est subordonnée à la conclusion :

– d’un accord collectif d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, d’une convention ou d’un accord de branche, qui détermine les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait, ainsi que la durée annuelle du travail à partir de laquelle le forfait est établi, et fixe les caractéristiques principales de ces conventions ;

– d’une convention individuelle de forfait impérativement écrite (contrat ou avenant par exemple), laquelle requiert l’accord du salarié.

S’agissant plus particulièrement du forfait dont il est ici question, le « forfait annuel en jours », ne peuvent le conclure que (article L 3121-43 du Code du travail) :

– les cadres qui disposent d’une autonomie dans leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l’horaire collectif applicable au sein de l’atelier, du service ou de l’équipe auquel ils sont intégrés ;

– les salariés dont la durée du travail ne peut être prédéterminée.

Une fois ces conditions générales d’applicabilité légales posées et mises en place, ce système a rencontré semble t’il un succès certain, étant, au moins en apparence, très adapté au monde du travail contemporain, plus particulièrement dans les secteurs où l’activité intellectuelle est prédominante et les nouvelles technologies incontournables. Comme le soulignait alors récemment un commentateur : « la seule question est de savoir si le rapport entre les jours obligés par le forfait et la nature du travail demandé sont raisonnablement compatibles » (Bernard Boubli). Le salaire versé doit donc respecter les minimas éventuellement applicables et être adapté à la charge de travail (et vice versa). Surtout, le salarié soumis au forfait jours doit être effectivement autonome dans l’organisation de son travail. On m’avait interrogé un jour sur la possibilité de sanctionner un tel salarié pour ses fréquentes arrivées tardives sur le lieu de travail. Cela se révèle évidemment difficile (le beurre et l’argent du beurre…), les griefs envisageables se fondent plutôt sur l’assiduité (ainsi, la présence lors de réunions importantes, la présence chez un client à des moments clés…) et plus généralement sur la qualité du travail fourni. C’est dans ce cadre que doit être analysé le débat sur le « droit à la santé », sous-tendu par le nécessaire « droit au repos ». L’employeur doit en effet garantir au salarié, dans le cadre de son autonomie, notamment le respect du repos dominical (il est ainsi vivement déconseillé d’adresser à un salarié, même au forfait-jour, des e-mails d’instructions plus ou moins comminatoires un dimanche soir par exemple) et une durée raisonnable de travail.

Ce droit à la santé doit notamment être assuré par le contenu même des conventions ou accords collectifs prévoyant la possibilité de conclure des forfaits-jours. La Cour de Cassation vérifie ainsi que le texte desdits accords garantisse le respect des durées maximales de travail, ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires (Cass. Soc. 29 juin 2011 n° 09-71.107 ; RJS 8-9/11 n° 696). A été ainsi validé un accord prévoyant l’établissement de documents de contrôle, le suivi régulier par le supérieur hiérarchique de l’organisation et de la durée du travail du salarié, la tenue d’un entretien annuel (CCN Métallurgie – arrêt précité).

A contrario, les juges de la Cour de Cassation ont privé de validité une convention de forfait en jour considérant que les dispositions des accords (industrie chimique) la prévoyant n’étaient pas de nature « à assurer la protection de la santé et la sécurité des salariés ». En effet, l’article 12 de l’accord chimie prévoyait uniquement que la convention individuelle de forfait « comportera des modalités de mise en œuvre et de contrôle » et que le salarié pourra prétendre une fois par an à un « entretien d’activité ». Le caractère lapidaire des dispositions conventionnelles prive d’effet la convention de forfait en jours. Il n’est toutefois pas interdit à l’employeur de mettre en place, en interne, un accord d’entreprise conforme aux exigences jurisprudentielles (modifier la seule convention individuelle de forfait serait en revanche insuffisant). La Cour de Cassation a récemment confirmé cette analyse à propos d’un accord pris en application des dispositions de la convention collective SYNTEC en ces termes : « Les dispositions de l’accord du 22 juin 1999, pris en application de la convention SYNTEC et les stipulations des accords d’entreprises applicables en l’espèce ne sont pas de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail du salarié et, donc, à assurer la protection de sa sécurité et de sa santé. La convention de forfait en jours est alors nulle » (Cass. Soc. 24 avril 2013 n° 11-28.398).

L’air du temps est donc à une relecture d’accords toujours en vigueur, à la rédaction parfois ancienne, ces derniers pouvant se révéler infiniment moins sûrs et confortables que prévus. Si la Cour de cassation ne condamne pas le recours au forfait en jours, elle rappelle qu’il appartient aux partenaires sociaux, au niveau des entreprises, de suppléer les manques constatés dans les textes applicables.